Le danger de l’absentéisme

« Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. »

— Par Cynthia Fleury —

L’élection présidentielle n’a pas contredit les sondages de ces dernières semaines ; le vote utile Macron l’a emporté devant un Front national historiquement haut. Si l’on peut croire au succès du « front républicain », lors du second tour de la présidentielle, il n’en demeure pas moins qu’il est important de mettre en œuvre une politique résolument sociale, de forte régulation économique, qui lutte avec conviction contre les nouvelles formes d’inégalités et leur renforcement.

Les législatives vont venir très rapidement rappeler ce réquisit de justice sociale. Quatre-vingts ans après la mort de Gramsci, la Cité future (1) son célébrissime texte de 1917, autre année déterminante, résonne, tant sa détermination à défendre la politique, l’action dans la cité, l’engagement citoyen, est vive : « Il ne peut exister seulement des hommes, des étrangers à la cité. Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. » Alors, bien sûr, l’absentéisme n’est pas l’abstention, mais la différence n’est pas si aisée à défendre, tant la seconde peut faire le lit du premier. Sur les réseaux sociaux, monte l’envie de flirter avec le feu, sous couvert de défense des valeurs de gauche. Dès le soir du premier tour, les #SansMoiLe7mai se multipliaient. Il est évident que le cercle vicieux dans lequel les citoyens sont piégés est réel, face à un État de droit qui oublie qu’il ne peut manquer d’être un État social s’il ne veut pas devenir fantomatique et générer un ressentiment profond, mettant en péril la démocratie solidaire. « Des faits mûrissent dans l’ombre, quelques mains, qu’aucun contrôle ne surveille, tissent la toile de la vie collective, et la masse ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Les destins d’une époque sont manipulés selon des visions étriquées, des buts immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petits groupes actifs, et la masse des hommes ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Mais les faits qui ont mûri débouchent sur quelque chose ; mais la toile tissée dans l’ombre arrive à son accomplissement : et alors il semble que ce soit la fatalité qui emporte tous et tout sur son passage, il semble que l’histoire ne soit rien d’autre qu’un énorme phénomène naturel, une éruption, un tremblement de terre dont nous tous serions les victimes, celui qui l’a voulu et celui qui ne l’a pas voulu, celui qui savait et celui qui ne le savait pas, qui avait agi et celui qui était indifférent. » Gramsci décrit ici le désinvestissement citoyen et l’illusion de la « naturalité » de l’histoire. À l’inverse, cette dernière se nourrit de la « réaction » des minorités actives et de la « faiblesse des vertueux », comme dira plus tard Churchill. Nous ne sommes pas dans cette situation. Les Français se sont clairement départagés entre ceux qui veulent des changements radicaux en matière de politique sociale et de défense des plus vulnérables, certains misant sur le repli, d’autres, à l’opposé, sur une refonte totale du fonctionnement gouvernemental et de la Ve République, et ceux qui veulent une troisième voie, sociale-libérale, tout aussi radicale en matière de dérégulation.
(1) Il vient d’être réédité aux éditions Critiques, préfacé par André Tosel.

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Relire Antonio Gramsci. Et passer de la révolution passive à la révolution active.