Égarés dans la députation…

— Par Roland Tell —

A la Martinique, un processus politique s’est peu à peu développé au fil des élections, de manière perverse, selon la pluralité idéologique des fonctions électorales exercées à Fort-de-France ou à Paris. Il s’agit, en conséquence, de la doctrine de la double vérité – doctrine particulière instrumentée par les indépendantistes, afin de fonder une reformulation de leurs objectifs politiques.

Patriotes à la Martinique, assimilationnistes à Paris, ils se sont donnés un statut électoral « tous terrains », qui prend maintenant des allures de dérive politicienne, pour appâter l’électorat. D’un côté, à la Martinique, l’on évoque la substance de l’indépendance, et ses objectifs essentiels, trop géographiques pour être vrais, de l’autre, au Parlement français, aucune différence marquée, sinon celle aussitôt convertible en l’appartenance à un groupe politique – composé numérique, sans relation d’inférence, au titre d’efficacité, selon les dogmes de la loi républicaine.

Un tel cadrage politique, de part et d’autre de l’Atlantique, porte en lui le témoignage de la duplicité de ces élus qui, à l’Assemblée Nationale, deviennent des sujets ordinaires, généralement silencieux, souvent absents, en dépit de cette poussée narcissique vers un surcroît, une surabondance, une gloire du titre de député français. C’est en effet dans ce rôle qu’ils s’identifient vraiment, dans la réalité d’eux-mêmes, mûs par l’amour de posséder toutes les faveurs et les indemnités, liées à la députation.

Cette relation à la possession d’un siège au Palais Bourbon est un appêtit personnel, qui se confond avec soi-même, puisqu’un tel acquis est la raison même de l’action politique, selon une antériorité de nature sur les visées indépendantistes. Comment donc est-ce possible ? Parce que devenir député français est constamment à la pensée, avant toute quête d’indépendance à la Martinique ! Cette vérité est connue, bien avant d’être dans la réalité ! C’est leur essence même, leur existence supérieure ! Autrement, ils ne seraient pas candidats, sachant qu’ils passeront cinq années, sans jamais rien obtenir de la cause finale, prétendûment espérée, et parfois même sans jamais intervenir à la tribune de l’Assemblée. Car, pour prendre un exemple, si l’oiseau vole, c’est qu’il a des ailes, qu’il est ordonné à voler, c’est sa finalité. Mais l’indépendantiste, quelle finalité trouvera-t-il dans les travaux de l’Assemblée Nationale ? Il sait bien qu’en y allant, il n’agit pas en raison de la fin recherchée. Il y va par inclination naturelle de politicien ! Cela s’appelle l’appêtit électoral, selon une stratégie politicienne qui a traversé les siècles, et qui, pendant vingt ans, a concerné le plus éminent d’entre eux : la revendication de la double vérité ! Une pour la Martinique, une autre pour la France. Vrai nécessaire à Fort-de-France, faux impossible à Paris. C’est là que réside le piège institutionnel, que tendent les indépendantistes, à longueur d’élections. La manipulation est évidente, compte tenu du modèle de carrière rapporté ci-dessous, entre passé et avenir, entre devoir et destin, portant l’échec en soi, comme une pesante réalité, comme un chaos en soi !

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Oui, il est des élus parlementaires à qui tout manque, même après vingt ans de mandature à l’Assemblée Nationale Française. Car ils n’ont eu qu’une seule idée en excès, leur nationalisme à l’envers, qu’ils appellent continûment aux assises de leur lourd silence pensant. Au sein du Parlement à Paris, passant leur temps à soupirer l’absence de l’indépendance cherchée, à longueur de plaintes, de lamentations, de chagrins, ils dilapident ainsi le cher temps du mandat électif, que le peuple leur a confié. D’où un triste compte de riens, de multiples riens, après toutes ces années inutiles, pour ne pas dire nuisibles, sans aucune loi juste, bonne, utile, nécessaire, indispensable, urgente, à propos des besoins collectifs de la Martinique.

Toujours vers le jadis, se tourne leur attention, pour redire lourdement le triste compte des temps en arrière de l’Assimilation. Et pourtant, à les voir sans initiative pendant leurs mandatures, rien n’a été plus nécessaire à la Martinique que cette inutilité ! Ce dont le peuple avait alors besoin en les élisant, ce n’était pas un avenir indépendant, ce n’était pas une libération, c’était une grande bouffonnerie, afin de pouvoir les regarder défendre la banane et le rhum des capitalistes locaux, tout comme les grands trusts de la consommation, auxquels ils ont toujours voué une haine meurtrière. Par honte, par bassesse, afin qu’ils apprennent à changer leurs pensées, à changer leurs jugements. Aussi vite déclineraient-ils dans le déclin froid du service législatif à Paris et à Bruxelles, aussi vite ils laisseraient périr leur idée d’indépendance ! Quand on les voit aujourd’hui, vingt ans après, parmi les ruines du temps jadis, jetant un pont vers un tout autre avenir avec la droite spéculatrice, poussant comme des plantes sous une jeune sève, on se dit alors :  » La greffe a pris, elle a même changé leur esprit ! » La limpide paix civile, désormais dispensée, par cette loi du temps, leur impose à jamais de renier le passé. Comme dit Victor Hugo, « le temps est l’architecte, le peuple est le maçon. » Certes, une greffe est survenue, la sève circule, même si la variété politique est rare !

Vingt ans à l’Assemblée Nationale pour se réconcilier avec le temps martiniquais, c’est, en langage de député, faire « amendement honorable », afin de redonner du souffle à l’horloge de la vie.

ROLAND TELL

 

Dessin de Kaliadi