IAGO » de José Exélis, un pari risqué, osé et en grande partie gagné

—Par Roland Sabra —

 Iago, adaptation et mise en scène de José Exelis

Gilbert Laumord : Othello, Iago, Cassio etc.

On ne le répétera jamais assez, la première question, celle qui conditionne toutes les autres que tout metteur en scène devrait se poser avant de monter un texte est celle-ci : «  Quelle urgence y a-t-il, ici et maintenant, à le faire ? » José Exelis y répond pleinement en présentant son « IAGO » d’après Othello de Shakespeare. Gilbert Laumord, en scène monologue le texte, il est est tour à tour Iago, Othello, Cassio Desdémones etc. Il y a là une prise de risque osée.

Le début est un peu confus, brouillon, tant il est difficile de suivre le texte dans la multitude de personnages convoquée devant le spectateur. Ce parti pris contraint son comédien à un jeu outré, caricatural, à la limite du grand guignol qui n’est pas son registre de prédilection. Ce n’est que quand il a devant lui un peu d’espace pour habiter son texte que G. Laumord capte l’attention et déploie son talent. Comédien à la présence puissante, massive et dense il excelle dans les mouvements lents beaucoup moins dans la précipitation. Son talent nous conduit au coeur du propos de J. Exélis. Iago, la part maudite d’Othello est nôtre, hic et nunc. C’est la part blanche de nous-même, écrite à l’encre sympathique, si mal nommée en l’occurrence, qu’un choc, une rencontre, une ligne de fuite, un amour, va révéler. Elle conduit à exciter la haine. « J’ai vu de mes yeux et j’ai bien connu un tout petit en proie à la jalousie. Il ne parlait pas encore, et déjà il contemplait, tout pâle et d’un regard empoisonné, son frère de lait ». Cet extrait des Confessions de Saint-Augustin très souvent commenté par Lacan offre une piste à la compréhension de Iago. Au delà d’une rivalité mortifère de semblable à semblable, admirablement soulignée par J.Exelis dont le propos transcende les oppositions de couleurs de peaux entre Othello et iago, naît une haine féroce de la part de celui qui se sent spolié par l’existence supposée d’une jouissance pleine et entière du rival qui possède ce dont il est privé. Il s’agit plus d’envie que de jalousie.

 

Dominique Guesdon, responsable des lumières, affectionne les constrates, les éclairages tranchés, qui pour l’occasion soulignent avec justesse les intentions du metteur en scène. Son travail épuré accompagne avec brio ce qui se passe sur le plateau. Il se dégage de l’ensemble une beauté plastique au service du texte. Le travail de José Exelis est tout en précision et dégage une certaine rigueur jusques et y compris dans l’excès, et le débordement des passions. La gageure était difficile, le pari osé. Il y a certainement à élaguer dans ce travail mais l’ensemble est plus qu’honorable. Souhaitons à ce spectacle suffisamment de représentations pour qu’il puisse trouver son rythme de croisière. Il restera, néanmoins, un des meilleurs de cette saison.

Roland Sabra

Création 2005; Cie Les enfants de la mer. D’après Othello de Shakespeare
Adaptation et mise en scène :José Exelis
Assistante à la mise en scène: Caroline Galin
Répétiteur: Patrice Le Namouric
Avec GilberLaumord
Environnement technique, son, lumière, décor : Dominique Guesdon, Valéry Pétris
Plasticien : Patrick Bernard
Costume: Sylviane Gody
Musique: Jean-Pierre Alarcen, Henryck Nikolaij Gorecki
Coproduction : Les enfants de la Mer/CMAC Scène Nationale avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de la Martinique-Ministère de la Culture et de la Communication, du Conseil Régional de la Martinique.