Jeunesse et retour au pays !

— Par Max Dorléans —
Les FMP (Forces martiniquaises de progrès) viennent de tenir le 25/02 à Rivière Salée, une réunion publique dont la réflexion centrale a porté sur la problématique de la jeunesse et son retour au pays. Plus précisément sur la question de l’absence de retour au pays d’une fraction significative (et nous ajouterons malheureusement grandissante) de celle-ci. Notamment celle partie en France pour entamer des études, se former, une fois titulaire d’un diplôme de base, Bac et BTS notamment.
Cette réflexion est en réalité similaire à celle posée, à quelques années d’intervalle, par Letchimy à la tête de la région, proposant lui, à l’époque, une aide incitative de 15000 € à tous ceux/celles acceptant de revenir au pays, leur diplôme, formation professionnelle ou qualification de « haut » niveau en poche.
Une problématique encore proche de celle évoquée par le même Letchimy, faisant allusion à l’importance de notre jeune « matière grise » en France, qui ne proposait pas moins, entre autres solutions d’emploi, de miser sur la Caraïbe. Une perspective spécieuse, à tonalité impérialiste, car faisant fi des mêmes difficultés d’emploi rencontrées par l’immense majorité de la jeunesse caribéenne à l’étranger, pour se faire embaucher, comme notre propre jeunesse, dans leur pays d’origine.
Ces questionnements ont évidemment un vrai mérite : celui de pointer un problème réel, qui n’est autre que celui de la difficulté structurelle – et par ailleurs tendanciellement croissante – à trouver du travail sur place en Martinique pour la jeunesse en général, et en particulier pour celle (très) diplômée et (très) qualifiée. Des questionnements qui ciblent une fraction de notre jeunesse, celle objectivement plus favorisée, mais qui sont évacués pour une fraction plus large de la jeunesse partie également dans l’émigration en France. Une fraction large et défavorisée qui subit, comme la plus favorisée, le racisme et la xénophobie, et qui se trouve confrontée en général à des difficultés sociales (chômage, logement…), moins prégnantes que chez l’autre jeunesse.
Cette question de l’emploi ne concerne malheureusement pas que notre jeunesse martiniquaise. Le nombre de jeunes sans emploi est en hausse à l’échelle mondiale, avec de fortes disparités régionales, notamment un taux de travail au noir en 2016, de 77% en moyenne selon l’OIT (organisation internationale du travail), et de 97% dans les pays sous-développés. N’oublions pas que l’idée dominante de nos jours est que la jeunesse correspond à la génération de la crise, et qu’elle vivra moins bien que la génération de ses parents. Ce que conforte la précarisation généralisée en cours, et ce que confirme l’OIT qui souligne que dans les pays développés, « les jeunes subissent davantage la pauvreté que leurs ainés ». Ainsi en France, le chômage touchait, selon les chiffres officiels, 23,9 % des 15-24 ans en 2013, contre 15 % en 1989 (respectivement 6,7 % et 5,4 % pour les 50-64 ans). Et en Martinique, ce taux en 2015 est de 47,4% (Insee). Une question qui se corse davantage pour la fraction de la jeunesse martiniquaise qui entend retourner vivre et travailler au pays.
C’est dire l’importance du chômage et de la précarité dans notre jeunesse, particulièrement parmi les femmes, avec la caractéristique suivante que les moins diplômés et la masse des jeunes appartiennent aux classes populaires.
La question posée ici est donc celle de l’emploi dans le monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire celle de l’emploi dans la mondialisation capitaliste en 2018. Dès lors, en indiquant sans plus, que la question du chômage et de l’emploi est une question préoccupante, on enfonce comme le répète la majorité des élus, une porte ouverte. Sauf à désigner, ce que ne font ni Lesueur/Laventure des FMP d’une part, ni Letchimy du PPM d’autre part, le capitalisme dans sa phase actuelle, comme incapable de répondre aux besoins d’emploi d’un nombre grandissant de jeunes (et moins jeunes).
Car le capitalisme – qui est le problème – a en permanence besoin d’une «armée de réserve de travailleurs», pour peser sur le reste des travailleurs (et de la population), et pour soumettre l’ensemble des travailleurs à sa logique d’exploitation. Et de plus, son fonctionnement nécessite à la fois une minorité de travailleurs hautement qualifiés, et une main-d’œuvre abondante sans grande qualification, exploitable à volonté, et docile.
C’est donc au cœur de cette problématique que nous sommes avec les FMP et le PPM, avec l’adresse de l’un et l’autre à la fraction super-diplômée et/ou qualifiée. Une population différente de celle de leurs parents, moins chevillée que ceux-là à la problématique du retour et du développement en Martinique (pour des raisons que nous n’aborderons pas ici), se déclarant souvent « citoyens du monde », et plus préoccupés par leur parcours professionnel, leur vie et promotion individuelles (individualisme) davantage garantis, selon eux/elles, ailleurs plutôt qu’en Martinique même. Par exemple, bien des jeunes praticiens hospitaliers martiniquais exerçant dans des hôpitaux en France, avec des conditions et moyens de travail n’ayant strictement rien à voir avec celles existant au CHUM, craignent à terme pour leur qualification – dans le sens d’une déqualification – et redoutent à venir travailler en Martinique. De même, de brillants ingénieurs travaillant dans des entreprises et collectifs de travail très qualifiés en France ou à l’étranger, craignent également, en termes de perte de qualification et de dévalorisation de leur métier, à venir travailler dans des entreprises ou secteurs ne leur offrant, ici, que peu de garanties en matière de développement professionnel ; sans même parler de créateurs d’entreprise (start-up numérique ou autre) dont le radieux avenir réside pour beaucoup, contrairement à ce que dit Lesueur, dans la sous-traitante, c’est-à-dire dans la dépendance d’une grande entreprise de la place.
Il faut donc questionner avant tout non seulement le système capitaliste et notre formation sociale martiniquaise qui interdisent tout véritable développement (individuel comme collectif), mais surtout le discours dominant et la lecture qu’en ont eu la population, la jeunesse et cette fraction de celle-ci, concernant leur insertion ici dans le monde du travail et leur propre avenir. On ne serait nullement surpris des illusions qui ont été les leurs pour l’immense majorité, véhiculées évidemment par les apologistes du capitalisme comme système indépassable, par l’absence d’idées relatives à un autre paradigme social (un autre monde possible !), et surtout leur adhésion de fait au capitalisme comme moins mauvais système et comme unique perspective viable, malgré quelques faiblesses que ses défenseurs veulent bien lui reconnaitre.
S’agissant donc de cette fraction de la jeunesse, la démarche n’est surement pas de chercher à les attirer en les berçant d’autres illusions sur leurs propres atouts individuels (bien réels), et en leur faisant miroiter toutes sortes d’aides ou autres avantages. Pas plus qu’il ne sert à rien de les culpabiliser et de les stigmatiser au prétexte qu’en ne retournant pas au pays, ils ne seraient pas de « vrai/es » martiniquais/es. Néanmoins entendre leurs points de vue, leur refus notamment, ne signifie pas non plus s’en contenter. Il y a lieu de leur indiquer qu’ils/elles ont toute leur place ici, qu’ils doivent la prendre, sinon elle sera prise par d’autres. Et que rien ne tombant du ciel, rien ne sera non plus obtenu sans lutte. Qu’il s’agisse de conditions de travail satisfaisantes à l’hôpital sur place, ou encore de création d’entreprises viables et respectueuses par ailleurs des conditions de travail de leurs salarié/es.
Dès lors, le seul discours réaliste consiste aujourd’hui à leur dire que c’est le capitalisme, en raison de sa nature et de sa logique même, qui est incapable de fournir à la jeunesse martiniquaise (et autres), toutes fractions confondues, du travail. Que notre jeunesse n’aura globalement de perspective épanouissante que dans une Martinique débarrassée de sa dépendance et domination, inscrite dans des rapports de coopération équitable et égalitaire avec le reste du monde. Et que, en Martinique comme en France et ailleurs, la solution réside dans une autre répartition des richesses. Aujourd’hui, cette idée d’une autre répartition des richesses pour un bien être pour tous et toutes, est, pour des raisons tenant à un rapport de forces défavorable au plus grand nombre, au recul idéologique et des débats de fond dans notre société martiniquaise, peu audible. Reste que la jeunesse dans toutes ses composantes ne pourra pas restée indifférente et insensible aux calamités sociales et aux nuages qui s’accumulent avec les inégalités croissantes. C’est pourquoi nous avons une confiance totale dans l’ensemble de notre jeunesse, malgré tout le mal qu’en disent des âmes bien pensantes !