« L’Amitié de Roland Barthes » par Philippe Sollers

barthes_rolandAux yeux de Barthes, Sollers incarnait la figure de l’écrivain contemporain, en quête du nouveau. Trente-six ans après le Sollers écrivain, Philippe Sollers consacre un livre à celui qui fut son ami, dans le partage d’une foi entière en la littérature comme force d’invention, de découverte, de ressource, d’encyclopédie.

Ils se voyaient régulièrement, échangeaient beaucoup, et ont partagé des combats importants, contre les académismes, contre les régressions politiques ou idéologiques. Barthes a éclairé le travail de Sollers par des articles qui demeurent d’une parfaite actualité. Sollers a été, dès les Essais critiques en 1964, l’éditeur de Barthes au Seuil, dans sa collection Tel Quel, et a été bouleversé par sa mort accidentelle en 1980. Bref, ils étaient très proches, dans leurs différences, et Sollers dit ici ce que cela représentait, à l’époque, et ce que cela continue de représenter, et d’engager comme enjeux.

Le livre est complété par une trentaine de lettres amicales et émouvantes adressées par Barthes à Sollers.

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Philippe Sollers, l’éloge politique de Barthes

— Par Didier Pinaud —

Ce que le romancier Philippe Sollers entend faire ici, c’est un éloge politique de Barthes (ici dans son bureau), car « c’est comme ça qu’il a toujours perçu le fondement de son existence ».
Photo : Jerry Bauer
Dans l’Amitié, l’écrivain souligne aujourd’hui qu’il ne s’est jamais remis de la mort de Roland Barthes, le 26 mars 1980. Et ce n’est pas de deuil qu’il s’agit, mais de chagrin.

L’Amitié de Roland Barthes, de Philippe Sollers. Éditions Seuil, 192 pages, 19 euros. Sollers écrivain, de Roland Barthes. Seuil, collection « Points Essais », 96 pages, 6,50 euros.
On a beaucoup reproché à Philippe Sollers le passage de son roman Femmes (Gallimard, 1983) où l’on reconnaît Roland Barthes sous le personnage de Jean Werth… « Il était là,
presque nu, des tuyaux partout, comme un gros poisson encore respirant à la dérive… » Werth est alors à l’hôpital, agonisant sur sa table de perfusion, juste après son accident, lors duquel il a été renversé par une camionnette, tandis qu’il se rendait au Collège de France, en dehors de ses heures de cours, et juste pour s’assurer que le dispositif de projecteur des photographies sur l’univers proustien, qu’il souhaitait utiliser quelques jours plus tard dans son séminaire, fonctionnait bien.
L’amitié : c’était déjà le sujet du récit d’Antoine Compagnon, l’Âge des lettres, qui a paru quelques jours plus tôt, où Compagnon ne manque pas de parler de la « bêtise » de Sollers, en faisant allusion à ce passage du roman Femmes…

Si Compagnon dit avoir eu une amitié « zen » avec Roland Barthes, Sollers dit de son côté qu’ils ont eu « une amitié guelfe-gibelin » : « Je suis guelfe blanc, un des rares catholiques
(…) que Barthes, protestant, ait pu supporter dans sa vie ». Ce que dit aussi aujourd’hui Sollers, plus simplement, c’est qu’il ne s’est jamais remis de la mort de Roland Barthes, le 26 mars 1980 ; et ce n’est pas de deuil qu’il s’agit, mais de chagrin.
Il faut savoir que cet accident avait alors été recouvert « d’une opacité considérable », dit-il… En effet, « il ne fallait pratiquement pas que ce fût un accident mortel » ; François Wahl répétait à qui voulait l’entendre : « Mais non, c’est un petit accident, il va s’en sortir, il va très bien… » « En réalité, il était perdu tout de suite… Ses yeux brûlants de fièvre et de mort se sont levés sur moi, sa bouche a murmuré “merci, merci” quand je lui ai balbutié quelques mots », disait le narrateur de Sollers dans Femmes.
Ici, dans l’Amitié de Roland Barthes, Sollers lui-même se demande si ça n’a pas été le déjeuner qui venait d’avoir lieu avec François Mitterrand, le futur président l’année d’après, « qui a suscité une telle dissimulation ». Il dit même avoir toujours trouvé ça bizarre, parce que ce qui nous manque, au fond, c’est un discours de Barthes sur Mitterrand, une « mythologie » de ce futur président de la gauche. Ce que Sollers entend faire ici, dans l’Amitié, c’est un éloge politique de Barthes, car « c’est comme ça qu’il a toujours perçu le
fondement de son existence » ; c’est le savoir-vivre concret au présent. « Barthes : politique à travers la littérature », dit-il encore ; et Sollers soutient que Mythologies, livre de 1957 (année où paraissent Fin de partie de Beckett, la Modification de Butor, la Jalousie de Robbe-Grillet, D’un château l’autre de Céline, le Bleu du ciel de Bataille), est le premier livre à envisager la société comme un spectacle, « un spectacle permanent de mensonges traversé évidemment par l’argent, à chaque instant ».

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