L’autoradicalisation, une disposition psychique mortifère

— Par Dominique Jacques Roth, psychanalyste et auteur —

mere_titulaire_pere_benevoleLes attentats qui se perpétuent depuis 2015 ne sauraient être empêchés sur un mode seulement mécanique, car dès qu’un nouveau est perpétré, il n’est plus question que d’instaurer de nouvelles mesures sécuritaires, comme si l’éradication du terrorisme se réduisait à la mise en place de mesures répressives supplémentaires. Un tel empressement occulte le fait que les idéaux d’une société gestionnaire invalident le père comme tiers de la parole, car c’est la catégorie du père elle-même qui défaille dans le discours contemporain. L’auto-radicalisation participe d’une disposition psychique mortifère qui prend des allures protéiformes. « Faire bloc contre le terrorisme » suppose aussi et avant tout une analyse de la manière dont les pères des nations, leurs présidents et leurs élites manient l’ordre symbolique, pour accrocher la problématique terroriste à des causes bien plus profondes, constamment éludées.

La prolongation de l’état d’urgence et la mise en place de mesures de sûreté ne suffiront jamais à mettre un terme à une forme de guerre non conventionnelle née d’une parole paternelle défaillante. Qu’un président et son premier ministre se pressent au chevet des victimes ne changera rien au mensonge ou à l’hypocrisie de propos qui ne sont plus dignes de foi. Pour ne prendre qu’un exemple, déclarer que « la finance est l’ennemie » pour faire le contraire produit des conséquences incalculables dans le rapport éminemment problématique que les enfants de la nation entretiendront ensuite avec la parole. Comment s’identifier à la parole à géométrie variable d’un père égaré ou confus ? À vouloir s’en prémunir, on ne peut que s’en différencier. Le self-service normatif de sujets perturbés qui en résulte mérite d’être traité en symptôme social et non comme la cause des exactions commises. La nouvelle forme de mise à mort des fils passe par une désubjectivation de masse qui s’alimente aux faux-semblants émanant des niveaux institutionnels les plus élevés qui abandonnent la référence fondamentale du bien commun au profit des banques et des multinationales. Le discours d’un sujet monumental déconnecté d’une parole digne de foi peut produire un État carent dans lequel la science, la technique et le marché monopolisent la référence au détriment du tiers social, qui préside à un débat démocratique garanti par un père attentif, conditionnant l’entrée de ses enfants dans un discours de Raison bienveillante à l’égard des peuples. En massacrant les fils et les filles d’un père carent, les meurtriers tuent les enfants, effigies vivantes d’une référence en errance. Les actes fous perpétrés par des sujets en demande de pères fiables sont des actes en transit dans la tentative folle et désespérée de nous faire entendre leur aberrante rationalité. La rationalité religieuse elle-même ne constitue le plus souvent qu’un artefact faisant office d’alibi inconsistant, trahissant la déshérence subjective d’individus qui s’attaquent sur le mode inconscient à la construction même d’une Raison en perdition. Traiter ce symptôme suppose la restauration d’une parole paternelle fiable pour éviter que de nouveaux massacres ne s’alimentent au même défaut d’institution de sujets valides.

Psychanalyste
Dominique-Jacques Roth est psychanalyste et psychologue clinicien. Docteur de l’université Paris VII, il a derrière lui plusieurs années d’expérience de cadre en entreprise et à l’international. Outre des articles parus dans Apertura, divers revues et journaux, il a publié « Critique du discours STM (scientifique, technique et marchand). Essai sur la servitude formelle » aux Editions Erès.

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