« Le Collier d’Hélène » : lorsque le Québec et la Martinique se croisent.

 — Par Alvina Ruprecht —

 
La Compagnie du Flamboyant à la Chapelle du verbe incarné – Avignon 2009

Mise en scène : Lucette Salibur, une production du Théâtre du Flamboyant
Musique : Alfred Fantone
Scénographie, accessoires, costumes, graphisme; Ludwin Lopez
Distribution :
Hélène : Daniely Francisque
Nabil : Patrice Le Namouric
Ruddy Sylaire : plusieurs personnages dans la ville
Lucette Salibur : la femme qui cherche son fils
Le Collier d’Hélène (de Carole Fréchette) a été traduit dans de nombreuses langues et joué à travers le monde. Créée par Nabil El Azan et sa compagnie la Barraca en 2002 puis au Théâtre du Rond-point en 2003, la pièce vient d’être reprise par El Azan avec une distribution palestinienne (voir la critique de Philippe Duvignal). Maintenant, à Avignon, nous pouvons voir une nouvelle mise en scène du Collier créée en 2007 à Fort-de-France par la metteuse en scène martiniquaise Lucette Salibur.
Une réalisation extrêmement intéressante car elle resitue le texte québécois, dans une dynamique nouvelle. Le travail très dépouillé d’El Azan a recours à des films de fond évoquant une ville (peut-être Beyrouth) détruite par la guerre, mais mettant en valeur le personnage principal, Hélène une française de passage dans le pays pour un colloque. Bien blonde, cette Européenne blanche est le symbole d’un premier monde arrogant, riche et indifférant aux souffrances des autres. Vision devenue sans doute, assez stéréotypée de nos jours puisque les populations se déplacent, la richesse se distribue et que l’ethnie n’est plus du tout une indication des catégories politico-économiques associées à un individu.
Voici donc Daniely Francisque (comédienne martiniquaise en plein essor actuellement), jeune bourgeoise antillaise (les références à la conférence universitaire ont été effacées) qui se retrouve dans un pays islamique et arabophone déchirés par la guerre. Certains y ont vu la Palestine, d’autres non mais l’absence de précision est intentionnelle. Entourée de gens dont elle n’est même pas consciente de l’existence, (c’est à peine si elle remarque qu’ils parlent une autre langue), elle cherche désespérément un collier de perles perdu quelque part dans cette ville où les habitants errent dans la détresse, la colère et la folie. Ces personnages victimes qui se défilent dans les décombres, ne comprennent pas son affolement à cause d’un collier alors qu’ils ont perdu leurs familles, leurs maisons, leur vie entière. La rupture culturelle et économique entre Hélène et son entourage est totale et cette aliénation arrive à son comble au moment où Ruddy Sylaire, un pauvre qui erre dans la ville saisit Hélène et la soulève en hurlant « on ne peut plus vivre comme ça ».
Hélène se déplace dans le taxi de ‘Nabil’, une voiture représentée par un pneu que l’acteur fait avancer par deux bâtons comme un jeu d’enfant. Mais ceci n’est pas du tout un jeu d’enfant lorsque cet homme calme, imperturbable, accompagne la femme dans sa quête de son objet fétiche, l’accumulation de tous les manques attribués à la société de consommation : la compassion, l’amour de l’autre et toutes les manifestations de la solidarité humaine. La pièce évolue au hasard des rencontres qui peu à peu, transforment Hélène. Elle peut enfin « voir » les autres, et elle peut enfin entendre le refrain « on ne peut plus vivre comme ça » et se reconnecter avec le monde.
Cette mise en scène, très physique, élimine les manifestations filmiques et situe les corps au centre du jeu. Des fois, l’énergie corporelle nous paraît très juste et nous engage à fond ; d’autres fois cet excès de mouvement perturbe, sans pour autant enlever de l’ensemble une impression de grande humanité, surtout lors de la scène finale entre le chauffeur de taxi Nabil (un chaleureux, sensuel et séduisant Patrice Le Namouric) et une Hélène épanouie (bien cerné par Daniely Francisque), enfin libérée de sa quête névrotique. Ici, Francisque et Le Namouric se fondent l’un dans l’autre, fusionnés dans un élan de tendresse et de sensualité presque brûlante. En effet, Salibur met en évidence par les rythmes corporels l’intensité des émotions et pour insister sur la confusion, les bruitages, l’activité de cette ville étrange qui emporte la femme dans son tourbillon d’intensité, la metteuse en scène inscrit ce corps assaillis dans une chorégraphie inspirée des mouvements circulaires d’un Islam mystique, les rituels liturgiques soufistes des derviches tourneurs.
En revanche, au départ, Daniely Francisque, à la recherche de son bijou, est frappée par une hyperactivité névrotique qui, à mon avis, aurait pu se ralentir plus tôt, surtout puisque nous comprenons rapidement ce que cette frénésie corporelle signifie. L’arrivée de Ruddy Sylaire (un excellent Othello dans une mise en scène récente de Denis Marleau à Montréal) qui étale ses chiffons devenus des cadavres gisant dans la rue, se livre à des moments quasi burlesques qui me semblaient déplacés. Il est vrai que la présence de Sylaire est si forte que le moindre effort de cet acteur à la voix superbe prend des proportions énormes. Il faut ménager cet acteur, une force de la nature, ce que Denis Marleau et José Exélis (metteur en scène martiniquais – Théâtre des enfants de la mer) ont bien compris. De toute manière, un Hélène moins frénétique au début aurait mieux mis en évidence l’explosion de colère de Sylaire qui arrive plus tard, lorsqu’il soulève une Hélène terrifiée dans un geste de violence qui annonce des vengeances meurtrières possibles. Un moment intéressant qui frôle une réflexion politique tout à fait bien placée. Ce moment cathartique selon la lecture de Salibur se retrouve aussi (mais marquée par un rythme plus hiératique) dans la rencontre tragique avec la mère à la recherche d’un fils disparu qu’elle savait déjà mort, Salibur, qui joue cette mère frappée par la folie, les larmes aux yeux, cerne avec une finesse extraordinaire, toutes les nuances de la situation tragique. Sa gestuelle d’une lenteur gracieuse lorsqu’elle manipule les tissus qui recouvrent sa tête, révélait un jeu discret et délicat qui donnait à sa douleur une délicatesse lumineuse. Une douceur presque maladive devant une telle horreur, qui a rendu le jeu de Salibur profondément émouvant. Ce sont dans ces moments qu’elle cerne l’essence affective que l’auteure Fréchette aurait souhaité capter.
Jusqu’à présent je connais le travail de Lucette Salibur par ses spectacles pour jeune public. Il est évident cependant qu’elle est une comédienne accomplie qui devrait élargir son répertoire et jouer plus souvent les rôles plus difficiles comme celui-ci. D’ailleurs, dans la mouvance de l’esthétique scénique actuelle, sa formation dans le domaine des marionnettes (ce qui explique sans doute son approche si physique avec l’acteur), pourrait l’amener à inscrire ces figures symboliques dans des mises en scènes pour adultes. Surtout en collaboration avec le scénographe Ludwin Lopez (artiste formé au conservatoire de la Havane et cofondateur de la troupe martiniquaise Les Corps beaux) une telle collaboration pourrait renouveler les traditions de mise en scène en Martinique.
Cette production du Collier d’Hélène fera l’objet d’une table ronde en présence de la metteuse en scène et de l’auteur lors d’un colloque à Montréal au mois d’octobre (Les Théâtres francophones en Amérique), organisé par Gilbert David, professeur à l’université de Montréal.
Alvina Ruprecht
Avignon, France, 2009