« Le Déparleur » de et avec Michel Herland

— Par Roland Sabra —

Un petit banc de bois blanc sur le sol parsemé de journaux parmi lesquels on reconnaît, le Monde, le Diplo, France-Antilles, les pages saumon du Figaro. Le décor est planté en décalage avec l’univers supposé d’un clochard, tout comme son apparence. La soixantaine bien tassée, barbe naissante, sous un smoking défraîchi, foulard noué autour du cou, il porte une chemise bien blanche. Son mode d’énonciation est marqué de l’hésitation de celle ou celui dont la parole est restée trop longtemps sans adresse. Ses mots font référence aux poètes, aux plus grands, et empruntent à l’argot d’un temps qui n’est plus mais qui fût le sien. Proche et lointain, il est d’un monde où l’humain déclinant est en fuite. Il s’adresse à un autre, un petit autre dans le vide d’un retour qui ne peut être, mirage d’une image perdue au désert des trottoirs peuplés de ses semblables. Il dit la violence et la mort, le sexe et l’inceste, l’alcool et la came, l’espérance envolée dans les sordides trafics autour des corps du désir protéiforme dans son apparence mais unique en son essence : survivre.

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Jamais le texte ne verse dans un misérabilisme de convenance, de compassion distanciée, de solidarité tartuffiée.. Michel Herland dévoile dans ce travail qu’il porte de bout en bout une facette intéressante de ses talents. Le travail présenté est un premier jet réussi. Il reste des modifications à opérer dans la structure du récit, dans l’ordonnancement des dix tableaux présentés pour le bénéfice d’une dramaturgie plus construite et plus poignante. Deux exemples. L’athéisme lancé dans le premier quart du spectacle comme un pavé à la gueule de la bien-pensance, sur le mode puéril d’effroi du bourgeois, devrait plutôt apparaître comme la conséquence du parcours d’errance du personnage. De même l’existence d’un inceste, assénée d’emblée comme un fait indubitable, gagnerait dans sa révélation à être d’abord suggérée, pour peu à peu laisser le spectateur s’interroger et s’approprier progressivement son évidence. L’aveu d’un inceste ne se fait pas à la cantonade. Michel Herland qui a lu Jacques Rancière et qu’il apprécie doit se souvenir que « Le spectateur compose son propre poème avec les éléments du poème en face de lui » ( Le spectateur émancipé).

La mise en scène d’un « seul en scène » est toujours difficile. Le regard extérieur dont il a bénéficié a sans doute contribué à ce refus d’un réalisme réduit au misérabilisme. Le texte est dans un insituable bénéfique, à la fois ancré dans un présent et un lieu envisageables et l’ailleurs d’un imaginaire ouvert à tous les chemins de l’errance. Dans l’heureux indéterminé qui l’habille de part en par chacun peut reconnaître en son for intérieur le possible d’un devenir fertile aux heurts et aléas de l’existence. C’est la force de ce spectacle riche de sa réalisation et de ses possibles. Qu’il puisse tourner ici et ailleurs est tout de qu’on peut lui souhaiter.

Fort-de-France, le 03/02/2019

R.S.