La politique et l’injure…

— Par Roland Tell —

Parler d’injure à propos de la politique est courant à la Martinique, même hors périodes électorales. En effet, sans l’injure qu’adviendrait-il du politicien ? Qu’adviendrait-il de la politique ? En effet, n’est-ce pas le goût de l’insulte qui met en ordre aujourd’hui le monde politique martiniquais ? C’est du fait du président de la Collectivité Territoriale que les offenses graves et délibérées font désormais irruption au sein même de la gouvernance de la Martinique. Récemment, en effet, c’est contre ses alliés de droite, redevenus en un jour ses meilleurs ennemis, que la hache de guerre est déterrée, toujours, comme ailleurs, selon la théorie du complot permanent. Quelle cause à venir pour cette nouvelle guerre ?
En vue de baliser le tracé des ambitions, menant aux lointaines élections régionales, le Président se rapporte volontiers à cette doctrine, qu’en adepte éminent de l’invective -ce qui fait sa distinction, sa plus « digne » attitude politique, telles que maintes fois révélées et formulées, au cours de sa carrière, sur les tréteaux de bataille électorale. « Les querelles de bas étage », voilà ce qui, étant entendu, plaît au peuple ! Voilà ce qui fait sa délectation, ce qui lui a donné en propre, au Président, son rayonnement et son renom ! En plus, quand la colère s’y mêle, de diverses manières, à Sainte-Philomène, ou dans les médias, quelle transcendance, quel moi transcendental, qui se nomme, et qui se parle, à la troisième personne, d’une pleine voix atrabilaire ! Car la politique est partie prenante des passions et propriétés de notre homme. Ces dernières l’imprègnent et l’imbibent jusqu’à la moelle des os ! Dans ses ténèbres intérieures, il n’a pas une place pour le compromis ! Toute la place est pour le moi, à sa propre manière, qui veut que toute personne, ou toute chose, dérivent de sa « grandeur ».
Tel est le caractère essentiel de l’homme, placé par-delà tout genre, toute catégorie, imprégnant et imbibant, de sa science de chef, aussi bien les grognards du parti, que les sous-fifres de l’alliance de gestion. En eux, il est présent, comme Cause Première de leur élévation, de leur existence même, en tant que politiciens. N’est-ce pas que leur élection dérive de son exceptionnelle popularité ? Ce n’est pas eux que les Martiniquais perçoivent dans le panorama politique, mais lui, seulement lui, le plus électoralement proportionné à l’esprit collectif martiniquais. C’est sa célébrité transcendentale, qui fait foi à la Collectivié Territoriale. Comment donc ne pourrait-il pas faire effort, pour surmonter la médiocrité de ceux qui l’entourent ? Dans sa clarté à lui, dans son rayonnement à lui, dans son intelligence politique à lui, comment pourrait-il considérer autrement les catégories de créatures, qu’il a fait élire – toutes, plus ou moins politiquement déformées à ses yeux, s’agissant, par exemple, de son ancien suppléant, dont il fait aujourd’hui le butin de sa chasse aux sorcières, du président de l’assemblée, sur qui il répand de hideuses vérités, enfin de son vice-président, dont il prétend maintenant que c’est l’éther qui devrait le soulever, tant il est non-agissant, et aujourd’hui non-voulant ! Comment donc voulez-vous que ces « grenouilles d’urne » soient aussi parfaites que notre président ?
C’est en vertu de cette nature transcendentale de son génie et de sa popularité, qu’il se met constamment dans une postulation de nerfs, dans une mélancolie irritée, derrière tous micros, pour crier à tous sa blessure intérieure, avec des mots injurieux. Un manque est manquant autour de lui – l’autre soi-même, son double ! C’est sa faiblesse sacrée, enfouie au fond de lui. Les autres, ses partenaires, ses conseillers, voilà son côté faible en politique ! Alors, à leur adresse, il éructe des injures, pour tenter de les rendre plus agissants et créatifs, au lieu de se faire équipe d’automates, comme à l’heure actuelle, où il doit les amener, en conséquence, à mieux intégrer l’outillage idéologique, logique, et réaliste, ainsi que les règles du faire politique à appliquer, qui restent autant de fruits de son génie. Mais hélas, plus le temps passe, au rythme du TCSP, de l’invasion des Sargasses, de l’exode des jeunes, de la morosité économique de la Martinique, il se voit obligé de se contre-distinguer de tous, s’opposant vertement à tous, partisans et alliés, pour se faire l’esprit libre, subordonné à lui seul, dont dépend la maîtrise du pouvoir.
N’est-ce pas que son pouvoir est infini, qui voit ses séides de la majorité, entièrement subordonnés à lui ? Il lui reste à faire son oeuvre, déjà spécifiée et formée en son for intérieur, donc son vouloir, pour le prochain mois d’Octobre, ce que son esprit abrite depuis quelque temps, ce qu’il protège, et nourrit dans les pensées – enfanter un pouvoir nouveau-né ! Car c’est bien lui le maître du temps et des évênements. Déjà, en son esprit, les réalités à venir s’éveillent obscurément d’un même éveil – celui de la victoire aux élections régionales anticipées, qui verront la fin de l’alliance de gestion. Certes, personne ne le sait, hormis lui, politicien créateur, et Dieu !
Voici venir la fin des injures, transformée, dès Octobre, en une fin déterminée pour une nouvelle gouvernance, qu’aucune alliance ne viendra dénaturer. Dans ce domaine de l’élection, où le Président transcende, il s’attend à une « oeuvre d’art politique » – chef-d’oeuvre électoral, produit dans l’enthousiasme polulaire, une énième élection, si bellement faite, pour finir sa carrière politique, selon le crédo auquel il a adhéré, corps et âme, depuis toujours. Car c’est la seule chose qui lui reste maintenant. Dans l’attente, donc, de l’élection nouvelle, du sol nouveau de gouvernance, qui ne peuvent lui être donnés que par l’esprit, et par la grâce de l’élection populaire .
ROLAND TELL