La grande Caraïbe au cœur de l’économie maritime

— Par Max Pierre-Fanfan, Journaliste/Réalisateur, Écrivain —

sctl-2016-pastL’inauguration du troisième jeu d’écluses du canal de Panama aura lieu le dimanche 26 juin 2016 en présence du président de la République de Panama, Juan Carlos Varéla, de l’administrateur du canal Jorge Quijano, de 70 chefs d’État et de gouvernements de pays étrangers. En marge de cet événement de portée mondiale, le cluster GAT Caraïbes a organisé le premier salon caribéen du transport et de la logistique du 11 mai au 13 mai au Palais des congrès de Madiana en Martinique.

Ce fut un moment historique, à marquer d’une pierre blanche. « Nous étions restés – et cela beaucoup trop longtemps – le dos tourné à la mer », a avoué le vice-président du Cluster Maritime Martinique, Alain Linise.

Avec l’ouverture de la troisième écluse du canal de Panama; ainsi que le projet du grand canal interocéanique du Nicaragua (à horizon 2020); la construction du port de Mariel à Cuba; la Grande Caraïbe se retrouve au cœur de l’économie maritime. Une révolution qui favorise le développement des activités logistiques et conséquemment, renforcera le positionnement stratégique de cette région du globe.

Des mastodontes à l’instar du MSC Oscar de 400 mètres de long, d’une capacité de 20.000 conteneurs EVP( équivalent vingt pieds, mesure de référence et source de nombreuses économies d’échelle pour les armateurs) vont sillonner le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes à la recherche de plates-formes de transbordements. Venus d’Asie ces navires se dirigeront vers la façade atlantique de l’Europe et vers le continent africain.

La mer source d’innovation

La mer se révèle, sans conteste, une source inépuisable d’innovations en tous genres…Le groupe Marseillais CMA/CGM, troisième transporteur mondial après le danois Maersk et anglo-suisse MSC, présente notamment une nouvelle génération de conteneurs réfrigérés permettant le transport de 150 familles de produits dans des conditions optimales de conservation: fruits, viandes, poissons,vins, médicaments…mais également le transport de produits vivants. Lors de son intervention, le mercredi 11 mai au salon caribéen du transport et de la logistique, le directeur du groupe CMA/CGM Martinique Xavier Hauterat a enrichi ses propos en prenant l’exemple de l’acheminement de homards vivants baptisé « aquaviva ».

« Les homards sont stockés dans des compartiments individuels préservant la teneur en oxygène de l’eau, la température de leur milieu (entre 1 et 2 degrés) et son nettoyage à l’aide de micro- organismes dévoreurs d’ammoniaque », a-t-il précisé. Ainsi, les pays de la Caraïbe se préparent à relever, entre autres, les nouveaux défis techniques, technologiques, numériques liés au transport et à la logistique.

Le Directeur Exécutif du Caribbean Maritime Institute (CMI), le docteur Fritz Pinnock a insisté lors de son discours d’ouverture sur « le fort potentiel de développement économique pour tous les États de la région ». La Grande Caraïbe, cette zone d’expansion qui s’étend sur plus de 4 millions de km2 d’eau et près de 4000km2 de terre voit naître une multitude de projets d’envergure mondiale. Face à ces enjeux, « nos entreprises se structurent et s’organisent en réseaux pour coexister aux côtés de groupes mondiaux maîtrisant parfaitement leur process logistique », a déclaré la présidente du cluster Gat Caraïbes, Sandra Casanova à l’origine de ce salon caribéen du transport et de la logistique(SCTL).

Le grand voisinage

Nos collectivités doivent se préparer et tirer partie des opportunités qui se présenteront. L’urgence est de mise…La voie des rivalités politiques à outrance ou des protections réciproques n’est aujourd’hui ni possible ni efficace. Les DFA disposent d’incontestables atouts notamment dans les services ou les productions à haute valeur ajoutée. Ils doivent articuler et mettre en synergie un certain nombre de dispositions: mobiliser et utiliser efficacement des instruments financiers de tous ordres. Ceux qui favorisent, la création d’entreprises, d’emplois, la compétitivité( le CICE, le pacte de responsabilité, l’aide à l’embauche PME, entre autres…). Ceux qui facilitent l’intégration des RUP françaises dans leur environnement régional ( DOCUP, INTERREG, prêts AFD, programmes intégrés de développement, FED, FEDER…). Ce plan d’action pour la signature d’accords de partenariat économiques régionaux et complets, ainsi que pour la mise en œuvre du « Grand Voisinage », tant espéré, devrait permettre le rapprochement entre les RUP françaises et les pays tiers voisins. Ce plan passe par des niveaux de partenariat et de coopération, bilatérale, multilatérale, collectivités/homologues, institutionnels, société civile/idem.

Cela dit, au plan des infrastructures, les grands ports de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane quant à eux, se préparent activement pour cette échéance. « D’importants investissements ont été déjà réalisés. En ce qui concerne la Martinique, des travaux d’agrandissement et de modernisation ont été entrepris au terminal à conteneurs de la pointe des grives, aux terminaux de croisière de la pointe Simon et des Tourelles et dans le bassin de radoub. La Jamaïque s’est déjà offert un guichet unique portuaire, S-ONE. Le contrat a été signé (le mardi 1er décembre 2015) entre la société française Soget et l’Autorité portuaire de Jamaïque, Port Authority of Jamaica ( PAJ). A Kingston, troisième port de la région Caraïbes derrière Colon (Panama) et Carthagène (Colombie) et 7éme au classement des ports de l’Amérique latine, avec 1,63 million de conteneurs EVP traités en 2014, Soget va déployer sa solution de guichet unique portuaire, une plate-forme collaborative électronique qui permet l’échange sécurisé des données entre les acteurs publiques et privés.

Le cabotage

Cette révolution dans le transport maritime n’épargnera pas le cabotage, la navigation entre les îles de la Caraïbe. Au l’autre bout de cette « supply chain » incarnée par les mastodontes des mers, l’antique goélette vraquier…Les habitants des petites Antilles, membres des États de la Caraïbe de l’Est (OECS), dépendent pour leur quotidien d’importations transitant sur de petits navires de faible tonnage. Une flotte disparate composée de vieux ferries, de « supply-boats », de vraquiers peu adaptés au trafic maritime. L’âge des navires est une préoccupation majeure des chargeurs et des autorités de régulation. « Le régime du protocole d’accord caribéen pour les contrôles portuaires (Caribbean memorandum of understanding port state control) dont l’action vise à maintenir une surveillance dans toute la région pour s’assurer que le transport maritime est effectué de manière sûre et respectueuse de l’environnement va rattraper tous les pavillons et tous les états de la zone. Haïti, Saint-Vincent et les Grenadines, la Dominique,Sainte-Lucie ne sont pas signataires du CMOU, des discussions se poursuivent pour leur adhésion », indique le président de la Dominica Manufacturers Organisation, Jean-Yves Bonnaire.

Profitant de cette aubaine, les entreprises des régions ultrapériphériques française dans la Caraïbe veulent établir des liens commerciaux avec leurs partenaires de la zone; « En ce qui concerne les entreprises martiniquaises elles sont au rendez-vous », affirme le président de l’association martiniquaise pour la production industrielle, Hervé Toussay.Des mesures ont été prises afin de favoriser leur compétitivité.Le nouveau code des douanes, par exemple, en vigueur depuis le 1er mai devrait faciliter leur faciliter certaines démarches administratives;  » l’enjeu est d’adapter les procédures aux impératifs logistiques et à l’évolution du commerce international », souligne le directeur général adjoint, Jean-Michel Thillier.

Le dédouanement centralisé principale disposition de ce texte va de pair avec la dématérialisation de certaines procédures. L’objectif étant de réduire les temps de dédouanement. Ce nouveau code des douanes consacre le statut d’opérateur économique agréé. Ce statut permet ainsi aux entreprises de voir leurs formalités allégées.

Le numérique

S’il est nécessaire d’accompagner nos entrepreneurs, il devient indispensable de préparer nos jeunes; d’œuvrer en faveur de leur formation et de leur insertion sur le marché de l’emploi. L’Éducation nationale propose des filières transport et logistique avec des diplômes à la clé: BAC professionnel, BTS, DUT, licence…L’apprentissage et plus globalement les formations en alternance sont l’un des rares sujets rencontrant un consensus large au sein de la classe politique. Pour un jeune bénéficier d’une première expérience professionnelle en entreprise et d’un diplôme validant un cursus orienté « métier » constitue l’un des principaux leviers d’accès à l’emploi. L’alternance constitue une réponse efficace au décrochage scolaire, à la capitalisation des compétences dans l’entreprise soucieuse de perpétrer un savoir-faire. Cela dit, notre jeunesse devrait pouvoir s’appuyer également sur l’expérience de nos talents qui réussissent à l’international ( Shirley Billot, Xavier Barnay, Willem Germany,Vladimir Hayot, les frères Lauzéa, Max Crispin…).

Aujourd’hui, nous vivons à l’heure du numérique. La révolution digitale révolutionne le secteur du transport. Les plates-formes logistiques reposent sur trois technologies: les bases de données, les moteurs de recherche, et la connectivité. Leur combinaison libère les échanges et les obstacles transactionnels, géographiques, historiques, l’étroitesse des marchés, réduit les coûts; les distances et permet l’émergence de l’économie de partage et de l’économie collaborative.

La plate-forme ECM, web, mobile par exemple qui couvre onze territoires met en relation fournisseurs et prestataires ce qui favorise les économies d’échelle. La fonction des clusters précisément permet le rapprochement du local et du global.

L’Afrique, partenaire stratégique pour la Caraïbe

La Grande Caraïbe constitue une tête de pont vers l’Union européenne et aussi vers le continent africain. « L’Afrique deviendra un nouvel espace d’échange et un partenaire stratégique pour la Caraïbe », augure le général manager du « New Edge Consulting », Samba Buri Mboup.

Selon le cabinet d’affaires, Mac Kinsey 25 des 54 pays africains auront une croissance supérieure à 5% jusqu’en 2025..La Côte d’Ivoire est aujourd’hui l’économie la plus dynamique d’Afrique de l’Ouest et les grands bailleurs de fonds ne s’y trompent pas. Mardi 17 mai 2016, à l’issue de la réunion du groupe consultatif pour le financement du Plan national de développement 2016-2020, la Côte d’Ivoire a sécurisé 15,4 milliards de dollars pour ses investissements publics. La croissance de ce pays a dépassé 8,6% l’an dernier d’après le FMI .La pauvreté recule de façon générale en Afrique (46% de la population vit au dessous du seuil de pauvreté contre 60% au début des années 2000). Les chinois ont déjà entendu le message au point d’être le premier partenaire commercial du continent. La révolution numérique également mobilise les entrepreneurs africains tels Vérone Mankou surnommé le « Steve Jobs congolais »; une sorte de génie des télécoms dans son pays, pionnier de cette Afrique en marche. L’internet mobile se développe en effet à une vitesse grand V. Le Kenya est devenu le pays au monde où les paiements par téléphone mobile sont les plus développés. Par ailleurs, peu de gens le savent, le taux de l’entrepreneuriat féminin est plus élevé en Afrique que dans toute autre région au monde, avec 41% de femmes qui entreprennent au Nigeria contre par exemple 10 % aux États-Unis (Trend Watching, 2016).

Aimé Césaire le prophétisait, « la relance se fera par le vent qui d’Afrique vient » (« Algues », Moi Laminaire). Les grandes lignes maritimes qui constituent 90 % du commerce mondial se révèlent des vecteurs d’innovation, de connexion et d’insertion dans un monde ouvert et globalisé et particulièrement dans cette région du globe que constitue la Grande Caraïbe …

Max Pierre-Fanfan

Journaliste/Réalisateur

Écrivain

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