Eliane Marqués-Larade : Un expressionnisme réinventé

— Par Christian Antourel —

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En littérature, comme dans de multiples domaines artistiques, l’expressionnisme est une manière de présenter une œuvre, qui tend a déformer la réalité, pour inspirer au lecteur une réaction émotionnelle. De nos jours on parle plus facilement des états d’âme de l’artiste.

Si le roman antillais est aujourd’hui un acte acquis, quantifiable et forcément incontestable. Les poètes français de la Caraïbes se retrouvent moins souvent sous les feux de l’actualité. Méconnus, parfois oubliés, ils sont pourtant pourvoyeurs d’un langage poétique d’une expression rare, oh combien aiguisé et coloré, souvent blessé des séismes d’une indicible mémoire, ou simplement riche d’instants tourmentés saisis d’entre les flammes du soleil . Délaissée par certains, méconnue du grand public, alors même qu’Eliane Marquès-Larade, est reconnue par les instances littéraires et des maîtres a penser tels que Eric Mansfield, docteur es lettre, qui dans son livre «  la symbolique du regard, regardants et regards dans la poésie antillaise d’expression française » lui rend hommage et insiste sur le potentiel particulièrement lyrique et riche de sa plume. Liliane Fardin, agrégée de lettres classiques et maître de conférence, dans son anthologie «  Douze poètes antillais contemporains » ne manque pas de souligner la ponctuation d’une écriture souvent baroque et brusquement contemporaine. Elle débusque la langue jugulée du poète qui dit des mots volontairement bariolés, dans le choc de son imaginaire et du réel ; Nous constatons une demande accrue de l’œuvre d’Eliane à la bibliothèque Schœlcher, autant que dans les librairies. Une réédition est en cours. En confidence, l’artiste nous a montré des volumes entiers, inédits de son écriture troublante qui s’accumulent dans un coin de sa pièce de travail. Ni bureau, ni couloir : un lieu de passage où ondule son imagination et son âme de bohémienne, qui cherche à attraper le destin au filet à papillon ou par les cheveux au gré de son tempérament. Ce trésor enfouit sera enfin édité.

Successible de passer de l’insu à l’excès.

Eliane, échappe mystérieusement a la reconnaissance de son œuvre, du fait sans doute, que la lumière qui en émane est d’étrange et peu commune nature. Dans la maison familiale, du grenier de son enfance, elle fixe souvent la rade aux mille souvenirs tel un puma difficile à observer et solitaire. Les artistes expressionnistes restent souvent isolés. La dame de Saint Pierre pénètre l’art comme un viol, agissant par mots magiques de silences en silences, de vérités en mensonges sucrés. Elle va de la nature des femmes, de l’absence de l’autre, a la nature des passions. Elle est instinctive successible de passer de l’insu a l’excès. Une artiste vraie avec ses fêlures et ses désespérances, mais aussi ses rires éclaboussés de bleu. Eliane Marquès-Larade nous trouble, nous surprend, et ranime cette parcelle de perception irraisonnée, en sommeil dans nos consciences. Dans cette passion qu’elle recouvre a la fois de la transparence des mots et de l’opacité des sentiments, Eliane cherche des effets vibratoires en elle, un quotidien où extraire le meilleur de soi même. Dans une jubilation du raisonnement elle sait féconder la langue, dont elle fume les mots et s’enivre de leur géométrie. Selon la poétesse, la violence, comme la fluidité des émotions doit être contenue sous le masque du mystère. En fait, elle ne sait faire que ça : se taire ou exulter. Seul le masque change. Parfois le rêve n’est qu’une source tarie, qu’elle réveille de sursauts linguistiques dans l’extraordinaire présence des images miroirs qui s’inscrivent à son vocabulaire. Ainsi, cette impression de fragmentation de son écriture existe dans la rigueur cruelle d’une mise en scène fabuleusement calculée. Cette généreuse substance qui nait d’un éclat de négatif, n’est rien d’autre qu’un instinct de vie, caressant dans un rayonnement hors-sens, des vérités particulières. Eliane est de ces poètes obscurs qui jouent de paroles d’ironie et de taquinerie.

Rester en contact avec son trouble.

C’est au cœur du paradoxe que la belle veut se maintenir, dans une incomplétude fondamentale. L’écriture seule lui donne cette opportunité de toujours rester en contact avec son trouble. Elle secrète des nouvelles possibilités, des alternatives du dire, en faisant advenir l’écriture, la prépondérance du verbe comme seule étreinte, comme seule ponctuation. Une poésie privée qui titille le lecteur.
Elle désigne ainsi qu’il y a un ailleurs, un au-delà qu’elle ne peut assigner a aucune place, sinon celle d’un dépassement permanent. Un imaginaire jamais fixé, comme bousculé dans les vomissures d’un volcan. Et c’est cette présence qui est réveillée, transcendée et magnifiée par le regard de l’artiste. Dans son effort pour appréhender la fatalité il lui faut restaurer la laideur, l’obstacle et l’altération et l’introduire au monde de l’excès, du désir, du vide et de la beauté. Elle affirme que seule la décomposition permanente de toute limite, est le mouvement perpétuel de la nature, en cela, elle rejoint Joby Bernabé dans sa «  logique du pourrissement ». Ce qui ne l’empêche pas de restituer chaque fois au verbe aimer, son rôle a l’écoute des sources. Elle n’a que peut d’illusions sur la vie, c’est sa lucidité, pas du pessimisme. Avoir peur, et avancer. Mais a partir où les maux sociaux ne sont pas identifiés comme émanant de la société, l’artiste les accepte comme provenant d’elle. Et de derrière ses mots nus, ou courts vêtus de vibrations spirituelles, elle ose de fulgurants morceaux de bravoure libertins : l’amour meurtri, quand ses attentes, ses fantasmes peuvent, dans l’entrave au bonheur, rencontrer ceux du lecteur. Processus de séduction dans un voyage inter- sidérant, infrarouge de honte positive. On croit souvent qu’il faut choisir entre le brut et le subtil…..ses textes subtils, sont souvent brutaux ; donc sophistiqués.
Parfois, le soir venu, lorsque son profil de tragédienne : silhouette de cristal et de force têtue, librement opposée, vole au sommeil, des heures de repos cérébral…… et qu’elle pense revoir son innocence. Pas un battement de ciel ne trouble cette nuit de carnaval.

Christian Antourel

Bibliographie
Le bal des lucioles, Editions Saint –Germain- des- près. Paris.
Soleil glacé, Editons Saint-Germain-des- Près. Paris.
Les oiseaux en Enfer, Editions Saint-Germain-des-Prés. Paris

Eliane Marquès-Larade est aussi auteur compositeur interprète. Son album CD intitulé « Volcan » présenté au public en 1994 a reçu un très favorable accueil de la SACEM.

Août 2010.