Écritures caribéennes : un lieu en liens

Du 24 avril 2017 au 27 mai 2017. Tropiques-Atrium

— Par Sophie d’Ingianni, commissaire de l’exposition —

Tout être naît, grandit, s’épanouit  grâce aux liens qu’il établit avec son environnement. Ces liens tissés par le temps avec un arbre, un oiseau, l’océan, le silence de la nuit, les membres d’une famille, les amis, mais aussi une matière, un objet…en viennent à structurer l’imaginaire et à singulariser le langage. Ces liens qui nous constituent sont des veines qui irriguent tout le corps en charriant pareillement tout Le vivant d’une odyssée qui traverse le sang et la sueur pour trouver où « ça » vit et comment « ça » fonctionne. « ça » : grouillement de causes qui bougent pour déceler partout une volonté de dire ; dessin, peinture, sculpture, installations, performances, toutes collaborations faites de rencontres amies avec un peintre, un poète, une musicienne, une acrobate aérienne, des anonymes, où débouche, sur le sens, une formation des liens.

Élodie Barthélemy

 

A la fois peintre, sculptrice et performeuse, donc artiste pluridisciplinaire,  l’œuvre Élodie Barthélemy se développe autour du relationnel qu’elle vit avec des personnes qu’elle rencontre et les lieux qu’elle arpente. Cette jeune artiste, née en 1965 à Bogota en Colombie, de parents haïtien et français (fille de Mimi Barthélemy et d’un père anthropologue), voyagera beaucoup durant son enfance. Elle vivra au Sri Lanka, au Maroc et en France où elle décide d’étudier les arts visuels à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Après plusieurs expérimentations artistiques, elle s’oriente actuellement vers des installations et des œuvres performatives qui témoignent de ses rencontres et des multiplicités humaines et culturelles dont son œuvre est l’écho. Attachée à Haïti où elle se rend chaque année, en réponse au séisme, elle a créé en 2011 une association « Haïti Action Artistes » suite à la mobilisation de plus de 650 artistes de France et du monde entier. La vocation de cette association et de proposer du matériel avec l’ouverture en 2013, d’une boutique « Tout Pou Youn » (Tous Pour Un) et des ateliers de formation de dessin, peinture et gravure.

Dans l’exposition au Tropiques -Atrium, intitulée « un lieu en liens », l’artiste nous présente quatre œuvres majeures : Jalouzi, qu’elle a exposé au Grand Palais à Paris en 2014 lors de l’exposition Haïti, qui restitue des habitations précaires en Haïti du quartier de Pétionville, relatant le chaos mais aussi « le coup de main » des occupants, leur incessante mise en réseau, dû à la proximité de leurs liens.  Cette œuvre livre son sens dans le contexte actuel des immigrés de nombreux pays occidentaux, allant des jungles de Calais, aux camps de réfugiés dans le monde. La pièce se présente comme plusieurs marches d’escaliers à l’apparence de ciment, blocs en équilibre instable qui livrent leurs mystères, leurs énigmes et leurs cachoteries. « Jalouzi est une œuvre inspirée du bidonville éponyme de Pétionville (Haïti), ville verticale autoconstruite, instable, en constante mutation … » explique l’artiste. Cette pièce fait échos à une autre installation intitulée Les capteurs  qui renvoient métaphoriquement aux liens qui se tissent entre les personnes actuelles, toujours connectées par une technologie grandissante. Très minimaliste et presque iconoclaste, cette installation se développe sur un mur de la galerie et au sol : elle soulève des questions de réseaux, de liens, de rhizome  dans son aspect proliférant,  semblable à un entrelacs de connections telle une multiplicité intérieure. Voila ce que dit l’artiste : « à l’atelier j’ai récréé une installation de capteurs : un brin de fer tordu planté dans une poignée d’argile. Ils ont envahi le sol. Je me suis assise au ras et j’ai observé. J’ai attendu… Rien ne se passait pourtant… Du silence… J’ai peint. »

Les peintures et deux immenses toiles récentes de grand format (2017, réalisées pour l’exposition en Martinique) sont inspirées des sculptures les capteurs et des installations. Elles nous plongent entre abstraction lyrique et géométrisation formelle et nos introduisent, vu leur taille, dans un flot de couleurs vives qui débordent du cadre pour courir sur les murs et le sol. .

Une autre installation se compose d’une vingtaine de chaises de différentes textures, formats, taille et design, toutes reliées entre elles par des fils de laines. Pour réaliser cette installation, intitulée un lieu en liens, Elodie a été à la rencontre des habitants de Martinique, échangeant et leurs demandant une chaise. La chaise est pour l’artiste un des premiers signes d’hospitalité, thématique qui soude toute l’exposition. Il est vrai qu’une chaise et l’objet de bienvenue que l’on propose en premier à un visiteur, un ami : un lieu qui permet d’échanger.

Dans l’exposition, nous découvrons aussi deux vidéos qui retracent deux performances de l’artiste.

Dans l’œuvre hétérogène d’Élodie Bartélémy, l’artiste sème à tous vents, poussant  les portes du rêve. Son travail, à direction mouvante, métamorphose les éléments de la multiplicité qui connectent le dedans et le dehors, la rencontre comme lieu et lien de territoire et d’hommes que l’artiste déterritorialise en le renvoyant  au réel, à son imaginaire et à une pensée de la relation.

Sophie d’Ingianni, commissaire de l’exposition visible aux Tropiques – Atrium du 24 avril au 27 mai 2017.

Membre de l’AICA Caraïbe du Sud

 

Un lieu en lien N°1, Installation, 2017

Capteurs, argile et fils de fer, laine, 2017

Jalouzi, sculpture, techniques mixtes, 2014

L’encampement du monde, 210 X 384 cm, technique mixte sur toile, 2017