« L’esclave » : un roman érotico-théologique original de Michel Herland

— Par Roland Sabra —

l_esclave_herland-400C’est un livre étrange que nous offre Michel Herland à l’aube de sa retraite de Professeur des Universités, en Sciences Économiques. Étrange, inclassable. Le titre ? L’esclave. Le genre ? Indéfini, il balance allègrement entre érotisme, théologie, philosophie avec une pointe d’histoire de la pensée économique. L’histoire ? Il y en a quatre qui se rejoignent à la fin. La première débute en 2009, un professeur de philosophie, à Aix-en-Provence, par ailleurs marié et père de famille, drague une de ses étudiantes, la séduit, la baise entre deux cours, lui fait cours entre deux baises. Situation de pouvoir, relation de domination entre le maitre, Michel et l’élève, Colette. La deuxième histoire est le prolongement de la première, soixante dix ans plus tard, nous sommes en 2081, Colette à l’annonce de la mort de Michel dont elle n’a cessé d’être amoureuse, recompose, revisite l’histoire première à la lumière d’une situation politique caractérisée par le dépérissement de l’Occident chrétien en voie d’islamisation. Pas moins! La troisième histoire qui débute en 2114 concerne l’arrière-arrière-petite fille de Colette, tombée en esclavage de Selim un riche propriétaire foncier riche, musulman et sadique⋅ A la même époque et c’est le quatrième récit, le petit village gaulois d’Astérix ressuscite dans les Pyrénées sous le nom d’Ercol. Sous la forme d’une assemblée proche d’un communisme primitif il fait bien sûr de la résistance. Donc trois périodes et quatre histoires dont deux concomitantes. Aussi simple ? Pas tout à fait car la troisième histoire est en fait un roman écrit par Michel  et que commente Colette  à deux époques différentes.
La thématique englobante du propos tourne autour de questions philosophiques sur fond d’érotisme lancinant. Il y a une figure centrale que l’on retrouve plus ou moins sous diverses identités : Emmanuel, Michel… Le Michel du roman, est donc un professeur de philosophie, assez imbuvable, d’un pédantisme forcené, imbus de lui-même, caparaçonné d’un machisme sévèrement « burné », il s’écoute parler et n’écrit que pour pouvoir se relire et contempler sa prose. Petit joueur, il donne son roman à lire à sa maitresse, son étudiante, assuré ainsi que la critique formulée sera empreinte de la relation de domination intellectuelle et amoureuse qu’il exerce sur elle. Pour lui, l’homme est un animal rationnel. Celui du calcul. De quelle rationalité s’agit-il ? Instrumentale, essentiellement instrumentale, elle même réduite à la peau de chagrin de la rationalité économique, elle est celle qui veut que le comportement de l’homme corresponde à la seule défense ses intérêts. L’homme agit pour optimiser son bien-être. La rationalité axiologique, celle qui veut qu’un comportement soit assujetti à des valeurs morales quand elle est évoquée ne semble l’être que pour la forme. On peut livrer des femmes promises à la lapidation à un tortionnaire en échange de sa propre vie sauve. ( p.375). Un simple calcul coûts/avantages résout le problème. La religion n’a pas à dire le vrai, il lui suffit d’être utile ! (p.296, p.298) Faut-il torturer un prisonnier pour qu’il désigne l’endroit où sont cachées les bombes qui vont détruire la cité ? Le thème n’y est pas mais il pourrait y être ! Bigeard, lors de la Bataille d’Alger a déjà anticipé la réponse!
Le Michel du roman est un bon rhétoricien, agnostique il est ce lâche qui ne veut pas prendre position, qui toujours se situe dans l’entre-deux, entre déisme et athéisme, tout comme il navigue entre femme et maitresse. Il estime «  Impossible de prouver que Dieu existe ou que Dieu n’existe pas ». S’il ne reprend pas à son compte le propos il n’est pas très éloigné de celui qui dit « J’affirme que Dieu existe ! Prouvez-moi le contraire ! » Comme si les deux éléments étaient équivalents ! Habileté qui consiste à faire en sorte que celui à qui s’adresse l’injonction soit contraint de se placer sur le terrain de l’énonciateur.  « Dieu? Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse » ainsi répondait Laplace à Napoléon qui lui demandait pourquoi son traité de cosmologie ne parlait pas de Dieu. En d’autres termes que ceux qui font cette hypothèse se démerdent avec et foutent la paix à ceux qui n’en ont cure !
C’est aussi un idéaliste petit-bourgeois (p. 234), pourrait-on dire, bien à l’aise dans les mirages de l’idéalisme « cette croyance en la domination des idées » . Il apparait comme un jouisseur qui instrumentalise autrui pour ses besoins personnels. Il refuse de changer le monde, il faut, dit-il, « commencer à réfléchir » à sa transformation. . Pour ne rien changer puisque s’il existe des inégalités, les victimes de discrimination doivent seulement « redoubler d’effort  pour réussir » (p 233). Et Colette qui ose le qualifier d’intellectuel de gauche (p.205)!! L’amour est aveugle! Il apparait comme  celui qui toujours refuse de s’engager et qui, somme toute, se satisfait du monde tel qu’il est, il réfute le Marx qui  écrivait  » « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; il faut désormais le transformer ». Il semble toujours dans une position d’entre-deux. Il encense l’eau tiède qu’il érige en système philosophique.
Il est d’autres personnages, beaucoup plus attachants. Les deux fugitives, séduisantes de fragilité et de détermination farouche à échapper à l’enfer d’une cage dorée, et les habitants d’Ercol qui tentent de réinventer des formes de vie communautaire et qui résistent tant qu’ils le peuvent à la tentation de restauration d’un chef de horde. Celles-là et ceux-ci présentent les visages les plus sympathiques, à l’exception d’une Maïté porteuse d’une destinée supposée de traitresse et vouée à la déréliction. Les personnages les plus sombres, les plus chargés négativement se situent du côté du christianisme alors que du côté de l’islam on rencontre un véritable saint homme.
Il y a donc dans le roman toute une dimension révision du cours de philosophie de terminale assez amusante même si l’ensemble est coloré d’un utilitarisme grand teint. Comment expliquer l’apparition de l’esclavage ? Pourquoi le dominé accepte-t-il la domination ? Le maître est-il libre ? Comment et pourquoi les religions du Livre se sont elles accommodées du système esclavagiste ? La version musulmane est-elle plus complaisante à cet égard que la version chrétienne ? Jésus, fils de Dieu dés la naissance ou prophète, messie divinisé ? Erich Fromm avait déjà abordé les conséquences politiques et sociales de telle ou telle option en soulignant la dimension conservatrice voire réactionnaire du choix retenu.  Platon, Kant, Hegel, Freud, Sartre sont convoqués et tenus de s’expliquer. De longues comparaisons, plutôt bien argumentées entre le Coran et le Nouveau testament parcourent donc les pages du roman. Gageons que quelques sensibilités risquent d’être malmenées lorsque par exemple l’auteur raille la grande RATP ( Religion d’Amour de Tolérance et de Paix) issue du Livre.
La dimension érotique est développée mais Michel Herland n’est pas Apollinaire. Plus précisément, si le roman comporte de longs et beaux passages sous forme de poèmes, attribués à Colette, les descriptions de scènes d’amours n’ont pas l’intensité, la précision, la cruauté ni même l’obscénité des « Exploits d’un jeune don Juan » ni celle d’un Mac Orlan dans « Melle de Mustelle et ses amies ». Les scènes de sexe donnent le sentiment d’une description de l’extérieur sans une réelle participation. Elles manquent parfois de piment. En d’autre termes elles restent très convenables et même convenues. L’intrigue du roman dans le roman est parfois un peu faible et on note quelques facilités comme par exemple la découverte des deux fugitives à Ercol par un cavalier, venu d’on ne sait où et qui va vendre l’information.
Le livre est passionnant par les thématiques qu’il aborde, intéressant par les genres littéraires qu’il aborde qui vont du roman classique au roman dans le roman en passant par le roman épistolaire, irritant par une coloration qui pourrait abusivement paraître islamophobe, original dans sa construction et toujours agréable à lire. Michel Herland, bon connaisseur des textes religieux, manifeste très clairement un désir jusqu’alors inassouvi de philosophie qu’il nous fait partager pour notre plus grand plaisir.
Fort-de-France le 31/08/2014
Roland Sabra


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Retour sur le roman « L’esclave » de Michel Herland.

« L’esclave » : un roman politico-philosophico-théologico-et-poético-érotique de Michel Herland

« L’esclave »

Roman de Michel Herland

Editions Le Manicou

ISBN : 978-1-291-90086-6

409 pages, 21 Euros

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