Et si demain , un monde sans travail aux Antilles ?

L’urgence est d’anticiper dès aujourd’hui la société que nous voulons pour demain !

— Par Jean-Marie Nol, économiste financier —
Dans le contexte actuel de crise et d’incertitude, d’un monde en accélération et en complète transformation, un certain nombre d’intellectuels Antillais sont aujourd’hui inaudibles sur les enjeux de demain . À quelles conditions peuvent-ils encore nous apporter un éclairage sur les mutations actuelles de la société guadeloupéenne et martiniquaise ?

 

Hier soir mercredi 11 octobre 2017 , France 5 a diffusé le documentaire « Un monde sans travail » qui interroge les mutations d’une société confrontée à l’automatisation croissante du travail. Alarmiste mais édifiant.
Les technologies vont-elles détruire le travail ? Cette question tourmente les hommes depuis les débuts de l’ère industrielle. La machine à vapeur, l’électricité, l’automobile ont remplacé des millions d’ouvriers… mais, toujours, de nouveaux postes sont apparus. Aujourd’hui, les stupéfiants progrès de l’intelligence artificielle vont confronter la société à un terrible défi. Dans la décennie qui vient, robots et ordinateurs intelligents vont générer un chômage sans précédent. Comme les machines ont remplacé les ouvriers, des programmes informatiques pourraient se substituer aux employés de bureau. Mais alors que les « cols bleus » se sont reconvertis dans les services, les « cols blancs » pourront-ils trouver comment rebondir , alors même que les entreprises de tous les secteurs, déjà, envisagent de se séparer de leurs salariés. Loin des regards, l’automatisation des tâches intellectuelles s’est enclenchée. Il faut en prendre conscience dès maintenant, affronter ce nouveau défi et trouver des solutions pour tous. Sans quoi seuls les plus riches en profiteront.
Mais la Guadeloupe et la Martinique sont déja en crise et ce n’est pas nouveau. Le modèle économique et social de la départementalisation est à bout de souffle et l’ère numérique ne va faire qu’accélérer et précipiter un déclin entamé il y a une vingtaine d’années. Selon la Cour des Comptes, « Les deux tiers des 136 collectivités de Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion connaissent une situation financière fragile, dégradée ou critique ». Dans le détail, « la moitié des communes de Martinique et de Guyane, et un tiers de celles de Guadeloupe ont une épargne brute négative. Les départements de La Réunion et de la Guadeloupe ne parviennent à dégager qu’une faible épargne nette. Quant aux deux collectivités uniques, nouvellement créées, de Martinique et de Guyane, elles traversent aussi de graves difficultés financières. »En Martinique , le PIB a baissé de 1,1 % en 2016 . Tout s’explique d’après l’INSEE et l’IEDOM par la diminution de la population avec une baisse de 0,9% en 2016, mais aussi une forte baisse de l’investissement public.
Conséquence de cette situation financière dégradée, la gestion économique et sociale de la Martinique est affectée : Pour s’en convaincre, il suffit d’observer quelques chiffres :

– 61,5 % des jeunes guadeloupéens et martiniquais âgés de 15 à 24 ans ne sont ni en emploi, ni en formation. Ce sont des NEETs (neither in employment nor in education or training) dans le jargon européen. Une définition qui regroupe en réalité des situations très hétérogènes : 40 % des NEETs sont des chômeurs de courte durée – souvent des jeunes diplômés en recherche d’un premier emploi ou des jeunes qui entrent de nouveau sur le marché du travail après une reprise d’étude ou une formation – tandis que les 60 % restants sont des chômeurs de longue durée ou des inactifs qui se retrouvent durablement éloignés de l’emploi en raison de leur situation personnelle (responsabilités familiales, état de santé) ou d’un manque de qualification. Ils se retrouvent ainsi enfermés dans une phase de transition, qui peut se révéler plus ou moins longue.

 

– 7 guadeloupéens et 6 martiniquais sur 10 sont irrémédiablement dépassé par la mutation numérique actuelle et risquent le déclassement à court-terme .

Face à la révolution numérique , nous Guadeloupéens et Martiniquais , ne pouvons pas rester sans rien dire. Nous ne pouvons pas rester sans agir. Notre modèle de société montre son inadéquation, son incapacité à continuer.
Si nous nous accrochons à notre modèle actuel de société, c’est le dépôt de bilan assuré qui nous attend tous , car nous n’avons rien vu venir.

L’intelligence artificielle pourrait détruire 10 millions d’emplois dans le monde dans les prochaines années selon le cabinet de conseil CB Insights . Selon une étude récente du Centre pour les entreprises et la recherche économique à l’université Ball State, quelque 5,6 millions d’emplois manufacturiers américains ont disparu en 10 ans aux États-Unis, avec environ 85% de ces pertes « en réalité attribuables aux changements technologiques, en grande partie automatisés ». Et les experts prévoient que la prochaine vague de destructions d’emplois se fera dans les services et là nous serons aux Antilles impactés directement ….La fracture (ou fossé) numérique est l’un des aspects de la disparité des ressources dans le monde entre le Nord et le Sud. Elle la reflète et l’amplifie à la fois. L’expression correspond à l’inégalité d’accès aux bénéfices des nouvelles technologies d’information et de communication (TIC), ainsi qu’à l’ensemble des inégalités qui en découlent.

la révolution numérique laminera les classes moyennes, contribuera à la raréfaction des emplois et au creusement des inégalités . Ceux des pays qui ne réagirons pas à temps , risque le déclassement économique et social , car le tsunami numérique amplifiera la globalisation et intensifiera la concentration géographique du savoir dans quelques pays . Faut-il former tout le monde à la programmation informatique ? En tout cas, en connaître les fondamentaux est devenu nécessaire pour être capable d’agir dans un monde toujours plus numérique.Trois personne sur cinq reconnaissent être désorientées et stressées par la société qui se numérise rapidement. Ce groupe est donc menacé d’exclusion. Quoi qu’il en soit, les autorités doivent assumer une tâche importante. Tout le monde se rend compte qu’une numérisation accrue est inévitable, mais sur l’entrefaite, un groupe important de gens ne suit plus le mouvement. Cela exige des actions urgentes de sensibilisation de la part des dirigeants politiques mais également surtout des intellectuels .

 

Aujourd’hui, l’esprit se révolte contre le sort qui est promis à l’homme. Crise sociale, crise financière, crise écologique, crise démocratique… dans tous ces domaines, nos sociétés approchent d’un point de rupture, d’un point de non-retour. Après 30 ans de progrès inhérent à la départementalisation , nous arrivons à un moment crucial. Tout se passe en Guadeloupe et Martinique comme si une petite oligarchie intéressée seulement par son pouvoir à court terme avait pris les commandes et ce sans avoir la capacité de gérer l’avenir de nos pays . Serons-nous la première génération qui, non seulement devrait renoncer au progrès social mais aussi accepter sans réagir d’aller vers un «suicide» collectif ? Dans ce contexte qui nous pousse à l’inquiétude, il me semble essentiel de ne pas oublier que l’avenir de notre société réside dans ses enfants, que les malheurs de ces derniers exposés à la révolution numérique sont et seront nos malheurs. Nos systèmes de pensée, trop rigides et souvent guerriers, n’ont pas encore permis de réaliser cette « métamorphose » de la société, des pratiques, des comportements, des organisations, de l’économie ou du social.
Alors que le monde peut sembler morose, que l’avenir est incertain, que de la peur naissent les mouvements de haine , de radicalisation sociale , et de repli sur soi, nous nous devons de réagir et sortir de notre torpeur actuelle . Une véritable évolution exige un changement rapide de mentalité. Sans doute ne sommes-nous, d’ailleurs, qu’au début des mauvaises surprises avec nos élites dont le regard est tourné vers le passé. Obnubilés par l’histoire de l’esclavage et du colonialisme , incapables de penser une transformation de la société de départementalisation, ou juste ignorants, les intellectuels guadeloupéens et martiniquais se font discrets sur les problématiques actuelles de la société Antillaise . Face aux bouleversements de l’époque, la responsabilité de l’intellectuel est de ne pas se taire . Il doit aider à comprendre l’avenir et non susciter la nostalgie ou la haine du passé . La Guadeloupe tout comme la Martinique sont actuellement des pays bloqués du point de vue économique et social compte tenu de l’état dégradé des finances de la France, et tout le bas de la société Antillaise est en train de pourrir parce qu’on ne peut plus faire de politique de relance… Comment peut – on croire que l’avenir réside dans la recherche et la perpétuation des souvenirs du passé , quand tout prophétise plus d’injustice sociale, plus de pauvreté , plus de violence, pour demain ?
Alors que les enjeux planétaires sont de plus en plus complexes, l’époque où nous pouvions entièrement compter sur nos intellectuels pour éclairer l’avenir est quasiment révolue , et ce alors même que l’urgence, dans un premier temps, est d’éveiller les consciences des Guadeloupéens et Martiniquais . Si les intellectuels médiatiques n’ont pas grand-chose à dire, c’est parce que la plupart d’entre eux continuent de raisonner avec des catégories et des schèmes issues du milieu du vingtième siècle . Le noeud du problème est le manque actuel de vision qui s’avère être un frein à l’engagement . Nous avons affaire à des intellectuels prisonniers de schémas de pensée qui les rendent peu aptes à penser la nouveauté !
Face à l’incapacité des politiques de tous bords d’anticiper et de s’adapter aux changements qui s’annoncent, l’objectif de l’intellectuel Antillais devrait être d’inspirer hors de toute idéologie ou dogmatisme, un nouveau modèle, qui permette de faire face ensemble aux grands enjeux de la globalisation et de la civilisation numérique.
Un modèle pérenne, et qui donne envie aux jeunes générations de guadeloupéens et martiniquais de vivre et désirer demain.

 

Jean-Marie Nol
Economiste financier