« Is there life on Mars ? » Héloïse Meire, Compagnie What’s up? Théâtre national Wallonie-Bruxelles

— par Michèle Bigot —
Festival d’Avignon off 2017, Théâtre des Doms, 06 => 26/07

Bonne question ! Que sait-on de Mars, en dehors de ce que le nom véhicule de connotations viriles issues de la mythologie grecque ? Et des martiens, ou supposés tels ? Et de l’autisme, que sait-on ? C’est la question que posent les quatre comédiens aux spectateurs avant le spectacle. Munis d’un enregistreur, chacun d’eux choisit quelques spectateurs pour l’interviewer sur ce problème et la réponse des spectateurs fournira l’ouverture du spectacle, réinterprété par les comédiens, installés à une table d’enregistrement. On ne peut s’empêcher de penser qu’entre « autiste » à « artiste » les consonances sont riches. Mais voyons!
D’emblée nous sommes embarqués pour un autre univers : le voyage se fera en lumière, en sons et en images. Le texte ne sera autre que les paroles recueillies des personnes avec autisme, ou de leurs proches. Les acteurs écoutent les montages des interviews qu’ils retransmettent aux spectateurs. La dimension proprement créatrice et artistique est dans cette transposition qui se fait par la voix, le jeu des acteurs, mais aussi par toute une chorégraphie de leurs corps habités par une vitalité surprenante et une force mystérieuse. Mais la complexité de cet univers est aussi restituée par le jeu des images, des couleurs, des lumières et des formes.
L’espace scénique est délimité en fond de scène par une grande armoire magique à compartiments, qui tantôt se remplissent de personnages étranges,ou d’objets insolites. Les casiers s’ouvrent et se ferment ou se devinent pas transparence : écrans ou miroirs, à la faveur d’un éclairage adapté. Écrans de couleurs, vitres opaques, autant de fenêtres ouvertes sur une autre dimension. Les objets sont détournés et les gens subissent une déformation qui les rend aussi touchants que surprenants. Il s’agit de donner un équivalent visuel de ces perceptions déformées dont témoignent les personnes interrogées. L’univers sonore obéît au même travail de décalage : les retransmissions réalistes alternent avec des sons oniriques. L’hypersensibilité aux sons liée à l’autisme est restituée par cette dimension sonore tantôt rêveuse, tantôt envahissante voire cruelle. Les images affichées ou projetées en vidéo sont inspirées de nombreux artistes autistes qui expriment leur vision du monde par des jeux de lignes de formes, de points, de cartes. La chorégraphie de groupe accompagne cette création multidimensionnelle pour restituer autrement que par les mots ce que peut être la sensation, l’état d’esprit, le ressenti corporel liés à l’autisme.
« Votre esprit ressemble à une pièce où vingt postes de radio, tous réglés sur des stations différentes, vomissent une cacophonie de voix et de musiques entremêlées. Ces radios ne possèdent pas de bouton marche-arrêt , et encore moins de réglage de volume. »
Témoignages, donc, et qui concordent pour décrire par bribes un univers fragmentaire, où alternent le trop et le pas assez, le manque (d’affects, de points de rencontre avec l’autre) et l’excès (de sensations, d’images). Le point fort des tous ces témoignages c’est d’insister sur le besoin de socialisation, le besoin de rompre l’isolement. C’est aussi d’afficher un point de vue ingénu, parfois ironique qui est celui de la personne autiste sur notre société.
La mise en scène, jeu des acteurs, chorégraphie, objets, couleurs, scénographie, univers visuel, sonore, lumières est une perfection du genre. Il y a eu un travail d’harmonisation intense entre les différents créateurs pour restituer de façon à la fois pertinente et poétique ce que peut être la vie de ces soi-disant Martiens qui nous sont si proches.

Michèle Bigot
Madinin’Art