Lampedusa : ce que nous disent les gouffres

— Par Patrick Chamoiseau —

Toute horreur crée son gouffre

ainsi celle de la Traite à nègres qui fit de l’Atlantique

le plus grand oublié des cimetières du monde

(crânes et boulets relient les îles entre elles 

et les amarrent aux tragédies du continent)

 

Le gouffre chante contre l’oubli

en roulis des marées

en mots de sel pour Glissant pour Walcott et pour Kamau Brathwaite

(fascine des siècles dans l’infini de ce présent où tout reste possible)

 

Celui de l’Atlantique s’est éveillé

clameurs en méditerranée ! 

l’absurde des richesses solitaires

les guerres économiques

les tranchées du profit

les meutes et les sectes d’actionnaires

agences-sécurité et agences-frontières

radars et barbelés

et la folie des murs qui damnent ceux qu’ils protègent

 

chaussures neuves et crânes jeunes font exploser les vieilles concentrations !

 

les gouffres appellent le monde

les gouffres appellent au monde

 

les vents qui donnent l’humain

l’humain qui va au vent

les aventures des peurs et des désirs

la seule richesse des expériences menées à la rencontre

les solidarités qui se construisent et qui construisent

les coopérations qui ouvrent et qui assemblent

et le suc et le sel de l’accueil qui ose

 

L’enfant a eu raison de mettre ses chaussures neuves

ce qu’il arpente au delà de nos hontes

c’est le tranchant des gouffres génériques

qui signalent sous l’horreur

et qui fixent sans paupières

l’autre possible ouvert du meilleur de nous

 

en ombres en foudres en aubes

les gouffres enseignent longtemps

 

(toute douleur est apprendre et ce chant est connaître)

 

chant partagé d’une même planète.

 

 

Patrick CHAMOISEAU

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