Guérir les fièvres de la vie migrante..

Par Roland Tell —

L’une des orientations vicieuses du monde politique moderne, c’est le populisme ! De Washington à .. Fort-de-France, en passant par Prague,Varsovie, Budapest, Vienne, Rome, une sorte d’avilissement de la démocratie se fait jour, avec pour corollaire la glorification de l’égo présidentiel. Ce qui se manifeste, en effet, c’est le mutuel emmêlement de la volonté du pouvoir et des profondeurs intérieures de l’esprit populaire, s’agissant tout particulièrement, en Europe, des étrangers et des migrants. Comment donc la démagogie ne serait-elle pas à l’affût d’une telle politique ?

Pour paraphraser Sartre, les inconnues du problème des migrations, c’est ce qui n’existe aucunement pour les peuples européens ! Elles doivent donc rester dans l’obscurité de l’imaginaire, comme enracinées au plus profond du psychisme humain, là où croît et se développe le racisme. Les « autres », qui viennent d’ailleurs, ne sont pas seulement différents par la couleur de la peau, mais ne seraient-ils pas aussi inférieurs, dégénérés, maudits, et donc condamnés aux fièvres de la migration ? Les peuples de race blanche, qui en subissent actuellement la présence envahissante en Europe, manifestent, en dépit de leur mentalité hiérarchique, la peur – une grande peur, parce que les migrants constituent des menaces potentielles pour leur mode de vie, leurs projets, leur travail, leur profit, leur absolutisme culturel, leurs traditions. D’où leur haine profonde de tout ce qui est étranger !

Le processus en question est essentiellement un processus d’asservissement. Il s’agit de contraindre tout élan démocratique, visant à ouvrir un chemin nouveau, un chemin vierge, consistant à modifier le mode d’évaluation des différences, pour reconnaître aux migrants leurs droits à l’identité ethnique, au sein des sociétés européennes. Dans toute démocratie qui se respecte, la liberté de maintenir les spécificités culturelles est essentielle, aussi bien dans le domaine privé que dans le domaine public. Le pluralisme culturel, le droit de vote aux élections, le contrat social et politique, tels sont les piliers organisant la vie commune, et intégrant dans la vie nationale. En lieu et place du populisme, qui met déjà la démocratie en échec, et qui est facteur de guettos sociaux, s’appuyant sur l’existence de communautés marginalisés, il convient d’adopter toutes mesures favorisant l’adaptation et l’intégration des étrangers. N’est-ce pas que le monde entier connaît de plus en plus une transformation culturelle ?

En effet, partout se manifeste un besoin d’universalisme, par renonciation progressive aux distinctions utilisées jusqu’ici. Certes, il ne saurait y avoir de centre supérieur de civilisation, mais des « mondes intermédiaires » vers une société mondiale. Ces mondes intermédiaires, que provoque ici ou là l’afflux des migrants, sont essentiels pour combattre les préjugés racistes, et toutes les formes de populisme rampant. D’où l’important processus de transformation, concernant la différenciation, venant de l’ouverture des frontières et des ports, de la rencontre avec les « autres », avec d’autres perspectives, donc la compréhension mutuelle, jusqu’à (pourquoi pas?)… l’intégration ! Les mondes intermédiaires, que sont actuellement les masses d’immigrants, mènent naturellement sur le chemin d’une intégration. C’est pourquoi les peuples européens ont besoin d’affirmer une tolérance productive, à partir de communautés de solidarité, créées en leur sein, soutenues par les Etats, socialement, financièrement, en vue de toutes interactions avec les immigrants. De telles associations, de tels groupements autochtones, capables de penser et d’agir de manière communicative, soucieux du droit à l’altérité de l’immigré, doivent être les premiers relais à l’émergence en Europe de sociétés multiculturelles.

A la racine donc de la société multiculturelle, il doit y avoir un processus associatif, tout à fait particulier, poursuivant pour la Collectivité des fins humanitaires, délibérément voulues, et capables de modeler l’adaptation sociale, et, progressivement, l’oeuvre d’intégration. Les deux tendances, allant de pair, contribuent à donner à celle-ci un équilibre durable, tout en maintenant les formes d’un universalisme éthique. Au lieu de l’étroitesse d’esprit de nationalistes fanatiques, de la montée des égoïsmes collectifs de sociétés fermées, de l’engrenage de mécanismes nationaux d’intimidation continuelle, tels le populisme, ou la répugnance pour les étrangers, comme en Hongrie, en Autriche, ou en Italie, il faut constamment plaider pour la solidarité universelle, pour le droit à l’identité ethnique, le dialogue interculturel, l’équiparité juridique, entre l’immigrant et l’autochtone.

S’agissant de l’Europe tout particulièrement, dans sa crise migratoire actuelle, un droit de l’immigration devra être établi sur les deux principes suivants : respect de la dignité de la personne, et unité fondamentale du genre humain, afin d’éviter tout racisme systématisé et légitimé, et toute exploitation sociale et économique des personnes immigrées. Une fois pour toutes, il faut faire admettre à tous, en Europe, que l’albitude européenne n’est en aucune manière la norme universelle de l’humanité. Car, sur toutes les dimensions de la terre humaine, celle-ci, notre humanité donc, dépasse ses divisions éthiques, nationales, culturelles, religieuses, pour former une communauté sans discrimination entre les peuples. Faut-il rappeler que notre patrie, c’est la terre humaine, qui justifie partout une attitude d’accueil et d’ouverture à l’égard des migrants, quels qu’ils soient, par dépassement des patriotismes et des nationalismes. En effet, qui n’a pas été un jour migrant dans son histoire ? C’est pourquoi les migrants d’aujourd’hui nous appellent à la mobilité et au changement, afin de refaire en nous les forces de vie humaine, pour étancher leur soif de voyages inattendus. Alors, il nous faut veiller, vivre, et les désaltérer …

ROLAND TELL