Fonctions et enjeux de la parole dans Texaco (Patrick Chamoiseau)

 

— Par Luce Czyba —

 

Résumé

 

C’est de mémoire collective et d’affirmation, par l’écriture littéraire, d’une créolité qui n’est pas que langage mais promeut une esthétique, que procède le projet de Texaco. La présentation par L. Czyba du roman et de la perspective dans laquelle il s’inscrit privilégie la dialectique de l’écriture et de la parole. Le « marqueur de paroles », relais et témoin de la narratrice principale qui le nomme « oiseau de Cham », accomplit en quelque sorte le rêve d’« oraliture » de son auteur Chamoiseau.

 

Texte intégral

 

Dans l’Éloge de la créolité1, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant se proclament créoles, ce qui, pour eux, ne signifie pas seulement être né et avoir été élevé aux Amériques, sans en être originaire comme les Amérindiens, mais surtout être « en quête », et souvent de façon douloureuse, « d’une pensée plus fertile, d’une expression plus juste et d’une esthétique plus vraie ». Ils refusent en effet de continuer à voir le monde à travers le filtre des valeurs occidentales, à se percevoir eux-mêmes « exotisés » par la vision française qu’ils ont dû adopter, autrement dit à se regarder eux-mêmes avec le regard de l’Autre. Ils reconnaissent ce que leur prise de conscience doit à des précurseurs tels que Gilbert Gratiant, Aimé Césaire et Edouard Glissant. Après des études secondaires et supérieures en France, Gratiant, agrégé d’anglais, a exhaussé le métissage en lieu de richesse en publiant en 1958 le Credo des sangs mêlés et faisant, la même année, dans Fac Combé Zicaque une extraordinaire investigation du lexique, des tournures, des proverbes, de la mentalité et de la sensibilité créoles. Créateur de la revue Lucioles, il s’est affirmé « multiple », conjuguant « la fierté d’être un homme de France » et celle « d’être nègre ». Auparavant, Le Cahier d’un retour au pays natal, publié en 1939, avait eu une importance capitale, Césaire ayant su percevoir « le cri oublié provenant de la cale » :

Avant Césaire, nous n’étions que des fantômes de poètes et de romanciers à la recherche obligée de la caution parisienne. Césaire, se reliant au cri de la cale, brisa le tabou.

La singularité de Césaire a été de « parler nègre à l’intérieur de la langue des blancs ». Bernabé, Chamoiseau et Confiant ne lui font pas procès de n’avoir pas associé le créole à sa pratique scripturale : ils ne voient pas en lui un anti-créole mais un ante-créole. En se déclarant « fils de Césaire », ils reconnaissent dans la « négritude » césairienne un « moment dialectique » incontournable de l’histoire des Lettres antillaises mais ils refusent de s’y enfermer. C’est pourquoi la démarche d’E. Glissant leur paraît exemplaire, non seulement dans Le Discours antillais2, où il cherche à comprendre ce que signifie être antillais en gardant une conscience claire et des apports de l’Europe et de ceux de l’Afrique, mais surtout dans le roman Malemort, paru en 1975, la même année que Dézafi, le roman haïtien de Frankétienne3. Selon les auteurs de l’Eloge de la créolité, ces deux textes ont créé les conditions d’une expression authentique en exorcisant la vieille fatalité d’une vision de soi « exotisée » et extérieure à soi.

Une vision intérieure de soi n’est en effet possible que si l’écrivain antillais découvre la richesse de son bilinguisme, occultée par le processus de francisation, s’il accepte et assume le caractère « mosaïque » de la culture créole, « agrégat interactionnel des éléments culturels caraïbes, européens, africains, asiatiques et levantins, réunis sur le même sol par l’Histoire ». L’Histoire antillaise est « une tresse d’Histoires »… La créolité ne se réduit donc pas à un seul aspect linguistique et elle est moins à définir qu’à aborder comme une question à vivre. Pour ces écrivains, exprimer la créolité, c’est exprimer « non une synthèse, non un métissage », mais « la conscience d’une diversité préservée ». Enfin, et surtout, la créolité n’est pas pour eux une valeur en soi ; pour être pertinente, son expression doit s’engager dans une démarche esthétique achevée : la pleine connaissance de la créolité sera donc réservée à l’art4.

Bernabé, Chamoiseau et Confiant distinguent cinq caractéristiques de la créolité. La première est l’enracinement dans l’oralité du conteur. On sait l’importance de ce dernier dans le système des Habitations, c’est-à-dire des grandes propriétés rurales qui employaient les esclaves pour la culture de la canne à sucre au siècle dernier, surtout avant 1848 et l’abolition de l’esclavage. La deuxième est la mise à jour de la mémoire vraie du peuple antillais, naufragée dans l’Histoire coloniale : « La mémoire collective est notre urgence » ; « Notre chronique est dessous les dates, dessous les faits répertoriés… Nous sommes paroles sous l’écriture » et « seule la connaissance poétique, la connaissance romanesque, la connaissance littéraire, bref, la connaissance artistique, pourra nous déceler, nous percevoir »5. La troisième caractéristique consiste dans la thématique de l’existence : « l’écrivain est un renifleur d’existence ». Les auteurs de l’Eloge de la créolité se réfèrent explicitement à L’Art du roman de Milan Kundera6 pour affirmer avec lui que « le roman n’examine pas la réalité mais l’existence, exister voulant dire être-dans-le-monde », et « l’existence » étant « le champ des possibilités humaines, non ce qui est passé ». Et de préciser : « Nous faisons corps avec notre monde » ; il s’agit pour nous de « prendre langue avec nos bourgs, nos villes, d’entrer dans toutes ces affaires de vieux nègres a priori vulgaires […] de donner à voir des héros insignifiants, anonymes7 ». La quatrième caractéristique de la créolité sera de ne pas empêcher « l’irruption de la modernité8 ». Car « être ancré au pays, dans ses difficultés, dans ses problèmes, dans sa réalité la plus terre à terre » n’implique pas que l’écrivain délaisse la « recherche d’une esthétique neuve9 sans laquelle il n’est point d’art, encore moins de littérature ». La cinquième caractéristique concerne le choix de sa parole par l’écrivain. En tant que créole, il possède plusieurs langues10 à partir desquelles il doit bâtir son langage. Le créole étant sa langue première, le véhicule originel de son moi profond, la langue avec laquelle il rêve et qui irrigue chacun de ses gestes, il sera une des forces de son expressivité. Mépriser le créole équivaut à une véritable amputation culturelle et à une stérilisation. Le romancier d’expression créole devra être « le récolteur de la parole ancestrale11 ». C’est dire que tout en acceptant la langue créole, il prendra ses distances par rapport à elle : il l’« éclaboussera » des « folies du langage qu’il se sera choisi ». Simultanément l’œuvre devra témoigner du fait que l’écrivain a conquis la langue française, qu’il se l’est appropriée, qu’il l’a habitée. Comme dit E. Glissant, dans Le Discours antillais, « il ne s’agit pas de créoliser le français mais d’explorer l’usage responsable (la pratique créatrice) qu’en pourraient avoir les Martiniquais ». Ecrire en « français idolâtré » ou en « créole idolâtré », c’est-à-dire sans distance par rapport à chacune de ces langues, c’est, pour un écrivain créole, dans les deux cas, demeurer sans langage dans la langue, donc sans identité, c’est ne pas accéder à l’acte littéraire12. Ainsi l’écrivain créole devra tout particulièrement se méfier des stéréotypes et des clichés de l’interlangue dont il dispose. Les auteurs de l’Éloge de la créolité préviennent l’objection éventuelle du risque d’incommunicabilité en invoquant le témoignage d’E. Glissant pour qui vivre une créolité complexe, c’est au contraire « vivre le Tout-Monde ». Et de conclure :

Nous recherchons le maximum de communicabilité compatible avec l’expression extrême d’une particularité […]. Notre plongée dans la créolité ne sera pas incommunicable mais elle ne sera pas non plus totalement communicable. Elle le sera avec ses opacités, l’opacité que nous restituons aux processus de la communication entre les hommes.

C’était déjà la leçon de Victor Segalen, dans son Essai sur l’exotisme13.

Partons donc de cet aveu de d’impénétrabilité. Ne nous flattons pas d’assimiler les mœurs, les races, les nations, les autres ; mais au contraire réjouissons-nous de ne le pouvoir jamais ; nous réservant ainsi la perdurabilité du plaisir de sentir le Divers14.

Cette réflexion critique, telle qu’elle apparaît dans L’Éloge de la créolité (1989) et les Lettres créoles (1991), a été conduite parallèlement et complémentairement à l’écriture du roman Texaco qui, commencé en août 1987, est achevé en janvier 1992. Il serait absurde de considérer Texaco comme une sorte d’application pratique d’un problème esthétique défini préalablement dans L’Éloge de la créolité et les Lettres créoles. La démarche de création artistique est, bien entendu, première et primordiale, l’essai de formulation théorique intervenant secondairement, comme une sorte de retour réflexif sur cette pratique de l’écriture romanesque. Pour Chamoiseau, on l’a vu, l’expression de la créolité doit s’engager dans ce qu’il appelle « une démarche esthétique achevée ». Or c’est bien ce que signifie la dernière phrase du roman. Pourquoi Texaco a-t-il été écrit ? « Pour nous conquérir nous-mêmes dans l’inédit créole qu’il nous fallait nommer – en nous-mêmes pour nous-mêmes – jusqu’à notre pleine autorité ». Le pluriel « nous », selon lequel « je » s’exprime au nom d’une collectivité et exprime cette dernière, rappelle le statut de l’écrivain dans Texaco : un « scribe15 », un « Marqueur de paroles » et en recherchant les traces de la mémoire collective. Selon E. Glissant, cité de façon significative en tête de la dernière partie du roman (p. 421),

Parce que la mémoire historique fut trop souvent raturée, l’écrivain antillais doit fouiller cette mémoire à partir des traces parfois latentes qu’il a repérées dans le réel.

Chamoiseau témoigne de cette démarche dans les remerciements qu’il adresse (p. 429) à tous ceux qui lui ont fourni ces « traces » à partir desquelles il a pu, selon la métaphore archéologique et expressive de Glissant, « fouiller » la mémoire de son peuple16. Les excuses finales17 ne sont pas une insignifiante formule de politesse. Quand le « Marqueur de paroles » se dit, avec la distance de l’humour, « honteux » (p. 419) ou « lamentable », c’est qu’il est conscient de l’« infranchissable barrière qui sépare la parole dite de l’écriture à faire, qui distingue l’écriture faite de la parole perdue » (p. 421)18. Le rêve de Chamoiseau serait une (impossible ?) « oraliture »…

Or, dans le dernier chapitre du roman, le « Marqueur de paroles » dit avoir découvert le Quartier Texaco en recherchant le dernier des Mentô, le vieux nègre de la Doum (p. 421)19, qu’il ne retrouve évidemment pas. Les Mentô que l’Histoire appelle « quimboiseurs, séanciers ou sorciers » ont été les « hommes de force »20 car ils ont détenu, outre le pouvoir de guérir, le sens du mystère, des mystères de l’existence, et surtout le pouvoir de la parole, c’est-à-dire celui de résister par la parole à toutes les formes de domination et d’oppression. Le Mentô sans en avoir l’air, a été force libératrice face à l’aliénation esclavagiste21. Tout se passe comme si le « Marqueur de paroles » avait pour fonction d’empêcher que soit anéantie et perdue cette force de la parole qu’a représentée le Mentô avant le « Temps béton » et le règne de la ville22 ; de relayer le Mentô dans la faculté qu’avait ce dernier de mobiliser l’« imaginaire mosaïque» créole (p. 422) :

La disparition de nos Mentô révélait (ô silencieuse douleur) la domination de notre esprit selon les formes nouvelles, méconnues des résistances traditionnelles. Les peuples n’étaient plus menacés par la botte, l’épée, le fusil ou les dominations bancaires de l’Etre occidental, mais par l’érosion des différences de leur génie, de leurs goûts, de leurs émois… – de leur imaginaire (p. 423).

Il s’agit pour l’écrivain d’empêcher cette érosion de l’imaginaire créole et de prévenir le « danger » signalé par Victor Segalen :

C’est pour la différence et dans le Divers que s’exalte

l’Existence

Le Divers décroît

10 Si le « Marqueur de paroles» ne peut que constater la disparition du « dernier Mentô »24, il rencontre en revanche, à temps pour qu’elle lui raconte son histoire, ou mieux, « ses histoires », la vieille femme qui a puisé, auprès de ce dernier Mentô précisément25, la force de fonder et de faire Texaco. Marie-Sophie Laborieux devient ainsi « l’Informatrice » (p. 423) du « Marqueur de paroles ». C’est après l’avoir écoutée26 en prenant d’abord des notes, puis en l’enregistrant au magnétophone, après avoir lu ses cahiers27, qu’il écrit son roman. Le romancier est donc celui qui « marque » et « ordonne » les paroles de « l’Informatrice » pour sauver de l’oubli la mémoire de cette dernière ainsi que la mémoire ancestrale dont elle est dépositaire28.

11 Comment le « Marqueur de paroles » s’acquitte-t-il de sa tâche ? Comment transcrit-il les « histoires » de Marie-Sophie ? Il justifie les limites de son pouvoir, ce qui justifie sa « honte29 », et donne à entendre l’écart irréductible entre l’oralité de son « Informatrice » et son écriture à lui, en s’avouant parfois exclusivement fasciné, charmé, au sens fort du terme, par la voix de cette femme, hors de toute compréhension rationnelle de son discours :

Elle avait des périodes de voix-pas-claire comme certains grands conteurs. Dans ces moments là, ses phrases tourbillonnaient au rythme du délire, et je n’y comprenais hak : il ne me restait qu’à m’y abandonner (débarrassé de ma raison) à cet enchantement hypnotique30.

12 Le romancier précise le lieu d’où il faut parler, comme l’a annoncé la citation d’E. Glissant en tête du roman (p. 11) :

Gibier… tu n’es qu’un nèg-bouk :

C’est de là qu’il te faut parler.

13 Il témoigne en effet de sa volonté de reconstituer fidèlement le langage de Marie-Sophie qui « mélangeait le créole et le français, le mot vulgaire, le mot précieux, le mot oublié, le mot nouveau, comme si à tout moment elle mobilisait ou récapitulait toutes ses langues ». L’écrivain doit donc, lui aussi, « mobiliser » à son tour toutes les siennes pour mettre à jour la mémoire vraie de l’Informatrice et exprimer de façon authentique la singularité créole de son imaginaire. C’est pourquoi il a refusé d’« arranger » la parole de Marie-Sophie dans « un français soutenu » comme « le plus souvent », elle l’en « priait ». La mise en scène d’un autre personnage du roman, Ti-Cirique, le lettré haïtien, a, entre autres fonctions, celle de remettre en cause, sur le mode de l’humour, la « passion fétichiste », l’idolâtrie du français académique, associée au rejet honteux de la langue créole, et de dénoncer, avec non moins d’humour, le conformisme de cette révérence linguistique comme contraire à la pratique d’une écriture vivante. Marie-Sophie ne voit pas davantage l’intérêt pour Chamoiseau d’écrire un roman, c’est-à-dire d’accomplir un travail d’écriture, à partir des « histoires » qu’elle raconte. Leur banalité, leur bassesse même, lui paraissent indignes de l’art :

Mon utilisation littéraire de ce qu’elle appelait « sa pauvre épopée » ne lui fut jamais évidente. Elle en avait une haute idée, mais elle n’en percevait nullement l’esthétique. Elle pensait (comme Ti-Cirique) qu’il fallait la conserver mais que de tenter l’écriture d’histoires tellement peu nobles était une perte de temps (p. 424).

14 Quand il oppose31 l’« Epître de Ti-Cirique » à la réponse du « Marqueur de paroles honteux », Chamoiseau sur le mode de l’humour encore, annonce ses choix poétiques et dénonce l’illusion de l’« Universalité » propre à un humanisme qu’il estime fourvoyé :

À écrire (déclare Ti-Cirique) […] l’on m’eût vu Universel, élevé à l’oxygène des horizons, exaltant d’un français plus français que celui des Français les profondeurs du pourquoi de l’homme, de la mort, de l’amour et de Dieu ; mais nullement comme tu le fais, encossé dans les nègreries de ta créolité ou dans le fibrociment décrépi des murs de Texaco. Oiseau de Cham 32, excuse-moi, mais tu manques d’humanisme et surtout de grandeur.

Réponse du Lamentable : Cher Maître, littérature du lieu vivant est un à-prendre vivant33.

15 Le roman est essentiellement constitué par le récit de l’Informatrice Marie-Sophie, la vieille câpresse, sauf dans le dernier chapitre, où, on l’a vu, le « Marqueur de paroles » fait entendre la sienne en disant « je ». Le « je » de Marie-Sophie est en fait inclus d’emblée dans un « nous » collectif34. « Nous » d’une collectivité de femmes tout d’abord, comme l’annonce, en tête du roman, la citation d’Hector Biancotti, le récit révélant en effet d’une façon particulièrement aiguë et expressive les épreuves qui ont caractérisé le destin de ces femmes. Marie-Sophie emploie aussi la première personne du pluriel parce qu’elle raconte plus de cent cinquante ans d’épopée de la Martinique, depuis les plantations esclavagistes jusqu’au drame contemporain de la conquête des villes (en créole « la conquête de l’En-ville »35). Et son récit se prolonge jusqu’à la dernière phase de cette conquête, quand, dans les années 80, le quartier Texaco, où Marie-Sophie s’est installée la première en 1950, est menacé d’être rasé par les bulldozers pour cause d’insalubrité. Ce récit, à partir du chapitre 236, est donc un plaidoyer, destiné à l’urbaniste chargé du dossier, pour le convaincre de renoncer à ce projet et de sauver Texaco. Et un combat, mené par cette « femme-matador », affrontant seule un danger de mort, armée de sa parole :

Alors j’inspirai profond : j’avais soudain compris que c’était moi, autour de cette table et d’un pauvre rhum vieux, avec pour seule arme la persuasion de ma parole, qui devais mener seule à mon âge, la décisive bataille pour la survie de Texaco.

[…]

C’est sans doute ainsi que je commençai à lui raconter l’histoire de notre quartier et de notre conquête de l’En-ville37, à parler en notre nom à tous, plaidant notre cause, contant ma vie38.

16 Le récit de la « femme-matador » destiné à l’urbaniste est ainsi enchâssé dans son récit d’« Informatrice » à l’adresse du « Marqueur de paroles », la narratrice, dans le premier chapitre, ayant précisé à ce dernier les circonstances de sa rencontre avec l’urbaniste. Or elle ne peut « conter sa vie » sans évoquer un passé de cent cinquante ans, sa mémoire individuelle ouvrant accès à celle de tous :

Pour comprendre Texaco et l’élan de nos pères vers l’En-ville, il nous faudra remonter loin dans la lignée de ma propre famille car mon intelligence de la mémoire collective n’est que ma propre mémoire. Et cette dernière n’est aujourd’hui fidèle qu’exercée sur l’histoire seule de mes vieilles chairs39.

17 Le modèle des Évangiles, dont Chamoiseau s’inspire de façon explicite pour structurer son roman et dont il joue avec humour, en particulier grâce aux commentaires entre parenthèses qui accompagnent les titres des chapitres, contribue fortement à produire le sens d’une œuvre qui, tout en signifiant l’amertume de souffrances ancestrales et contemporaines, exprime le goût de la vie et l’espérance. Le recours à l’humour révèle ici la distance prise par rapport aux événements et la combativité, le plus souvent allègre, qui caractérise celle qui raconte. À la fin du roman, le « Marqueur de paroles » déclare avoir réorganisé « la foisonnante parole de l’Informatrice autour de l’idée messianique d’un Christ » car « cette idée respectait bien la déréliction de cette communauté face à cet urbaniste qui sut la décoder »40. Car cet urbaniste, « foudroyé » d’une pierre dès son entrée dans le quartier, n’est pas « Le Fléau », « l’ange destructeur »41 de la mairie moderniste que les habitants de Texaco redoutaient mais leur futur sauveur… Le premier chapitre s’intitule donc « ANNONCIATION (où l’urbaniste qui vient pour raser l’insalubre quartier de Texaco tombe dans un cirque créole et affronte la parole d’une femme-matador) ». La partie centrale, la plus importante, consacrée à l’époque de la Martinique racontée à l’urbaniste par cette femme-matador, s’intitule « LE SERMON DE MARIE-SOPHIE LABORIEUX (Pas sur la montagne mais devant un rhum vieux) ». La dernière a pour titre « RÉSURRECTION » : résurrection du quartier par l’action de l’urbaniste assurément, mais surtout résurrection, par l’écriture du roman42, de toute la mémoire symbolisée par Texaco. Le « sermon » de Marie-Sophie est constitué de deux « Tables » : « Autour de Saint-Pierre » (jusqu’à la destruction de la ville en 1902), puis « Autour de Fort-de-France », selon une évolution qui caractérise l’Histoire de la Martinique. Ces « Tables » sont composées de « Temps »43, qui sont en fait des espaces-temps car les métonymies qui les désignent, métonymies de la paille, du bois-caisse, du fibrociment et du béton, matériaux successivement employés dans la construction des cases, ont pour fonction de signifier les étapes décisives de « la conquête de l’En-ville ».

18 Le quartier Texaco étant l’aboutissement, le produit, en quelque sorte de cette longue histoire, la narratrice qui est supposée naître à Fort-de-France dans les années qui précèdent 1914, commence par raconter ce qu’elle tient des récits de son père, Esternome Laborieux, né, lui, avant l’abolition de l’esclavage en 1848. En écrivant ses « cahiers », dont des extraits sont plusieurs fois cités44, Marie-Sophie a « poursuivi la parole de son père »45, parole qui s’était elle-même nourrie des récits d’Idoménée, épouse d’Esternome et mère de Marie-Sophie46. Dans ces mêmes cahiers, elle a aussi chercher à retrouver « les mots rares » de Papa Totone, le vieux nègre de la Doum47 : c’est lui en effet qui lui a appris que « chercher Mentô », c’est chercher « la Parole », que son « cher Esternome » a bien été « porté par une parole », et que « l’En-ville » va changer, sans qu’il sache « encore comment » ; ce que confirment au reste les « notes » de l’urbaniste « visionnaire »48. C’est encore Papa Totone qui a incité Marie-Sophie à se doter de l’arme qui fera sa force :

Trouve-toi un nom secret et bats-toi avec lui. Un nom que personne ne connaît et que dans le silence de ton cœur tu peux crier pour te mettre en vaillance. C’est La Parole un peu49.

19 Marie-Sophie ne révèle ce nom secret, « Texaco », qu’au moment de clore son récit. Il est significatif qu’elle se donne ce nom, qui exprime révolte, transgression et défi, au moment précisément où, malgré les interdictions et les risques encourus, elle a l’audace de s’installer, seule, sur le terrain de la compagnie pétrolière du même nom. Le titre du roman a donc une valeur métonymique et métaphorique. Il annonce et signifie les combats successifs et incessants de la femme-matador, fondatrice du quartier, jusqu’à la victoire finale50. Aussi demande-t-elle qu’on n’enlève jamais, à ce lieu conquis de haute lutte, son nom de Texaco, symbole de la destinée de tout un peuple dans sa « conquête de l’En-ville ».

20 Le récit de Marie-Sophie ne signifie pas moins que l’usage, sinon la maîtrise, de la langue française est indispensable à cette conquête de l’En-ville. Grâce à la bienveillance d’un maître mulâtre51, elle a non seulement appris à lire, mais découvert la littérature et relu pendant toute sa vie quatre livres hérités de ce maître : un Montaigne, un Rabelais, Les Fables de La Fontaine et une traduction d’Alice au pays des merveilles52. Quand, dans les derniers temps de sa lutte pour sauver Texaco, la femme-matador connaît un moment de découragement, Ti-Cirique, le lettré haïtien, invente pour elle une « thérapie littéraire »53 en lui lisant des poèmes de Rimbaud, Baudelaire, Apollinaire, Leconte de Lisle, Saint-John Perse, ainsi que des textes de Faulkner, Joyce et Kafka. C’est toutefois la lecture du Cahier d’un retour au pays natal qui produit sur elle un effet décisif. Il n’empêche que l’offre de ce remède est façon de rappeler, toujours avec humour, l’efficace de la parole des poètes… Aussi bien le lettré Ti-Cirique ne se réduit-il pas au personnage parfois moqué du « Marqueur de paroles » pour son idolâtrie de la langue française, qu’il maîtrise au reste impeccablement ! Le récit de Marie-Sophie rend un bel hommage à cet exilé, échappé de justesse aux tontons macoutes de Duvalier. Non seulement il devient, dès son arrivée, l’écrivain public qui manquait au quartier pour « décoder une lettre, rédiger une supplique », mais il intervient à temps pour aider Marie-Sophie à écrire quand elle est près d’abandonner son projet, et, ce faisant, il lui a permis de « résister aux enfers de Texaco »54. Il prend l’habitude de lire les cahiers de la vieille câpresse, de corriger ce qu’elle appelle ses « horreurs », donne sens à ses phrases, lui apporte « de son vocabulaire », excitant en elle « ce goût des mots précis dont la maîtrise », avoue-t-elle, lui « échappa » pourtant « à jamais »55. Quand il découvre les quatre livres de Marie-Sophie, son « respect » pour la langue française l’amène logiquement à se méfier « des folies de la langue et de la démesure » de Rabelais. Il n’en pressent pas moins que « c’est sans doute le plus grand ». Ti-Cirique est vraisemblablement l’interprète de Chamoiseau lecteur dans l’appréciation qu’il porte sur Montaigne, sur Lewis Caroll et sur La Fontaine :

[…] Montaigne, l’homme qui sut voir au-delà de sa seule culture et relativiser la pensée […]. Lewis Caroll qui nous enseigna à tous (autant que Don Quichotte et ce cher Kafka dont il faudrait parler, Madame), à quel point l’étirement du réel portait la connaissance (en l’occurrence celle de l’enfant), et comment le frottement du merveilleux et du réel (comme pratiqué en Haïti depuis nanni-nannan) ajoutait aux approches des vérités humaines […]. La Fontaine, enfin, « un sympathique qui savait écrire et que les Français ont tort de ne plus lire »[…]56.

21 Il n’est pas indifférent non plus que Chamoiseau ait fait de Ti-Cirique celui qui a parlé à Marie-Sophie « du vaste tissu qu’est la littérature, une clameur multiple et une, qui rassemblait les langues du monde, les peuples, les vies » ; celui qui lui a expliqué « comment certains livres rayonnaient à travers les époques, en suscitant les élans de l’esprit »57 ; celui enfin qui lui a parlé « des poètes dont la puissance pouvait briser la pierre » et qui demeure inconsolé d’avoir perdu son ami, le poète haïtien (non fictif), Jacques Stephen Alexis58. L’insertion des « Chants de Ti-Cirique sur Monsieur Jacques Stephen Alexis » dans le récit de Marie-Sophie59 permet à Chamoiseau de rendre hommage à deux des plus fameux représentants de la littérature haïtienne des années 50 car selon Ti-Cirique, qui remodèle, à l’usage de sa déploration, la belle métaphore, devenue titre du roman de Jacques Roumain60, Alexis était un « gouverneur de la rosée, une eau portée aux soifs de nos renoncements »…

22 La question de l’écriture, d’une écriture vivante, expression vive de la parole, est bien au cœur des préoccupations de l’auteur de Texaco. Les scrupules de Marie-Sophie, craignant de trahir la mémoire paternelle, quand elle transcrit en français les mots créoles de son Esternome, donnent à entendre les préoccupations de Chamoiseau lui-même61, de même lorsqu’elle découvre qu’écrire, c’est « un peu mourir »62, les mots écrits dissipant « pour toujours l’écho de la parole de (son) père »63. L’écrivain partage ici l’« épouvante » et les interrogations de son « Informatrice » :

… existe-t-il une écriture informée de la parole, et des silences, et qui reste vivante, qui bouge en cercle et circule tout le temps, irriguant sans cesse de vie ce qui a été écrit avant, et qui réinvente le cercle à chaque fois comme le font les spirales qui sont à tout moment dans le futur et dans l’avant, l’une modifiant l’autre, sans cesse, sans perdre une unité difficile à nommer ?64

23 Néanmoins la réponse du « Marqueur de paroles », qui inscrit ainsi encore une fois sa dette à l’égard du « Marqueur des échos-monde »65, est d’invoquer la démarche poétique exemplaire d’E. Glissant dont l’œuvre se fonde précisément sur l’affrontement de cette « épouvante » « avec un grand bonheur ».

 

Notes

 

1 . J. Bernabé, P. Chamoiseau, R. Confiant, Eloge de la créolité, Gallimard, 1989.

2 . Edouard Glissant, Le Discours antillais, Seuil, 1981.

3 . Frankétienne, Dézafi, Editions Fardin, Port-au-Prince, 1975 ; E. Glissant, Malemort, Seuil, 1975.

4 . Idée capitale que l’examen de la production plastique et notamment picturale dans toute la région des Caraïbes confirmerait. Mais ce n’est pas ici l’objet de notre étude.

5 . Souligné par nous.

6 . Milan Kundera, L’Art du roman, Gallimard, 1986.

7 . Souligné par nous car c’est précisément ce que fait Chamoiseau avec Texaco.

8 . Et de citer Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, Seuil, 1972 : « La modernité commence avec la recherche d’une littérature impossible ».

9 . Souligné par nous pour la raison indiquée supra.

10 . Au créole et au français il faut ajouter l’espagnol et l’anglais caribéens, « clefs » de « l’espace » des écrivains de cette région du monde.

11 . Souligné par nous pour la raison indiquée supra.

12 . Avec, en note, une nouvelle référence à R. Barthes (op. cit.) : « La langue est en deçà de la littérature […]. Ainsi, sous le nom de style, se forme un langage autarcique qui ne plonge que dans la mythologie personnelle et secrète de l’auteur, dans cette hypophysique de la parole, où se forme le premier couple des mots et des choses, où s’installent une fois pour toutes les grands thèmes verbaux de son existence […]. C’est l’Autorité du style, c’est-à-dire le lien absolument du langage et de son double de chair, qui impose à l’écrivain comme une fraîcheur au-dessus de l’Histoire […]. L’identité formelle de l’écrivain ne s’établit véritablement qu’en dehors de l’installation des normes de la grammaire et des constantes du style, là où le continu écrit, rassemblé et enfermé d’abord dans une nature linguistique parfaitement innocente, va devenir enfin un signe total, le choix d’un comportement humain ».

13 . La référence à Victor Segalen est explicite dans la note 45 de L’Eloge de la créolité. Segalen a conçu le projet de cet essai dès 1904 et commencé à prendre des notes à cette fin.

14 . Selon Segalen, le « Divers », c’est-à-dire « Tout ce qui est Autre », « signifie l’effort de l’esprit humain vers une relation transversale, sans transcendance universaliste ».

15 . Cf. p. 11 la citation d’Hector Biancotti : « Que rappellera ici le scribe qui ne rappelle à travers elle le sévère destin de toutes ces femmes condamnées aux maternités perpétuelles, expertes à déchiffrer les prophéties du vent, des crépuscules ou du halo brumeux qui parfois semble émaner de la lune, pour prévoir le temps de chaque jour et les travaux à entreprendre ; ces femmes qui, luttant à l’égal des hommes pour leur subsistance, firent ce qu’on appelle une patrie et que les calendriers réduisent à quelques dates bruyantes, à certaines vanités dont souvent les rues portent le nom ? ». Cette citation annonce la fonction de l’écrivain par rapport à Marie-Sophie Laborieux, l’héroïne de Texaco.

16 . Cf. p. 429, « Remerciements à Monsieur Serge Letchimy, dont les travaux sur l’urbanisme et la pensée ont nourri ces histoires – avec toute mon estime et mon admiration ; à l’écrivain Dominique Aurélia qui m’a permis de découvrir dans un de ses beaux textes la notion de « l’En-ville » ; à Monsieur Stanley STANDFORD, ex-président de l’association sportive et socio-culturelle de Texaco, qui m’a décodé l’indicible de ces lieux – avec mon infinie reconnaissance et mon amitié ; à tous les habitants du Quartier Texaco qui ont bien voulu satisfaire mes impossibles curiosités : Madame SICOT Mathilde Georges, Monsieur RENE Louison, crié Requin, Madame RENE Démar Germaine, Monsieur LAURENCE Emmanuel, crié Mano, Monsieur NARDY Georges, Monsieur NIRENOLD Robert, crié Mèt-Wobé, Monsieur ACCUS Guy, crié Moreau, et tous les autres…  »

17 . Ibidem, p. 429 : « en les priant d’avance de bien vouloir me pardonner de n’avoir pu leur offrir mieux – en Honneur et respect ».

18 . À l’origine de ce constat, la mort du conteur Solibo Magnifique, vécue comme un « drame » par l’écrivain qui a tenté de « reconstituer les paroles de la nuit de sa mort » . Cf. p. 426, cet aveu du narrateur au moment de clore son récit : « … j’écrivis de mon mieux ce Texaco mythologique, m’apercevant à quel point mon écriture trahissait le réel. Elle ne transmettait rien du souffle de l’Informatrice, ni même n’évoquait sa densité de légende ».

19 . Cf. p. 34 : la Doum, « tout au fond du quartier », était « un endroit couvert par une végétation impénétrable, pleine d’ombres et d’odeurs magiciennes » ; c’était « un monde hors du monde, de sève et de vie morte, où voletaient des oiseaux muets autour de fleurs ouvertes sur l’ombre. Nous y percevions des soupirs de diablesses que des enfants somnambules surprenaient à rêver dans un creux d’acacias. Elles leur lançaient des papillons de nuit aveuglés de soleil. À cause de cela, personne ne s’y aventurait. […]. Aujourd’hui, la rivière n’a plus le même allant, elle est boueuse et ne sert plus à rien, et les diablesses semblent avoir disparu »

20 . Cf. p. 62.

21 . Cf. p. 109 à 111.

22 . Les « repères chronologiques de nos élans pour conquérir la ville » (p. 13 à 15) distinguent cinq « Temps » : 1˚ « Temps de carbet et d’ajoupas » où « Caraïbes, Arawaks, colons français et premiers esclaves africains vivent sous des Carbets et de petits abris de branchages appelés ajoupas. Caraïbes et Arawaks seront décimés à mesure qu’apparaîtront les habitations sucrières esclavagistes et que naîtront les villes ». 2˚ « Temps de paille » où « les cases martiniquaises sont couvertes avec la paille des cannes à sucre tandis que les habitations esclavagistes se déstructurent et que s’amorce le règne des grandes usines centrales ». 3˚ « Temps de bois-caisse » où « les cases s’élèvent avec le débris des caisses tandis que sur l’effondrement du système des habitations s’érige le règne précaire des grandes usines à sucre ». 4˚ « Temps de fibrociment » où « la plaque de fibrociment enveloppe les cases tandis que l’économie sucrière s’effondre ». 5˚ « Temps béton » où « les cases se transforment en villas dans une gloire de béton tandis qu’avec l’anéantissement de la production économique, s’ouvre le règne de la ville ».

23 . Il est significatif que Bernabé, Chamoiseau et Confiant aient placé cette citation en tête de L’Éloge de la créolité.

24 . Cf. p. 315 sq.

25 . Cf. p. 320 à 324 : « Paroles du vieux nègre de la Doum ». Nous reviendrons plus loin sur ces pages capitales.

26 . L’« Informatrice » s’adresse nommément à « Chamoiseau » (p. 315). Elle l’appelle aussi souvent « Oiseau de Cham », en faisant un jeu de mots sur son nom à partir de l’expression stéréotypée « Fils de Cham » ou descendant de Cham, qui désigne, on le sait, la race nègre.

27 . Il dit avoir soigneusement déposé « de tels trésors » à la Bibliothèque Schoelcher (cf. p. 423, 424).

28 . Cf. p. 425 : « Avec elle, sa mémoire s’en irait comme s’en était allé Solibo Magnifique, et je n’y pouvais rien, rien, rien, sinon la faire parler, ordonner ce qu’elle me débitait ».

29 . Cf. supra.

30 . P. 424. En italique dans le texte.

31 . P. 19.

32 . Cf. n. 27.

33 . P. 19.

34 . Voir l’incipit du roman (et du récit de Marie-Sophie), p. 19 : « À cette époque, il faut le dire, nous étions tous nerveux ».

35 . Cf. p. 422 : « La langue créole ne dit pas « la ville », elle dit « l’En-ville » […]. L’En-ville désigne ainsi non pas une géographie urbaine bien repérable, mais essentiellement un contenu, donc une sorte de projet. Et ce projet, ici, était d’exister ».

36 . Et de la p. 43.

37 . Cf. p. 11, après celle d’H. Biancotti, la citation d’E. Glissant : « La ville était le sanctuaire de la parole, du geste, du combat ».

38 . P. 38.

39 . P. 44.

40 . P. 426.

41 . P. 33, p. 36-37.

42 . Voir le commentaire que complète le titre « Résurrection » : « (pas en splendeur de Pâques mais dans l’angoisse honteuse du marqueur de paroles qui tente d’écrire la vie) ».

43 . Cf. supra, p. 199.

44 . P. 45, 51, 53, 57, 58, 59, 64, 67…

45 . Cf. p. 423.

46 . Cf. p. 193 : « Idoménée lui dit Fort-de-France comme elle n’eut jamais le temps de me le dire […]. Ce qu’il savait de Saint-Pierre complétait ce qu’elle disait de Fort-de-France. Ce qu’elle en savait provenait des paroles entendues tout au long de sa vie »…

47 . Cf. p. 319 : « J’ai écrit ses paroles sur de vieux cahiers ; enfin ce qui m’en est resté […]. Ces paroles m’habitèrent sans même que je le sache »… Cf. p. 320-324 : « PAROLES DU VIEUX NEGRE DE LA DOUM » (Cahier n˚ 27 de Marie-Sophie Laborieux).

48 . Cf. p. 203-204, Note de l’urbaniste au Marqueur de paroles. Chemise n˚ 8, Feuillet XIX : « Au cœur ancien : un ordre clair, régenté, normalisé. Autour : une couronne bouillonnante, indéchiffrable, impossible, masquée par la misère et les charges obscurcies de l’Histoire. Si la ville créole ne disposait que de l’ordre de son centre, elle serait morte. Il lui faut le chaos de ses franges […]. Texaco est le désordre de Fort-de-France ; […]. L’urbaniste ne choisit plus entre l’ordre et le désordre »…

49 . P. 323, en italique dans le texte.

50 . P. 416-417 : « Le nom secret. L’EDF apparut un jour le long de la Pénétrante Ouest, planta des poteaux, et nous brancha l’électricité. Ce fut une joie sans faille. Plus tard, nous vîmes passer des hommes qui regardaient, étudiaient et redisparaissaient, mais cette fois nous étions confiants : le Christ quelque part à la mairie travaillait pour nous. Quand il réapparut un jour, se dirigea chez moi, je sus qu’il m’amenait la nouvelle dernière : l’En-ville désormais nous prenait sous son aile et admettait notre existence. Il me dit en effet que l’En-ville intégrerait l’âme de Texaco, que tout serait amélioré mais conservé selon sa loi première, avec ses passes, ses lieux, avec sa mémoire tellement vieille dont le pays avait besoin »… (souligné par nous).

51 . Cf. p. 328-241. Marie-Sophie insiste sur ce qui caractérise l’ambition des mulâtres : « leur goût de la langue de France, leur amour du savoir »…

52 . Cf. p. 240 (Montaigne) : parce qu’il parle « de lui, de ses humeurs, du cœur, de l’homme et de sa mort, de tout sous toutes ses coutures comme me l’avait fait, avec sa seule parole, mon papa Esternome » ; p. 248 (Rabelais) car « son langage bizarre lui rappelle les phrases de (son) Esternome » ; p. 248 : « les Fables de Monsieur de La Fontaine où écrire semble facile » ; p. 248 : « l’Alice de Lewis Caroll, qui va en toute merveille, comme un vrai conte créole »…

53 . Cf. p. 401 : « Il me lut cinquante-douze fois Le Bateau ivre d’Arthur Rimbaud pour m’éveiller la liberté, me lut Baudelaire pour cerner ma souffrance, me lut Apollinaire pour diluer ma détresse, me lut Leconte de Lisle afin de soulever en moi des exaltations qu’il disait mécaniques, il me lut Saint John Perse pour prendre hauteur du monde dans l’embrun vagabond, il me lut Faulkner pour le fonds-de-tête des hommes en ténébreux désordres, il me fit accompagner James Joyce dans l’En-ville de Dublin où l’infini s’envisageait, il me lut Kafka pour dérouter les fixités du monde, puis me lut Césaire, le Cahier d’un retour au pays natal afin de prendre courage dans les sidérations de la Bête, les prophéties, le verbe haut de Major général et la magie des mots qui fusaient d’un tam-tam. Une phrase soudain m’habita »…

54 . Cf. p. 354 : « J’avais toutes les raisons d’abandonner l’écrire […]. L’arrivée de Ti-Cirique l’Haïtien me confirma cette voie »…

55 . Cf. p. 356-357.

56 . P. 356.

57 . P. 357.

58 . Voir les Lettres créoles, op. cit., p. 147-149. Le premier roman de Jacques Stephen Alexis, en 1955, Compère Général Soleil, a obtenu un succès immédiat. Alexis a approfondi le « réalisme merveilleux », (en rapport avec les latino-américains Alejo Carpentier et Garcia Marquez), avec Les Arbres musiciens (1957), L’Espace d’un cillement (1959), Romancero aux étoiles (1960).

59 . Pp. 357-358 (13 Cahiers hors série de Marie-Sophie Laborieux).

60 . Jacques Roumain, Gouverneurs de la rosée, Editeurs Français Réunis, Messidor, 1948.

61 . Cf. p. 353 : « … écrire pour moi c’était en langue française, pas en créole. Comment y ramener mon Esternome tellement créole ? » (en italique dans le texte).

62 . Ibid., « Dès que mon Esternome se mit à me fournir les mots, j’eus le sentiment de la mort. Chacune de ses phrases, (récupérées dans ma mémoire, inscrite dans un cahier) l’éloignait de moi. Les cahiers s’accumulant, j’eus l’impression qu’ils l’enterraient à nouveau. Chaque phrase écrite formolait un peu de lui, de sa langue créole, de ses mots, de son intonation, de ses rires, de ses yeux, de ses airs »…

63 . Ibid., p. 353 : « Le sentiment de la mort fut encore plus présent quand je me mis à écrire sur moi-même et sur Texaco. C’était comme pétrifier les lambeaux de ma chair. Je vidais ma mémoire dans d’immobiles cahiers sans en avoir ramené le frémissement de la vie qui se vit, et qui, à chaque instant, modifie ce qui s’était produit. Texaco mourait dans mes cahiers alors que Texaco n’était pas achevé. Et j’y mourais moi-même alors que je sentais mon être de l’instant (promis à ce que j’allais être) s’élaborer encore ».

64 . P. 354.

65 . Il est également significatif que P. Chamoiseau et R. Confiant aient, à la fin des Lettres créoles, op. cit., (p. 185-202), accordé une place de choix à la présentation de l’œuvre d’E. Glissant.

 

Pour citer cet article

 

Référence électronique

Luce Czyba, « Fonctions et enjeux de la parole dans Texaco (Patrick Chamoiseau) », Semen, 11, Vers une sémiotique différentielle, 1999, [En ligne], mis en ligne le 25 mai 2007. URL : http://semen.revues.org/document2878.html. Consulté le 20 janvier 2008.

 

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