Hope, de Boris Lojkine, ou comment rester humain ?

— Par Dégé —

hopeOn va voir Hope à reculons. Malgré une critique favorable voire élogieuse. Le synopsis est décourageant : a-t-on besoin après tous les reportages radios ou télévisuels, les documentaires, les articles de journaux d’aller voir un film sur l’émigration, sur l’amour entre deux émigrés ? On sait leurs difficultés, leurs malheurs…mais que peut-on y faire ? Se donner bonne conscience en regardant en face un peu de toute cette misère du monde qu’on ne peut pas prendre en charge ? On a tous un petit côté Le Pen en nous qui nous fait frissonner de peur quand nous voyons ces hordes humaines, puantes et dépenaillées, à l’assaut de l’Europe, agrippant les grillages barbelés vertigineusement hauts de l’enclave de Melilla et … « ils » les franchisent ! Avant de se faire incarcérer en Espagne, en Italie, partout, dans des camps de tri, de stagnation, d’expulsion qui nous protègent ! On sait tout ça. On le sait.

Mais le sentiment d’impuissance est lui aussi culpabilisant et pour cette raison ou d’autres plus culturelles, on va voir Hope.

Et on n’est pas déçu. Dès les premières minutes du film, on assiste à la tournante la plus spectaculaire qui soit car elle a lieu dans notre imaginaire. A travers les yeux, les visages impassibles d’une vingtaine d’hommes assis à l’arrière d’une bâchée qui doit leur faire franchir clandestinement une partie du désert. On n’entend que les cris désespérés de cette femme qui, déguisée en homme, venait à peine d’échapper à un premier viol, grâce à la miséricorde, au courage d’un seul.

Une des grandes forces de ce film est de ne nous montrer que rarement la violence brute. Les scènes de combat, de tortures sont suggérées ou filmées dans une semi obscurité qui ne se veut pas édulcorante ou poétique, mais qui est réaliste, concrète. En effet c’est la pauvreté extrême des lieux où elle se déroule qui la justifie : l’obscurité n’est pas image, figure de style, elle est le réel. Puis devient en même temps métaphorique. Nous ne sommes pas transformés en voyeurs. Nous sommes en enfer. A peine éclairés de ses flammes.

Souvent nous devons voir ces scènes aux côtés des autres protagonistes. Comme un figurant, jouant des coudes pour y assister, gênés par le bras, l’épaule d’un autre participant. C’est la promiscuité. Car nous sommes dès le début comme embarqués dans la bâchée. Le réalisateur filme au plus près des acteurs comme un caméraman reporter de guerre. Car nous sommes à la guerre. Sauf que ce n’est pas un documentaire avec ses possibles tremblements, sursauts, écarts de cadrage. Non là, l’image est nette, stable, sans bavure. Mais l’effet produit d’embarquement est réel.

La technique et l’esthétique font corps avec le sujet et portent la marque de l’authenticité. Des plans américains, serrés, des pénombres qui traduisent l’exigüité des lieux et des esprits donc.

Et par contraste des panoramas larges, des espaces lumineux, des visages éclairés, des plein jour qui expriment la joie, la santé, l’espoir.

Suffoquant à la découverte de ces communautés faussement solidaires, qu’elles soient congolaises, camerounaises ou nigérianes, dominées par des « chairmen» tous plus cruellement fous, cupides, assoiffés de pouvoir les uns que les autres, le spectateur a besoin de ces moments de respiration solaires.

Le film n’est pourtant pas manichéen. Et c’est en plein midi que se déroule une scène aussi simple qu’effroyable et scandaleuse. En Afrique. Aux portes du Sahara. Dans la première petite ville marocaine atteinte par lui, Léonard, personnage principal émigré se fait chasser et insulter par un petit boutiquier qui lui refuse de l’eau ! On connaît le racisme de certains arabes (qui en sont pourtant eux-mêmes par ailleurs victimes) à l’égard des noirs, mais refuser de l’eau, en ces lieux, quand on est un croyant, à un être humain…c’est impensable ! Une violence inouïe, petite, quotidienne, en plein soleil donc !

Parlons des protagonistes principaux. Léonard, Camerounais, francophone, il va devenir le (parfois triste) protecteur de Hope, l’héroïne éponyme du film, Nigériane, musulmane, anglophone. Mais c’est la langue du cœur, de la solidarité qu’ils vont se parler.

L’évolution du personnage masculin est celle d’un apprentissage : Léonard, capable de revenir en arrière, seul, dans le désert pour sauver une femme inconnue, va prendre du temps à devenir le lion caché dans son prénom. De son innocence initiale, sa foi chrétienne, sa générosité spontanée, il va devenir, face à la réalité brutale (au-delà de toute justice et de tout sens car même l’argent ne semble plus être le moteur des puissants), il devient tour à tour souteneur, voleur, assassin. Par nécessité. Poussé sur les chemins hasardeux de l’émigration par amour de sa famille qu’il veut aider, c’est aussi son amour pour Hope, devenue malgré lui sa femme, qui sera sa rédemption.

Il faut dire ici un mot sur l’acteur Justin Wang,*dont on peut louer le jeu subtil de la timidité, de la peur, de la mauvaise foi, de la colère…A vérifier si dans un autre rôle il aurait une aussi belle palette. Il est beau à voir également. Ce qui n’est pas le cas de Hope, Endurance Newton, qui, d’abord fagotée en homme, au visage ingrat, tarde à révéler sa beauté. Et se faisant, par le miracle de l’amour, elle entraîne le spectateur dans une identification telle que son chemin, celui de leur couple, devient le nôtre. Tout notre espoir est dans leur réussite, la nôtre. Dans notre réunion. Union fraternelle.

Il est question des violences physiques, morales, psychologiques, d’injustice, de prostitution, de vols, de viols, de tortures et d’assassinats constituants exclusifs de l’univers de l’émigration. Mais les violences premières les plus terribles sont exercées par des puissances invisibles et dont la force est telle que le couple en est contraint de se livrer à la communauté nigérienne dont Hope fuyait l’extrême brutalité au début du film. La peur qu’inspire la police marocaine, bouclier de l’Europe, se révèle, en creux, plus terrifiante que celle de rejoindre cette tribu sanguinaire des Nigérians. Ils sont capables grâce au vaudou d’exploiter leur propre peuple, au-delà du rideau de barbelés, jusque en Europe. (Dans cette Europe toute aussi prête à rejeter les émigrés qu’à les exploiter. Ce qu’elle faisait du temps de la colonisation et qu’elle continue de faire désormais, malgré elle semble-t-il, sur son territoire cette fois).

La grande force et la beauté de ce film, Hope, est qu’il n’apporte pas, comme le ferait un documentaire, un commentaire. A nous de le faire. Il n’y a aucun jugement aucun pathos. De sorte que sans pré-penser sur mesure, le spectateur s’interroge sur le titre du film. Quel espoir possible, raisonnable pourrait-il y avoir ? Pas sûr qu’un engagement politique vertueux, positif puisse se faire sans, d’abord, suivre le chemin de l’amour du prochain, du respect de l’autre. Le regarder sans crainte, sans à priori. De savoir reconnaître en l’étranger son humanité. Un autre soi-même à qui on ne peut refuser de l’eau.

Au moins cela : de l’eau.

*Les castings des acteurs ont été fait dans les ghettos camerounais et nigérian de Casablanca.