« Enfant 44 » : Méfions-nous de ceux en qui nous avons confiance

— Par Roland Sabra —

enfant_44_400A Madiana à partir du 17 et en VO les 27 & 29  avril 2015.

1953, Moscou, l’hiver. Le corps mutilé d’un gamin est retrouvé le long d’une voie ferrée. Léo Demidow (Tom Hardy), brillant officier promis à un bel avenir au sein du MGB, la police d’État chargée du contre-espionnage et ancêtre du KGB, est contraint de classer l’affaire, puisque « le meurtre ne peut exister au paradis (communiste) ». La version officielle, celle d’un accident est délivrée aux parents des amis de Léo. Le père est pourtant un proche de Léo avec le quel il a partagé des moments extrêmement difficiles pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mais le parti a toujours raison. La foi de Léo dans le système va vaciller le jour où lui-même et sa femme Raïssa (Noomi Rapace) vont être soupçonnés à leur tour de trahison suite à une dénonciation calomnieuse d’un subordonné ayant des vues sur Raïssa⋅ Éloignés à Voualsk, dans une petite ville à 800 km à l’Est de Moscou, Léo est intégré comme simple exécutant de la milice locale et Raïssa, éducatrice est confinée à des taches ménagère dans la petite école de la localité. C’est lors de cette mise à l’écart que Léo va découvrir l’existence d’autres cadavres d’enfants âgés de 9 à 14 ans, abandonnés le long d’une voie ferre après avoir subis eux-aussi des sévices⋅ Le couple va dés lors se lancer dans une véritable traque pour tenter de mettre la main sur le serial killer soviétique.

Le film de Daniel Espinosa, adaptation du livre de Tom Rob Smith est inspiré d’un fait divers qui s’est déroulé en URSS entre 1978 et 1990. L’assassin surnommé « le monstre de Rostow » a été condamné à mort en 1992 après avoir assassiné 52 femmes, adolescents et enfants⋅

L’ouverture du film se fait sur la prise de Berlin par l’Armée Rouge et plus précisément par l’assaut mené contre le Reichstag le 02 mai 1945 et qui se termine par la photo prise sur le toit du bâtiment où l’on voit un soldat soviétique hisser le drapeau rouge orné de la faucille et du marteau, symbolisant par ce fait la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la fin du nazisme, la fin d’Hitler. Cette photo, d’Evgueni Khaldei, qui va faire le tour du monde a été retouchée. Sur le portrait originel le soldat portait une montre à chaque poignet, fruits des pillages auxquels se sont livrés les soldats lors de la bataille. Le photographe va faire disparaître au tirage une des deux montres. Dés ce moment on sait que la vérité, cette putain maquillée, n’existera pas en dehors du medium de sa diffusion et des intérêts qu’elle est sensée servir.
Le film de Daniel Espinosa, joue admirablement de cette confusion des registres, notamment quand il filme des scènes de guerre, de batailles, de luttes entre les protagonistes. Difficile de voir qui est qui, où se situe le bon droit dans la confusion des corps qui s’affrontent. Le vainqueur, le juste, la vérité( La Pravda) ne se relèvent que dans un temps second et ils n’émergent que chargés des plaies de ce qu’ils ont combattu. La peur, la méfiance, la suspicion, l’insécurité de toute position, la précarité de la vie à la merci de la moindre des dénonciations sont restituées à la fois par des mouvements de caméras embarquées dans un tournoiement continu, des couleurs sombres et des atmosphères entre chiens et loups. Le monde paranoïaque du stalinisme dans lequel transpirent la folie et la haine généralisée est reconstitué avec véracité dans un soin du détail et une interprétation de grande qualité illustrant avec talent ce « Méfions-nous de ceux en qui nous avons confiance » que l’on prête volontiers au « Petit Père des peuples ». Si l’épaisseur psychologique des personnages est délaissée au profit de l’action et de la narration des faits, au moins trois intrigues, une politique, une autre criminelle et une autre encore, amoureuse celle-là, tiennent en haleine le spectateur tout au long des deux heures et quart du film.

Fort-de-France le 16/04/2015,

R.S.

P.S. : Les autorités russes estiment que le portrait que le long-métrage fait de l’ex-URSS est « inacceptable ».

Enfant 44 ne sortira pas en Russie… la façon dont Daniel Espinosa décrit la Russie n’a pas plu du tout au ministère local de la Culture, qui assure dans un communiqué que « la société Central Partnership a retiré à la demande des autorités sa demande de licence de distribution« . Et ce à cause de « la distorsion de faits historiques et l’interprétation particulière d’événements se déroulant avant, pendant et après » la Seconde guerre mondiale. »