« La Martinique vue du ciel » de Patrick Chamoiseau et Anne Chopin

— Par Roland Sabra —

Trésors cachés et patrimoine naturel de

C’était il y a vingt ans de cela Yann Arthus-Bertrand publiait son premier album de vues du ciel. C’était Venise en l’occurrence. Depuis le genre a fait florès et le livre le plus connu, le plus vendu est sans doute l’album publié en 2002, ré-édité plusieurs fois depuis et qui portait comme nom « La terre vue du ciel ». Trois millions d’exemplaires plus tard et en 24 langues s’il vous plaît, le concept a fait son chemin. Le célèbre photographe, journaliste, reporter, homme d’affaire et militant écologiste a en effet multiplié les publications. Pas sûr que la Martinique ait été à l’honneur. Peu importe, la chose a été faite puisque HC Editions édite ces jours-ci « Une Martinique vue du ciel », très précisément les « Trésors cachés et patrimoine naturel de la Martinique vue du ciel ». Les photos sont prises par Anne Chopin qui « shoote » son pays d’adoption depuis quinze ans et les commentaires, excusez du peu, sont de Patrick Chamoiseau.

Revenons un instant sur cette idée enrichissante, c’est un euphémisme, de prendre des photos en sur-plomb, dans la position dominante de la plongée, de la domination, de la verticalité, dans un éloignement, une mise à distance de ce que l’on photographie. Ce point de vue, et c’en est un, suppose la disparition des hommes ou bien alors leur écrasement, ou bien encore leur réduction à une illustration graphique, éléments accessoires d’un décor dont on sent bien qu’il devient l’objet essentiel de la photo. Dans « La Martinique vue du ciel » la majorité des photos relèvent de l’illustration graphique, les paysages naturels se succèdent comme des cartes postales où des souvenirs de vacances improbables parce que le coût pour les obtenir est exorbitant compte tenu du prix de location d’un hélicoptère. Mêmes les photos d’artefacts de l’activité humaine sont déshumanisées. Pas âme qui vive sur la briqueterie des Trois îlets, pas plus qu’il n’y en a

Le port de pêche de Grand’Rivière

 sur celle du port de pêche de Grand’Rivière où les yoles et les gommiers sont désespérément vides. Les photos sont peu travaillées comme si l’auteure estimait n’avoir pour rôle que d’être le témoin d’une beauté déjà là, prête à s’offrir, ce en quoi elle s’exclue de la position d’artiste, celui qui fait sens à partir de ce qui n’est pas, ou pas encore. Il y a donc, sous-jacent à ce rôle, une conception de la beauté très populaire, une beauté à laquelle on aurait accès facilement, sans trop avoir à faire d’efforts, dans une appropriation non intermédiée par un savoir spécifique. Cette conception de la photo relève d’une rhétorique qui est celle de l’ « empreinte » où si l’on préfère, du semblable, du même, du redoublement, de la répétition mécanique, de l’univoque, du « vrai », même si l’angle de prise de vue est inhabituel. La photo prise d’en haut est une photo document qui loin d’insister sur la fragmentation du monde, son morcellement, son incomplétude, ses fractures, offre une vue totalisante, globalisante, unificatrice, ce qu’on appelle une vue d’ensemble.

On comprend bien que Patrick Chamoiseau ne puisse pas vraiment se satisfaire d’une telle posture! Son commentaire tente alors d’ajouter un deuxième volet à ce travail de pur enregistrement. Il tente de développer un discours par dessus le discours de la photo, non pas un métalangage qui, soulignerait un sens pré-existant dans une vaine paraphrase ou qui tenterait de révéler une signification cachée, occultée ou refoulée dont il dirait la vérité, mais il essaie d’en produire un, tout à fait nouveau, par ajout et substitution comme un palimpseste. « Aucune beauté ne peut se sauver seule » écrit-il, n’oubliant pas de fustiger « l’ivresse d’un « développement » aveugle... « 

Poterie des Trois Îlets

Intellectuel, prenant sa place à l’Agora, interpellant ses concitoyens il dit que cette beauté photographiée dont le plus souvent sont absents les hommes -comme pour souligner l’éphémère de leur présence et de leur passage- est justement menacée par ces derniers, que les hommes ne sont que les « dépositaires » de cette beauté. Il écrit, à la fin de l’introduction, ce qui apparaîtra, après coup, comme l’alpha et l’omega du texte à venir : « Certains Amérindiens refusaient de se déclarer propriétaires de leur sol. Ils s’en disaient les gardiens. Nous sommes les gardiens de cette Martinique, de cette merveille qui nous a été donnée dans les hasards et les affres de l’Histoire.. Nous devons défendre et protéger cette merveille au nom de toutes les merveilles du monde. »

On voit tout de suite la contradiction dans laquelle semble se trouver Patrick Chamoiseau. Le contenu de son discours en contredit la forme allégorique. Alors qu’il s’annonçait, dans la présentation de l’ouvrage, comme prophète d’une catastrophe écologique inévitable à vouloir à ne pas voir le mal sous nos yeux, prêt à faire de ce « chaosmos » (Félix Guattari ) le socle d’une nouvelle « beauté » ou de « la nouvelle jeunesse de l’écosystème » Patrick Chamoiseau, nous invite, surtout dans le corpus de l’ouvrage, à n’être que les gardiens de ce monde ou bien les témoins d’une beauté déjà là, qui nous a précédé et que nous devons transmettre. Immobilité de l’image qui fait écho au rôle de simple cellule d’enregistrement qui doit être celui de l’appareil photo pour Anne Chopin.

L’album est un bel objet, une très belle série de photos qui jouent sur les couleurs, complémentaires ou contrastées, un cadeau possible pour ceux qui viennent et qui repartent. On regrettera qu’il se prête parfois à illustrer la thèse de Bourdieu de la photographie comme « art moyen ». Thèse injuste en ce que l’usage de l’appareil est extraordinairement diversifié et que ce n’est pas l’appareil qui fait l’artiste.

A cet égard la photo de Anne Chopin est à l’extrême opposé du travail de Philippe Bourgade. Quand lui photographie la Martinique d’en bas, au plus près des visages, au plus près du peuple, dans cette recherche un peu folle mais oh combien artistique, de ce ce qui serait l’essence de son pays, elle prend la Martinique, comment dire… d’en haut? , comme si elle manifestait par là une distance sociale et culturelle que son attachement, très réel et attesté, pour ce pays ne saurait tout à fait démentir.

F-d-F le 21 XI-07 Roland Sabra

Trésors cachés et patrimoine naturel de La Martinique vue du ciel

Photos de Anne Chopin

Textes de Patrick Chamoiseau

HC Editions

ISBN

9782911207808

Prix : 35 euros