La Trilogie romanesque. 
Les Cancrelats. Les Méduses. 
Les Phalènes, de Tchicaya U Tam’si

tchicaya_u_tamsi_trilogieUne somme romanesque à l’échelle d’un continent

La Trilogie romanesque. 
Les Cancrelats. Les Méduses. 
Les Phalènes, de Tchicaya U Tam’si, Œuvres complètes, II. Éditions Gallimard, « Continents noirs », 957 pages, 20 euros. romans Dans la Trilogie romanesque de Tchicaya U Tam’si, le réalisme magique africain, entre autres modes de récit, est mis en œuvre.

Le second tome des œuvres complètes de Tchicaya U Tam’si, la Trilogie romanesque – les Cancrelats, 1980 ; les Méduses, 1982 ; les Phalènes, 1984 – paraît donc ces jours-ci dans la collection « Continents noirs » (Gallimard). Henri Lopes en assure la préface. Après avoir abandonné la poésie et s’être consacré au théâtre, Tchicaya U Tam’si finit par suivre le conseil de René Depestre, son voisin de bureau à l’Unesco, qui lui disait : « Trêve de tchicayeries. Tu as du talent à revendre, mets-toi au roman. Fais de ton pessimisme du soir la santé des matins du romancier U Tam’si. (…) Parle-nous du Congo, nom de Dieu ! » Dans cette trilogie, Tchicaya U Tam’si œuvre sur des récits qui refusent de s’ancrer dans l’actualité comme c’est pourtant si souvent le cas dans le roman africain. Il s’attelle avec rage à une vaste fresque sur le Congo et, plus encore, à une chronique détaillée de ce que l’on appelait alors le Moyen-Congo jusqu’à l’arrivée au pouvoir de l’abbé félon Fulbert Youlou en 1960. Chaque texte est viscéralement rattaché au pays natal. Tchicaya U Tam’si semble créer à chaque fois une écriture neuve. Les Cancrelats, le « roman qui bondit », (selon les mots d’Hubert Juin), pour dire la vie à Loango, s’appuie sur une langue volontiers classique nourrie de proverbes, de contes et de légendes mais aussi de rêves prémonitoires. On sait que Tchicaya notait chaque matin les siens avec soin. Les Méduses, bâti comme un polar, met en garde un peuple traumatisé par la colonisation, qui s’abrite volontiers derrière la rumeur, les croyances et la sorcellerie pour s’éviter toute forme de révolte. C’est la première fois qu’un romancier africain explore un tel thème. La structure du récit s’apparente à une mosaïque éclatée propre au réalisme magique où la rumeur, en effet, apparaît comme un personnage à part entière colportant ragots et fausses nouvelles. La présence d’un fou, lequel incarne paradoxalement la raison dans une société gangrenée par le mensonge, remet sur pied un texte halluciné. Les Phalènes, enfin, explore une langue que la critique africaine Betty O’Grady a qualifiée de « parler-écrit ». Il retrace l’itinéraire de l’un de ces « évolués », Prosper Pobard, qui renvoie à la chute politique du père du poète, à qui Tchicaya dédie ce livre qui dissèque la trahison. Cette parution est donc l’occasion rêvée de (re)découvrir un écrivain à l’échelle de tout un continent. M. S.

Jeudi, 28 Mai, 2015
L’Humanité