Félicité

— par Guy Gabriel —

Félicité

Réalisé par Alain Gomis ; avec Véronique Beya Mputu, Papi Mpaka, Gaëtan Claudia

Félicité est une femme forte et indépendante qui gagne sa vie en chantant dans un bar de Kinshasa ; des voix puissante, elle fait vibrer les spectateurs qui se défoulent en buvant plus que de besoin et dans un ambiance électrique ; elle vit séparée de son mari et élève seule son fils Samo. Sa vie bascule lorsque ce dernier a un accident de moto ; il lui faut, alors rapidement trouver l’argent qui lui permettra d’éviter l’amputation d’une jambe de Samo. Alors commence pour elle un parcours du combattant incroyable…

Félicité qui vient recevoir, après l’Ours d’Or à Berlin, l’Etalon d’or au dernier Fespaco (Festival du film de Ouagadougou) est ce qu’on appelle un petit bijou cinématographique. Centré sur un personnage de femme forte, qui va se révéler, après un de ces malheureux hasard que la vie vous réserve ; la mise en scène va d’emblée se mettre au service de sa prise en charge d’elle-même ; elle se trouve, en fait obligée de rebâtir sa vie qui va passer de musicale à dramatique. Sa voix qui était l’objet de son existence va laisser la place à une première quête, qui va être celle de l’argent pour empêcher l’irréparable, à une nouvelle quête, qui va être celle de sa voix. Gomis va traiter le destin de Félicité comme une vraie tragédie grecque, soulignant l’absurdité d’une situation qui deviendra difficile à maîtriser, les obstacles ne manquant pas.

Si le film est porté par la superbe Véronique Beya Mputu, la musique des Kasai All Stars donne une dimension émotionnelle amplifiée et fait réellement exister Félicité, mais aussi son environnement, un environnement urbain un rien délabré ; on comprendra que cet environnement n’est pas un simple décor, mais un vrai personnage ; en effet, la ville de Kinsasha est un vrai labyrinthe, symbole, peut-être de l’état mental de Félicité ; il est vrai que, pour placer son film sur le plan de l’authenticité Gomis s’est rendu à Kinshasa afin, dit-il « donner une nouvelle écriture » et, on y trouve, à la fois, le mélange de l’agitation du jour et la sensualité de la nuit dans ce bar où chante Félicité ; autant dire une tentative d’unir l’harmonie et l’instabilité, un peu à la manière des symboles nietzschéens d’ Apollon (la cohérence et la lucidité) et de Dyonisos (l’élan vital, la spontanéité), ce qui explique, intelligemment, la fissure psychologique de Félicité et la difficulté de son combat, car il s’agit, rien moins, que de reprendre son destin en main.

Gomis s’attache à son personnage principal, en donnant l’impression de le traquer avec une caméra souvent à l’épaule, ce qui donne un équilibre harmonieux entre l’histoire et la mise en image, car, jamais le point de vue de l’héroïne n’est mis entre parenthèse.

Un film magnétique et puissant.

Guy Gabriel