Joël Robuchon, un chef au firmament de la gastronomie

— Des toques pas toc par Jacques Teyssier —
robuchon-2Joël Robuchon et ses innombrables créations culinaires occupent une place toute particulière. Dame ! n’est-il pas le cuisinier en activité le plus auréolé de la planète, avec rien moins que 28 étoiles accordées cette année ?

Ce singulier personnage n’en finit pas de nous étonner par son talent, sa rigueur, sa technicité, son éternelle recherche de perfection et son indiscutable créativité. Souvent plagiées, ses innombrables créations, admirablement présentées dans l’assiette, telles de vraies peintures, cachent, sous leur apparente simplicité, un immense travail. Assemblage de faveurs, de couleurs, de textures ne masquant pas l’ingrédient principal, mais le révélant, le transcendant ! On est saisi dès la première bouchée. Tout est juste, parfait, de l’assemblage à l’assaisonnement, en passant par les cuissons.

Au départ, il y a le produit, de première fraîcheur, qu’il veut irréprochable. C’est à partir de lui qu’il crée, en s’efforçant d’en « tirer le meilleur ». Des plus simples comme le hareng, la tête de cochon ou la pomme de terre, qui va lentement se transformer sous ses doigts en une sublime purée (elle figura sur la carte dès l’ouverture de son premier restaurant), jusqu’aux plus recherchés, à l’égal du diamant noir, Joël les connaît et les respecte, presque religieusement. Il peut parler de leurs histoires, il l’a fait d’ailleurs une année durant avec nos confrères du Journal du dimanche. Ces produits, il va les travailler patiemment, en goûtant sans cesse et en n’hésitant point à remettre l’ouvrage cent fois sur le métier… Peu à peu, le plat s’élabore. Un travail minutieux, presque un puzzle, pour une cuisine de puriste. Création d’authentiques symphonies dans lesquelles chacun des ingrédients, y compris les herbes ou les épices, trouve sa juste place, apporte sa propre pierre à l’édifice commun, y compris quand les saveurs contrastent. Ce serait presque les notes, les silences ou encore les ornements que le compositeur placerait sur sa portée pour traduire cette musique ne cessant de lui trotter dans la tête !

Entre le homard poivré aux lamelles d’artichaut, celui aux truffes et châtaignes en cocotte lutée, le rôti d’agneau en croûte de sel, le millefeuille de tomate au crabe, les ravioles de langoustine au chou, la laitance de hareng au verjus, les cèpes grillés au thym avec leur caviar d’aubergine, sans oublier la salade pastorale aux herbes ou celle de homard en boléro, si fraîche avec ses jolies petites billes de tomate, d’avocat et de pomme, sa ciboulette et son cerfeuil, la tarte friande de truffes aux oignons et lard fumé, le suprême de pigeon au chou et au foie gras, et plus encore cette crème de chou-fleur à la gelée de caviar entrée dans la légende, que d’étapes, de préparatifs, de technicité ! Décrire et expliquer cette dernière recette nécessiterait, par exemple, une pleine page de mon cher quotidien. Il est vrai que les résultats sont inoubliables ! Une parfaite harmonie et beaucoup de pureté !

Et dire que rien ne le destinait à endosser l’habit du maître queux… S’il voulait, dès sa plus tendre enfance, « être le meilleur », trait de caractère qui ne l’a du reste jamais vraiment quitté, c’était sur les bancs de l’école, puis au petit séminaire, ou encore pour devenir architecte, ce dont il rêvait, et non pour s’attaquer à la gastronomie. Le divorce de ses parents et leur départ sur Paris l’obligent à chercher du travail. Il a quinze ans, il va entrer en apprentissage dans un grand restaurant de Poitiers. Il y restera trois ans, découvrant le b.-a.-ba du métier, les techniques et les postures de base, surtout la rigueur et la propreté. Vont s’enchaîner les places, le Grand Hôtel de Dinard, l’Auberge du Vert-Galant, le Clos des Bernardins, le Berkeley, l’Hôtel Alboro à Thiais, le Concorde Lafayette, puis le Nikko où il obtiendra deux étoiles en deux ans. Il franchit chaque fois une nouvelle marche, jusqu’à chef. C’est en décembre 1981 qu’il va ouvrir à Paris son premier restaurant, bien à lui cette fois, le Jamin.

Pour ce fils de petit artisan maçon, pour « Poitevin la Fidélité », initié en 1966 comme compagnon avec un lièvre farci et reconstitué, pour ce professionnel de haut vol, aux gestes millimétrés, amoureux de la belle ouvrage et désireux de transmettre tous ses savoirs, la réussite est fulgurante. Du jamais-vu, trois étoiles en vingt-sept mois, une à chaque sortie du Guide !

Mais l’endroit est petit et Joël voit plus grand.
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Jacques Teyssier