Le ciel de la philosophie, le sel de la poésie

 

— Par Nicolas Dutent —

Que pense le poème ? d’Alain Badiou. Nous, 192 pages, 20 euros

« La Cité dont nous venons d’établir le principe est la meilleure, grâce aux mesures prises à l’encontre de la poésie ». La citation est glaçante, comme un son perçant dans la nuit. Ce coup porté à la poésie, entendue comme mimèsis,​ ne vient pas de nulle part. Il est asséné par le premier philosophe, Platon, du côté d’Athènes, à l’époque classique. C’est à partir de ces prémisses, de cette méfiance lointaine qui ressemble désormais à un contentieux, que le philosophe Alain Badiou invite rapidement le lecteur à se frotter à sa problématique : Que pense le poème ? Il fallait un amoureux de la poésie et un philosophe savants pour démêler un tel nœud philosophique.

Voilà pour le décor. Mais quel paysage avons-nous sous les yeux ? Si la poésie compte encore des alliés, force est de constater que « le décompte culturel est oublieux du poème. C’est que la poésie supporte mal qu’on exige d’elle la clarté, l’audience passive, le message simple. Le poème est un exercice intransigeant. Il est sans médiation, et il est aussi sans médiatisation. Le poème reste rebelle – d’avance vaincu – à la démocratie du sondage et de l’audimat ». Qu’est-ce alors qu’un poème ? « C’est simplement un dire, une déclaration qui ne tire son autorité que d’elle-même » résume-t-il. Dit autrement, le poème « est une pensée qui est son acte même ». Pourquoi, au fond, la poésie déconcerte-t-elle la philosophie ? A nouveau, la réponse est juste et nette : « le poème est, exemplairement, une pensée qui s’obtient dans le retrait, la défection, de tout ce qui supporte la faculté de connaître »…

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