« Jimmy’s Hall » de Ken Loach : la vie comme une danse… de combat!

— Par Roland Sabra —

jimmy_s_hall-400A Madiana. Séances en V.O.

Ne rien lâcher entre danse et combat mais en aucun cas danser avec les loups. Ne jamais caresser la bête dans le sens du poil. Blanchi sous le harnais, Ken Loach a le cœur toujours rouge. Dans « Le Vent se lève » à propos de l’Irlande il montrait que l’IRA n’avait rien à envier aux méthodes britanniques pour écraser les militants révolutionnaires. Dans «Land and Freedom» il dénonçait le sectarisme des communistes qui combattant trotskistes et anarchistes avaient affaibli sévèrement et irrémédiablement le camp républicain au profit des franquistes. Dans Jimmy’s Hall il revient sur le rôle de l’IRA qui faisant alliance avec la bourgeoisie terrienne et avec une des églises les plus obscurantistes qui soient va encourager le bannissement de militants pas mêmes révolutionnaires, mais tout au plus athées.
1932. L’Irlande du sud a gagné son indépendance. Jimmy Gralton parti aux Etats-Unis avant le début de la guerre contre les britanniques, est de retour au village dans le comté de Leitrim. Il est spontanément sollicité par la jeune génération pour remettre en état le bâtiment délabré dont il est toujours propriétaire, et qui était une sorte de centre culturel, ou l’on pouvait danser, suivre des cours de musique, de langue, de boxe, de dessin et qui avait connu ses heures de gloire avant son embarquement sur un bateau pour New York. On ne se refait pas. Ce qui est vrai pour Ken Loach l’était tout autant pour Jimmy Gralton, personnage, inspiré d’une histoire tout à fait réelle. De nouveau le bâtiment est un lieu d’attraction, d’instruction, de divertissement, de réflexion et de repos et ce en dehors du contrôle des pouvoirs institués. Ces derniers ne vont pas supporter de voir émerger une ébauche d’autogestion, un embryon de pouvoir communautaire bientôt dénoncé comme l’œuvre de « communistes ». Pensez que le gramophone rapporté des Amériques laisse entendre du jazz, cette « musique de nègres » et qu’il fait découvrir, aux ouailles  bien consentantes, des pas de danse de sauvages importés,dans une entreprise démoniaque de «  los-angelisation » de la culture traditionnelle irlandaise ! C’est bien plus que ne peut en supporter l’Église catholique qui par la bouche de son prélat, du haut de sa chaire à prêcher livrera en pâture à son troupeau la liste des « infidèles »  qui fréquentent le dancing. Procès d’hérétiques, procès staliniens, l’obscurantisme est en tous lieux, en toutes époques. Il n’a pas d’âge. « Nos adversaires n’ont pas changé, maîtres et prêtres » entend-on au détour d’une réplique du film.

La grande force de Ken Loach, réside en partie dans la façon amoureuse qu’il a de filmer les gens ordinaires, les gens du peuple, avec leurs gueules asymétriques, un peu tordues, tirées du coté de Bruegel l’Ancien voire de Jérôme Bosch, mais  cependant toujours débordantes d’humanité. Plus vraies que nature, ces figures sont magnifiées par un travail de la lumière à nul autre pareil et qui est la touche particulière du cinéaste. Les costumes des hommes du peuple, certes parfois rapiécés, déclinent des camaïeux de bruns et d’ocres et dans leur consistance renvoient à une réelle épaisseur de vie. Les robes des femmes offrent au regard un éventail de tissus Liberty qui symbolise à la fois une unité de condition et une solidarité de partage. La caméra est respectueuse, toujours pudique comme dans cette admirable scène de danse entre Jimmy et son amour d’enfance, aujourd’hui mère de famille et bel et bien (?) mariée à un autre. Pas une scène de baiser dans le film, la tendresse profonde et l’intensité de l’amour ont des voies pour se faire entendre qui ne sont pas celles du dire ou de la monstration. Et puis il y a ces paysages d’Irlande à la lumière rasante du soleil couchant. Et puis, et puis surtout ce questionnement incessant, inexorable sur la justice et les inégalités, sur l’amour et la haine, sur l’aliénation des foules et la possibilité d’une émancipation. Pour qui sait voir, l’Irlande est dans nos murs.

Fort-de-france, le 10/10/2014

R.S.

 Jimmy’s Hall

Réalisé par Ken Loach
Avec Barry Ward, Simone Kirby, Andrew Scott
Genre Drame , Historique
Nationalité Britannique , français , irlandais

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