L’Assemblée nationale supprime le mot « race » de la législation

amjLes députés ont adopté jeudi une proposition de loi du Front de gauche, dont le rapporteur était Alfred Marie-Jeanne, supprimant le mot « race » de la législation française. 

La majorité PS s’est ralliée à cette proposition soulignant qu’il s’agissait d' »une première étape ». François Hollande s’était en effet engagé pendant la campagne présidentielle à supprimer le mot « race » de la Constitution.

Le texte, débattu dans le cadre d’une « niche » parlementaire réservée aux propositions du Front de gauche, se propose donc de supprimer le mot « race » du Code pénal, du Code de procédure pénale et de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Le rapporteur de la proposition, Alfred Marie-Jeanne, a fait valoir que le mot « race », « ce concept aberrant, ayant servi de fondement aux pires idéologies, n’a pas sa place dans notre ordre juridique ».(lire ci-après l’intervention à la Chambre)

Pour ne pas risquer de faire tomber l’incrimination de racisme, les députés socialistes ont fait adopter un amendement affirmant explicitement, dans l’article premier, que « la République combat le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Elle ne reconnaît l’existence d’aucune prétendue race ».

Pour les députés PS, Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, la suppression du mot dans la législation « n’est qu’une première étape ».

« Un acte nécessaire »

A l’Elysée, on a récemment assuré que la promesse de François Hollande n’était « pas enterrée » mais qu’elle ne pouvait être insérée dans la première révision constitutionnelle prévue pour le 22 juillet.

La Garde des sceaux, Christiane Taubira, a salué « un acte nécessaire, noble, fort, dans une période où l’on voit une résurgence, une désinhibition du rejet de l’autre ». « Le message est bienvenu », a-t-elle dit.

Jean-Frédéric Poisson (UMP), avant d’annoncer que « personnellement », il s’abstiendrait, a pour sa part jugé: « Evidemment, votre proposition a du sens (…) mais supprimer ce mot dans la législation sans l’éliminer dans le bloc constitutionnel pose un problème juridique ». Il a aussi soulevé la question sémantique du remplacement du mot. « Vous proposez origine ou ethnie mais je ne suis pas sûr que ce soit satisfaisant ».

Lionel Tardy (UMP), qui s’est prononcé contre, a pour sa part stigmatisé « une démarche qui aboutit aux idéologies totalitaires ». « On ouvre une boîte de Pandore (…) les juges ont assez de travail comme ça! ». « On ne change pas la réalité en changeant les mots », a-t-il ajouté avant de lancer: « Vous gaspillez beaucoup de temps et d’énergie pour des chimères ».

Philippe Gomes (UDI) a voté le texte même s’il a émis des doutes: « Pensez-vous que supprimer un mot fera s’envoler la peste brune de la haine ordinaire? ». D’autres députés UDI se sont abstenus jugeant que le texte risquait affaiblir l’appareil juridique existant pour lutter contre le racisme.

Comme ses collègues de la majorité, l’écologiste Sergio Coronado a salué « une première étape ». « Il faut débarrasser notre législation de ce terme », a-t-il dit.

 

Par LEXPRESS.fr, publié le 16/05/2013 à 21:22, mis à jour à 21:24

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Intervention d’Alfred Marie-Jeanne, rapporteur du projet de loi

Le concept de « race », chacun s’accorde à le reconnaître, a servi de fondement aux pires idéologies et a conduit à la mort de millions d’êtres humains. Ce concept scientifiquement aberrant n’a pas sa place dans l’ordre juridique, même si c’est pour condamner toute discrimination fondée sur une prétendue « race ». Sa suppression ne fera évidemment pas disparaître le racisme. Elle ôtera cependant au discours raciste, hydre à nouveau rampant, la forme de légitimation de l’existence « des races » qu’il peut tirer de la présence de ce mot dans la législation. Vouloir maintenir à tout prix le mot « race », n’est-ce pas en effet admettre implicitement son existence ? Le code pénal se réfère à l’appartenance réelle ou supposée à « une race ». C’est un comble ! Qu’est-ce donc que « l’appartenance réelle à « une race » ?
Or la biologie et la génétique nous enseignent que la race humaine est une. La langue du droit ne doit pas employer celle des préjugés, au motif douteux que seule cette dernière serait compréhensible par le citoyen. Les mots ont leur importance, et,
comme l’a écrit si pertinemment Albert Camus, « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde ».
Le bannissement de ce terme a été proposé à plusieurs reprises au cours des dix dernières années, par le groupe socialiste ainsi que par le groupe auquel j’appartiens.
En 2003, le groupe communiste et républicain obtint qu’une proposition de loi, proche de celle que je vous présente aujourd’hui, soit discutée en séance publique, avec pour rapporteur notre ancien collègue Michel Vaxès. Cette proposition de loi a été défendue en personne par plusieurs d’entre nous – le président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas, lors de la révision constitutionnelle de 2008. Plusieurs membres actuels du Gouvernement (le Premier ministre, la garde des Sceaux, le ministre de l’Intérieur, le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, le ministre des Outre-mer, pour n’en citer que quelques-uns) l’ont également défendue lorsqu’ils siégeaient sur les bancs de l’opposition.
Chacune de ces initiatives de suppression du terme « race » a été repoussée par la majorité de l’époque, sous des prétextes divers, en affirmant chaque fois qu’elle partageait évidemment l’objectif, mais qu’il fallait attendre, créer un groupe de travail, étudier encore, que l’heure n’était pas venue, que ce n’était « pas mûr »… et que sais-je encore !
Le président de la République ayant pris l’engagement de supprimer le mot « race » de la Constitution, j’ai de bonnes raisons d’espérer que cette suppression pourra, enfin, être opérée, au moins de notre législation pour commencer.
1. L’histoire du concept de « race » en droit français prouve une certaine malléabilité ambiguë de son emploi selon les circonstances et les enjeux.
Au début, le terme « race » a servi de fondement aux discriminations racistes. Il sous-tendait déjà, de facto, toute la législation coloniale. S’il n’apparaissait pas expressément dans le « code noir » élaboré par Colbert et promulgué en 1685, il va de soi que l’esclave est noir. La seconde version du « code noir », édictée en 1724, emploie les mots « esclaves nègres », par opposition aux « blancs ». C’est cependant sous Vichy, avec la législation antisémite, que la « race » est véritablement devenue une catégorie juridique en droit français, avec le statut des Juifs de 1940.
Après 1945, ce mot n’est plus employé que pour prohiber les comportements racistes. Il a été introduit, subrepticement, dans le Préambule de la Constitution de 1946. Je dis « subrepticement » à dessein, car les travaux préparatoires de ce préambule, que j’ai étudiés, révèlent en effet que l’amendement qui a introduit le mot « race », proposé par Paul Ramadier, prévoyait d’inscrire les termes « sans distinction de sexe, de religion, ni de croyances ».
Ma surprise a été grande lorsque j’ai constaté que c’est dans le texte établi, après une suspension de séance, que le mot « sexe » a été remplacé par celui de « race », en contradiction avec l’amendement adopté et sans aucune explication ! En 1958, la formule de 1946 ne figurait, ni dans l’avant-projet établi par le Gouvernement, ni dans les avis du comité consultatif constitutionnel et du Conseil d’État. Ce n’est qu’in extremis, sans que l’on sache si cet ajout donna lieu à un débat, que le mot « race » fut inséré par le Conseil des ministres, à l’article 2, devenu ensuite l’article premier en 1995.
Aujourd’hui, le mot « race » ou ses dérivés apparaissent dans la partie législative de 9 codes – tels que le code pénal, le code de procédure pénale, le code du travail ou le code du sport
– et dans 13 lois non codifiées. Au total, 59 articles sont concernés. C’est évidemment l’ensemble de ces textes qu’il faut « toiletter », et non les seuls articles visés initialement par la proposition de loi.
2. Il faut, cela va de soi, que la suppression du mot « race » de la législation ne diminue en rien l’efficacité de la lutte contre le racisme. Sur ce point, la proposition de loi, dans sa version initiale, soulevait certaines difficultés. Elle supprimait en effet purement et simplement les termes « race » ou « racial » des dispositions dans lesquelles ils étaient accompagnés des mots « origine » ou « ethnie ». Par ailleurs, dans les dispositions où le mot « race » était présent, sans que les mots « origine » ou « ethnie » ne le soient, il était proposé de substituer le mot « ethnie » au mot « race » ou l’adjectif « ethnique » au mot « racial ». Je pense que cette option comportait un risque, certes faible mais réel, de créer un vide juridique, dès lors que ni l’origine ni l’ethnie ne sont des synonymes du mot « race ».
Après avoir consulté de nombreux experts de la lutte contre le racisme, oeuvrant dans le secteur associatif, ainsi que des professeurs de droit, la solution à laquelle je suis parvenu, et qui a été adoptée par la commission des Lois, est de substituer le mot « raciste » ou un membre de phrase le comprenant, aux mots « race » et « racial ». L’« incitation à la haine raciale » devient ainsi « l’incitation à la haine raciste ». Les « persécutions raciales », les « persécutions racistes », les « discriminations raciales », les « discriminations racistes », etc. Cette solution fait disparaître toute idée de légitimation de la notion de « race », tout en garantissant parfaitement la sécurité juridique. La substitution opérée est juridiquement neutre : tous les comportements racistes incriminés sous l’empire de la législation actuelle le resteront, de manière rigoureusement identique, avec la loi issue de nos travaux. Politiquement, le message est simple et clair : « les races » n’existent pas, le racisme, si, et la France le combat fermement. Juridiquement, l’état du droit n’est pas altéré.
3. Dès lors qu’un substitut adéquat a été trouvé, les arguments opposés par la majorité d’hier à la suppression proposée tombent d’eux-mêmes.
Il n’y a aucun risque de créer un « vide juridique » dans la lutte contre le racisme.
Il n’y a pas davantage de risque d’incompatibilité de notre droit avec le droit international et européen. Je n’ignore pas que beaucoup d’instruments du droit international et européen comportent le mot « race ». On le retrouve, par exemple, dans les pactes internationaux de 1966 sur les droits civils et politiques, et sur les droits économiques, sociaux et culturels, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans la Convention de Genève de 1951. Dès lors que la France continuera de réprimer les comportements racistes de manière identique, elle continuera à respecter ces instruments.
Le droit international et le droit européen n’imposent pas de reprendre exactement les mêmes termes. Seul importe que le résultat fixé soit atteint.
Ce qui est surprenant, c’est que certains proposent encore d’attendre que le mot « race » soit supprimé du droit international et du droit européen avant de réformer le droit français. Il s’agit évidemment d’un prétexte pour que cette suppression ne se fasse jamais. C’est, au contraire, en faisant preuve de volontarisme et en commençant par supprimer ce mot de notre législation que nous pourrons convaincre nos partenaires qu’une telle suppression est possible, et les inciter à faire de même. La France s’honorerait en menant ce combat là.
Si la France avait attendu, par exemple, que la peine de mort soit abolie dans tous les autres États, elle la pratiquerait encore sans nul doute !
Pour terminer, je précise, que je ne suis pas partisan de la suppression du mot « race » du préambule de la Constitution de 1946. Contrairement à la Constitution de 1958, qui doit s’adapter aux évolutions de notre société, le préambule de 1946 est le reflet de principes affirmés à une date donnée. Le retoucher serait un anachronisme. Si l’on allait jusqu’au bout d’une telle logique, on en viendrait à supprimer, au nom de la laïcité, la référence à l’Être suprême dans le préambule de la Déclaration de 1789… Il faudra, en revanche, réviser l’article premier de la Constitution. On peut regretter que cette révision ne fasse pas partie des projets de lois constitutionnelles présentés par le Gouvernement. Rien ne s’oppose pour autant à ce que nous commencions par supprimer le mot « race » de la législation, et que la révision constitutionnelle intervienne postérieurement.
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Pour toutes ces raisons, je vous invite, chers collègues, à adopter la présente proposition de loi. La majorité d’aujourd’hui doit se montrer fidèle aux engagements pris par le passé, lorsqu’elle était dans l’opposition, et traduire maintenant ses discours en actes.
Ne reportons pas une énième fois, pour des prétextes fallacieux, une réforme que nous souhaitons tous en fait ! Car c’est une réforme de bon sens, une réforme humainement nécessaire qui arrive à point nommé par ces temps de confusions et de repositionnements racistes électoralistes exacerbés.
Paris le jeudi 16 mai 2013
Alfred MARIE-JEANNE