Edgar Morin : « Il manque une pensée directrice au mouvement des “ gilets jaunes ”»

En s’opposant à la taxe carbone, le mouvement des « gilets jaunes » se montre aveugle à ce qui peut être leur salut : l’élaboration d’une politique écologique multiforme.

— Par Edgar Morin —

Tribune. La jaunisse est le signe d’une crise de foie. Les « gilets jaunes » sont le signe d’une crise de foi. Crise de la foi dans l’Etat, dans les institutions, dans les partis, dans la démocratie, dans ce que les partis appellent le système tout en faisant partie du système.

L’irruption soudaine de ce mouvement imprévu, son ampleur, ses désordres, puis les violences du samedi 1er décembre nous obligent à réviser les modes de penser prééminents sur notre société, sur sa civilisation, sur leurs carences et misères tant physiques que morales, sur notre République, sur notre présent, notre avenir et à repenser notre politique.

La longue apathie de nos concitoyens devant les multiples restrictions et suppressions appelées réformes donnait l’illusion de l’acceptation ou de la résignation. Alors qu’une fois de plus un feu couvait dans le sous-sol d’un édifice qu’on croyait stable, et la taxe carbone a fait la brèche qui l’a déchaîné.

Le caractère spontané du mouvement, son caractère inédit et sa diffusion par les réseaux sociaux ont fait sa réussite initiale. Le « gilet jaune » a soudain changé de fonction. Il est devenu étendard de révolte. Pas de responsable, pas de chef, pas de structure, pas d’idéologie, ce qui a permis de rassembler les mécontentements, déceptions, frustrations, colères diverses et hétérogènes, du retraité au cultivateur, du membre du Rassemblement national au jeune urbain insoumis.
Handicap

Mais cette force initiale est devenue un handicap au moment où il fallait annoncer sinon un programme du moins une orientation pour des réformes, et non des suppressions fiscales ou la démission du président. Certes des revendications multiples formulées à travers des voix diverses comportent des suggestions pertinentes mêlées à des idées farfelues. Mais il manque totalement une pensée directrice et une telle pensée conduirait à un éclatement entre les composantes hétérogènes d’un mouvement où les colères unies contre le pouvoir, sont en fait antagonistes entre elles. Donc tout ce qui a fait la réussite du mouvement risque de le conduire à un échec final.
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Ce mouvement spontané est évidemment infrapolitique à sa source, mais son caractère déstructuré a suscité le parasitage des partis politiques d’opposition, en même temps que celui des casseurs de tous poils qui ont eu le temps de bien préparer leur agression le 1er décembre.

Ce mouvement est aussi au départ supra politique car il fait appel à la morale et à la justice dans un pays où le pouvoir favorise les déjà favorisés et défavorise les déjà défavorisés.

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