Le bèlè, mémoire martiniquaise

 — Par Christian Antourel —

Aux tambours, Félix Casérus et Paul Rastocle. A. CHAULEUR

SAINTE-MARIE (Martinique) ENVOYÉ SPÉCIAL

Des chants accompagnés de percussions à découvrir au festival Africolor, en Seine-Saint-Denis, et aux Transmusicales de Rennes

C’est l’histoire d’une musique qui remonte au temps de l’esclavage, en Martinique. Un chant mêlé de voix, tambours et tibwa (baguettes frappées à l’arrière du tambour), accompagné de danses renvoyant à l’Afrique, mais aussi au quadrille des anciens colons. Une expression rustique, longtemps déconsidérée, réhabilitée depuis une vingtaine d’années.

Désormais fierté de tous les Martiniquais, le bèlè (ou  » bel air « , pour franciser le mot créole) a ses maîtres, ses anciens. Benoît Rastocle, Félix Caserus, Marcel Jupiter, Berthé Grivalliers font partie de ces passeurs de mémoire de l’identité martiniquaise.

A l’occasion de la sortie de l’album Les Maîtres du bèlè de Sainte-Marie (Buda Musique/Socadisc), regroupant cinq chanteurs et quatre tanbouyé (joueurs de tambours) bèlè, ils font une tournée en métropole, passant par le festival Africolor en Seine-Saint-Denis et les Trans Musicales de Rennes.

UN FLAMBOYANT MESSAGER

L’initiative est conduite par la Maison du bèlè, association culturelle basée dans la commune de Sainte-Marie, au nord de l’île, berceau de la tradition. Implantée au quartier Reculée, la Maison du bèlè abrite une exposition permanente,  » Les grandes figures du bèlè « , conçue par Dalila Daniel, retraçant l’histoire de ce patrimoine artistique rural.

Elle organise aussi des cours de tambour et de danse, des concerts, des ateliers, un festival (Bèlè Mundo, dont la première édition a eu lieu en avril), des rencontres et des échanges.

En octobre, elle recevait en résidence Danyel Waro, flamboyant messager du maloya, le blues ternaire de la Réunion, hérité, comme le bèlè en Martinique ou le gwo ka en Guadeloupe, du temps de l’esclavage.

 » Pour moi, dans le bèlè, il y a la même profondeur que dans le maloya, note le chanteur. Le chant se répète et les choeurs lui répondent. En Martinique, comme en Guadeloupe et à la Réunion, on utilise un tambour fait d’un ancien tonneau ou d’un tronc, sur lequel on s’assied pour le frapper des deux mains, parfois du pied. Il y a une ressemblance physique flagrante. La tradition maloya chante la vie de tous les jours, comme le bèlè, la danse est libre et sensuelle. Les îles ont gardé tout cela de l’Afrique, chacune l’adaptant à sa façon. « 

Le samedi 7 octobre, une des  » swaré bèlè  » organisées régulièrement par la Maison du bèlè démontrait ce cousinage. Les maîtres avaient invité Danyel Waro et ses musiciens à les rejoindre sur le podium. On a vu jaillir ce soir-là des jeunes femmes vibrantes d’énergie pour faire vivre cette musique, comme Vaïty,  » rattrapée, confiait-elle, par le tambour à 28 ans « .

Félix Caserus, 73 ans, l’un des quatre à se rendre en métropole, se réjouit de cette relève mais se méfie des mélanges entre les sons urbains et le bèlè. Dans la salle se mêlaient des anciens, des gosses, des rastas, de jeunes loups affichant les tenues des amateurs de dancehall et raggamuffin, les musiques jamaïcaines en vogue dans la jeunesse antillaise. Une mixité qui ne trompe pas : les swaré bèlè sont fédératrices.

 » VOLONTÉ DE VIVRE « 

L’auteur antillais Raphaël Confiant a consacré un roman au bèlè (Le Meurtre du Samedi-Gloria, Mercure de France).  » Quand j’étais enfant, au tout début des années 1950, se souvient-il, au fin fond d’une campagne du nord de la Martinique, j’ai eu souvent l’occasion d’assister à des danses de bèlè. « 

Cela se déroulait le samedi soir, après la paie des ouvriers agricoles et des employés d’usines et de distilleries de la région.  » Ce qui m’a frappé à l’époque, c’était de voir à quel point ces personnes qui, dans la vie quotidienne, étaient plutôt ternes ou tristes, à cause de l’exploitation éhontée qu’elles subissaient, étaient transfigurées lorsqu’elles se mettaient à danser, hommes et femmes mêlés. Ce qui m’attirait, c’étaient les pas de danse et surtout la voix des chanteurs de bèlè qu’on aurait dit surgie du fin fond des âges, du tréfonds de l’Afrique perdue. « 

Cette voix charrie,  » de manière paradoxale, une tristesse sourde et une énergie phénoménale. Elle témoigne d’une longue souffrance et d’une volonté de vivre tout à la fois « .

Patrick Labesse

© Le MondeAUTOUR DU BELE

L e 30 novembre à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire), centre culturel André-Malraux ;

le 1er décembre à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), festival Africolor, Théâtre Gérard- Philipe, avec Dédé Saint-Prix ;

les 7 et 8 à Rennes (Ille-et-Vilaine), Trans Musicales, salle de la Cité et Le Jeu de l’Ouïe

le 12 à Saint-Vallier (Saône-et-Loire), espace culturel Aragon ;

le 15 à Rouen (Seine-Maritime), Hangar 23, Théâtre Duchamp-Villon.

Ecouter. Les Maîtres du bèlè de Sainte-Marie, 1 CD Buda Musique/Socadis (2005) ; Vwa Drésé, vol. 2, 1 CD Mizik label (2005) ; Duo bèlè, de Vaïty, 1 CD Mizik Label (2005).

Lire. La Ronde des derniers maîtres du bèlè, de Jean-Marc Terrine (HC éditions, 2004) Le Meurtre du Samedi-Gloria, de Raphaël Confiant (Mercure de France, 1997, Folio).

Surfer. www.lamaisondubele.com

Le Monde 1er Décembre 2006