L’autre Césaire : Suzanne, lumineuse dissidente

— Par Dominique Daeschler —

En fond d’un plateau noir, de dos, trois femmes accoudées à une table de bar, nous offrent, sur un air jazzy mâtiné de lumières tamisées, la vision de postérieurs joliment gainés. Atmosphère ! Atmosphère ! La volteface n’en est que plus saisissante !
En s’avançant sur le devant de la scène avec table et sièges, le temps d’un verre partagé, elles saisissent à bras le corps le verbe de Suzanne Césaire, proche des surréalistes et plume acérée de Tropiques.
C’est dans les écrits de dissidence que Daniel Maximin (auteur d’un livre sur Suzanne Césaire) s’est plongé pour constituer ce qui fait spectacle. Bonne pioche. Hassane Kouyaté, pour servir sa mise en scène les a assemblés à sa guise, prenant comme point de départ la terre insulaire.
L’écriture de Suzanne Césaire est dansante, imagée dans la forme, maniant la formule et l’incise. C’est sans détours ni ménagements qu’elle trace l’histoire de « sa » Martinique, nous faisant entrer, presque par effraction, dans sa terre. Odeur de la canne, chant du pipiri, luxuriance de la végétation : : on est loin d’un exotisme de carte postale. Cette volupté cache une société en éternel questionnement où l’homme héritier du secret et du caché de l’esclavage et de la colonisation, cherche encore sa liberté. Les mots sont durs, tranchants, serrés comme des lianes autour du tronc d’un mahogany. Ces vagues attendent le ressac comme un jeu de rôle.
C’est ce jeu de rôle que reprend Hassane Kouyaté en distribuant la parole à trois comédiennes. Ceci contribue à brosser un portrait contrasté de Suzanne Césaire, alliant force et féminité, valorisant la complicité des femmes « potomitan » de la société martiniquaise. Elles se renvoient la balle avec quelque chose qui tient de « l’adresse » et du combat : l’une plus lascive, les autres plus doctes ou plus distanciées
La force d’Hassane Kouyaté, dans cette appréhension du multiple et de l’unique, qui pose, en filigrane, le problème de l’identité est la direction d’acteurs. On regrettera cependant un jeu un peu trop stéréotypé, un rien mécanique dans les attitudes. Nicole Dogué porte plus que les autres la légèreté et la gravité du théâtre, dans la pleine conscience d’une parole éminemment politique.