Le 6ème festival de marionnettes

— Par Selim Lander —

Pendant huit jours, du 4 au 11 février, à l’initiative de Jala et en collaboration amicale avec le CEMEA (Centre d’entraînement aux méthodes de l’éducation active), la ville de Case-Pilote organise le 6ème festival « BBM » (pour Bamboula Bwabwa et Marionnettes). Deux compagnies venues d’Amérique latine, un Français (Métropole), notre Jala enfin proposent quatre spectacles relevant de genres très différents. Le Prêcheur et Schœlcher (théâtre A’ZWEL) accueillent également chacun deux de ces spectacles.

Marottes : Bélie et Zélie au fil de l’eau

À tout seigneur toute honneur. On ne présente plus Jala qui combine les talents d’auteure, conteuse et marionnettiste ventriloque. Son spectacle tiré de l’album éponyme[i], qui s’adresse aux jeunes enfants, atteint parfaitement sa cible. Retenir l’attention des élèves de la petite section de maternelle pendant presque trois quarts d’heure d’horloge est en effet un exploit qu’elle semble accomplir sans peine. Il faut dire que les marionnettes qu’elle a confectionnées elle-même sont charmantes et que les séquences très variées s’enchaînent sans temps mort. Elle utilise le plus souvent des « marottes », c’est-à-dire des figures animées par une simple tige fixée à l’arrière. C’est en particulier le cas pour les deux héroïnes de l’histoire, deux ravissantes libellules anthropomorphes, Zélie et Bélie. La première ne cesse de se mettre dans des mauvais cas dont la seconde la tirera sans coup férir. Au fil de l’histoire apparaissent des personnages qui font parfois appel à d’autres techniques comme l’oiseau-« marionnette à gueule » (on le fait parler en ouvrant et fermant son bec avec la main à l’intérieur) et un zandoli-« marionnette à fil » particulièrement réussi. Parmi ces personnages, on remarque un seul humain (le coupeur de cocos) à côté d’une foule d’animaux, bœuf, crapaud, hippocampe, serpent, coccinelle, pipiri, moustique etc. Cela étant, Bélie et Zélie au fil de l’eau, loin d’être un simple divertissement, est un conte écologique particulièrement efficace. Ne voit-on pas défiler sur la scène, à côté des marionnettes, les détritus et autres épaves[ii] qui polluent notre environnement ? Et Jala d’insister – « C’est mal ! » – recueillant instantanément l’acquiescement des enfants (puissent-ils ne pas oublier cette leçon…). L’artiste ne manque pas, chemin faisant, de rappeler quelques règles simples, par exemple de recueillir l’eau de pluie dans des bidons fermés (illustrés ici par une simple boite de conserve recouverte d’un bout de papier bleu). Belle pièce, distrayante et utile à la fois : que demander de plus ?

Théâtre d’objets : Sopa de Estrellas

Des trois spectacles invités, celui de Fernan Cardama, un Argentin d’origine, se détache clairement du lot. Sa « soupe d’étoiles », qui trouve effectivement son illustration dans le spectacle – un de moments les plus poétiques de la pièce – présente deux qualités essentielles : l’empathie, essentielle puisqu’il est constamment présent sur scène, celle d’un comédien modeste qui passe pourtant le rampe comme sans effort ; la poésie, déjà mentionnée à propos d’un moment particulier mais qui plane sur toute l’histoire de Blas (inspirée de Mercedes Pérez Sabbi), un garçon pauvre obligé de gagner sa vie en ramassant des vieux cartons. Les accessoires ont évidemment toute leur importance, s’agissant d’un théâtre d’objets. De Blas, on ne voit tout d’abord que la tête et le bâton qui servira à le manipuler, une boule blanche où sont seulement dessinés les deux yeux et la bouche. Aouter un petit sac de plastic blanc (comme en donnent les marchands de légumes) et voilà de quoi lui faire un corps ! Rudimentaire, certes, mais c’est le principe de ce spectacle fait de bric et de broc. Le chien de Blas, nommé Allumette ? Il est confectionné, comme de juste, avec deux boites d’allumettes, une grosse pour le corps, une petite pour la tête et une simple allumette en guise de queue ! Une barque (puisque la ville se trouve à un moment inondée) ? Une boite de sardines munie d’avirons miniatures fera l’affaire ! Le décor ? Des cartons ! Une fois retournés ils deviendront des immeubles qui s’illuminent. Une ficelle tendue sur deux baguettes et voilà de quoi suspendre dans le ciel de la ville les étoiles annoncées par le titre. L’accessoire le plus volumineux est une charrette à bras qui sert suivant les circonstances de moyen de transport pour la récolte de Blas ou de support pour le décor urbain. Astuces : la charrette contient un dispositif permettant de faire avancer sa reproduction en réduction poussée par un Blas minuscule ; retournée, elle devient parc d’attraction, avec sa grande roue. Qu’est-ce qu’un spectacle réussi sinon celui qui par la grâce des acteurs nous transporte dans un monde enchanté ? Fernan Cardama est un comédien-manipulateur-conteur capable de créer un tel monde avec presque rien. La magie, quoi ! Qu’il s’exprime dans un français approximatif ne diminue en rien la qualité de sa prestation. Au contraire, peut-être, puisque cela renforce le côté arte povera de la pièce.

Marionnettes à fil : Marionetas en cuerda,

Une pièce de la compagnie mexicaine Titirosol. Plusieurs marionnettes à fil représentent des personnages variés qui jouent chacun avec son accessoire. Se succèdent ainsi footballeur-équilibriste, jongleur, charmeur de serpent, fakir, haltérophile, un ours et un chien en peluche. Parmi les clous du spectacle, un numéro de tapis volant et, en guise de dernier tableau, un envol de bulles de savon (hélas perturbé par un courant d’air malveillant). Nous avons assisté à la représentation de Marionetas en cuerda en même temps que les élèves de deux classes des carrières médico-sociales du lycée professionnel de Trinité. Des élèves attentives mais peu réactives. De fait la pièce traîne en longueur. Chaque personnage a un registre limité et, du coup, son numéro lasse assez vite. En outre, le principal marionnettiste, Alberto Palmero, constamment en scène, ne parvient pas à créer avec le public l’empathie si nécessaire ! Il donne l’impression d’effectuer sa prestation mécaniquement, comme une corvée, alors qu’il devrait communiquer sa passion aux spectateurs. Peut-être n’était-il pas en forme, ce jour-là ? Les marionnettes, pourtant, sont toutes réussies et le principal défaut de cette pièce est sans doute qu’elle se résume à une suite de séquences sans lien entre elles.

Théâtre d’ombre : Le Chat botté

Luc Peseux interprète Le Chat botté avec des silhouettes articulées dont l’ombre se projette sur un écran, ou plutôt plusieurs écrans qui se dévoilent peu à peu dans un échafaudage qui tient lieu également de castelet pour deux marionnettes à main représentant respectivement un pingouin et un lapin qui interviennent ponctuellement après avoir présenté le spectacle. Face au même public, cette pièce n’a rencontré à nouveau qu’un intérêt poli. Rien ne prouve pourtant que les lycéennes connaissaient toutes le conte mais les manipulations manquaient de précision, les enchaînements paraissaient laborieux et la voix du conteur – mal amplifiée – n’aidait pas. L’impression générale était celle d’un certain manque de professionnalisme.

 

[i] Bélie épi Zélie alantou dlo – Bélie et Zélie au fil de l’eau, Éd. Orphie, en français avec un CD qui raconte l’histoire dans cette langue et en créole.

[ii] Cf. Cf. Michel Herland, « Indignons-nous ! », http://www.madinin-art.net/indignons-nous/