Durant 2 mois, 3 expositions majeures en Martinique

 

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Carte de Martinique, œuvre de l’artiste  Hervé Beuze

 

Par Sophie Ravion d’Ingianni

3 expositions majeures marquent la scène artistique contemporaine de la Martinique durant les mois de novembre et décembre 2011. Art contemporain de la Caraïbe à L’Hôtel de Région à Fort de France (Cette exposition a été décrochée au bout de 4 jours ???); Horizons insulaires à la Fondation Clément au François, visible du 28 octobre au 4 Décembre 2011 et, Caraïbe expansion au Centre Culturel de Rencontre Fonds Saint-Jacques à Sainte-Marie, du 20 novembre au 13 décembre 2011.

Ces 3 expositions offrent un tableau de l’art actuel sous la forme d’une mosaïque de cultures et de situations. Sont présentés au total 38 artistes qui – dans une vaste géographie de pratiques artistiques, de propos « contextualisés » et de démarches engagées – embrassent et effectuent des rappels essentiels sur l’histoire, les religions, les économies, les politiques, les paysages et les esthétiques singulières de leur île.

La première manifestation : Art contemporain de la Caraïbe a eu lieu à L’Hôtel de Région à Fort de France. Cette exposition a été l’écho visuel aux 6 journées du Symposium Art contemporain et Héritage africain : mythes, croyances, religions et imaginaires. Elle regroupait les œuvres de 13 artistes venus de différentes îles de la Caraïbe. Le photographe Tono Arias-Pelaez de République Dominicaine ; Patrick Ganthier dit Kelly et Edouard Duval-Carrié pour Haïti ; Leroy Clarke pour Trinidad ; Ras Ishi Butcher et Ras Akyem Ramsay pour La Barbade ; Bruno Pédurand pour la Guadeloupe ; Patricia Donatien Yssa, Christian Bertin et Norville Guirouard-Aizée, 2 artistes martiniquais qui ont présenté des installations et utilisé des objets quotidiens élevés au rang d’artefact. Etaient exposées plusieurs toiles de 2 artistes cubains, Manuel Mendive Hoyo (né en 1944) et Santiago R. Olazabal (né en 1958). Leur travail est l’expression d’une dynamique intrinsèque qui se cristallise autour de divers cultes afro-cubains tels la santeria et le palo-monté. Dépassant une vision exotique du phénomène religieux, leurs œuvres traduisent une richesse d’expression et de matériaux (coquillages nommés caracoles, ossement, branches appelées palos ) qui recontextualisées, offrent la dimension esthétique des syncrétismes religieux de la Caraïbe. Les tableaux d’Olazabal – généralement en grands formats – comprennent souvent des espaces vides et amples sur lesquels l’artiste inscrit des figures profilées par des traits de fusain noir. Le choix des couleurs – limité à quelques unes contrastées comme le noir, le rouge et le jaune – donne un aspect minimal aux compositions. Albert Chong (né en 1958) – artiste Jamaïcain vivant aux Etats-Unis – a présenté une série de photographies réalisées autour d’installations où il se met en scène, siégeant sur des trônes entourés de végétation.

L’ensemble des œuvres exposées offrait un panel intéressant des différentes formes de représentations qui plongent leurs racines dans le foisonnement de pratiques et de références religieuses nourrissant à leur tour, l’imaginaire des artistes.


La seconde exposition est accrochée à la Fondation Clément au François, il s’agit d’Horizons insulaires. Elle a été conçue par le commissaire d’exposition Orlando Luis Brito à partir des îles Canaries. Cette exposition a déjà voyagé de l’archipel de Madère (au Musée d’art contemporain de Funchal), en République Dominicaine (au Musée d’art moderne de Santo-Domingo), à Cuba (au Centre Wifredo Lam de La Havane). D’île en île, elle a créé une visibilité à la fois autour de textes littéraires (essais de prose, poèmes, illustrations) et d’œuvres d’art (photographies, installations, peintures, sculptures et œuvres vidéo). Ce n’est pas seulement le soleil et la mer – qui sont souvent les clichés des îles – que les artistes ont représentés. Les travaux exposés affirment la relation personnelle de nombreux plasticiens à leur pays et au monde. En effet, nous sommes amenés à nous questionner : quels points communs entre la Martinique ou la Guadeloupe – départements français d’Amérique – et le castrisme historique de Cuba ? Quelles résonnances entre la situation de Santo Domingo, rongée par les bidonvilles et San Juan, capitale de Porto Rico, état libre associé aux Etats-Unis ? Ces nombreuses rencontres visuelles réussissent à tisser le présent et à ancrer des réalités propres aux Caraïbes insulaires. Devant les œuvres, nous réalisons que ces îles – de chaque côté de l’océan Atlantique – sont en quelques sorte, un raccourci du monde. Les travaux présentés suggèrent que l’île – espace isolé de tous côtés par l’eau – a besoin d’ouverture vers l’extérieur. La mer, même si elle fait obstacle (Sandra Ramos, artiste cubaine) et aussi pour les artistes, une voie de communication et de liens (Joëlle Ferly, artiste de Guadeloupe). Les plasticiens vivants dans ces lieux souvent restreints ont donné – entre toutes les géographies culturelles – un nouveau sens au monde : une manière d’affirmer leur différence et leur identité (Shirley Rufin, artiste de Martiniqueet Belkis Ramirez, artiste de la République Dominicaine).

Artistes exposés : Teresa Arozena (née en 1973) et Grégorio Gonzalez (né en 1960) représentent les îles Canaries ; Ricardo Barbeito (né en 1979) Madère ; Mario José Cavaco (né en 1967) les Açores ; Joëlle Ferly (née en 1970) la Guadeloupe ; Tchalé Figueira (né en 1953) les îles du Cap Vert ; Thierry Hoarau (né en 1963) La Réunion ; Sandra Ramos (née en ) Cuba ; Belkis Ramirez (née en 1957) La République Dominicaine; Roseman Robinot (née en 1944) La Guyane Française ; Shirley Rufin (née en 1985) La Martinique  et Julio Suarez (né en 1947) Puerto Rico.


La troisième exposition s’intitule Caraïbe expansion. Elle est visible au Centre Culturel de Rencontre à Fonds Saint-Jacques à Sainte-Marie, du 20 novembre au 13 décembre 2011. Elle a été conçue par le commissaire d’exposition cubain José Manuel Noceda Fernandez.

Elle réuni 7 artistes martiniquais (Christian Bertin, Hervé Beuze, Jean-François Boclé, Ernest Breleur, Habdaphaï, Shirley Rufin, Karine Taïlamé) et des artistes venus d’autres îles : de la Guadeloupe avec Bruno Pédurand, de Saint-Martin avec David Gumbs, de Barbade avec un tableau de Ras Ishi Butcher, de Cuba avec une pièce d’Abel Barroso, de République Dominicaine avec le travail de Raquel Païewonsky et de l’île Aruba, représentée par une installation murale de l’artiste Alida Martinez. Les expressions artistiques sont ici variées et diversifiées, voire hétérogènes. Christian Bertin, avec une installation in situ réalisée avec des fûts de carburant recyclés, multiplie les analogies et dichotomies qui constituent – dans la mémoire, l’histoire (de l’esclavage), les gestes et les paroles – l’âme martiniquaise. Hervé Beuze utilise la matrice des cartes de la Martinique et les matériaux bruts de son environnement quotidien pour questionner les réalités physiques du lieu et le patrimoine immatériel de l’identité martiniquaise. Jean-François Boclé met en scènedans une installation minimaliste, les idéologies coloniales et questionne aussi l’identité sur le plan rebelle des résistances et de la résilience. Ernest Breleur avec une pièce constituée de radiographies couplée à un son strident, interroge les violences militaires des enfants soldats du Sierra Leone. Habdaphaï, avec une série de dessins d’enveloppes couvertes de symboles, caractéristiques de ses peintures, imprime sur les murs du lieu, lesmystèresd’un message à reconstruire. Shirley Rufin, avec 3 œuvres photographiques, travaille – à l’aide de manipulations et d’action chimiques dans la chambre noire – les multiples empreintes et altérations de l’image d’un corps social et mental qui lui est intime. Karine Taïlamé propose un univers sensuel et translucide, où la nage fluide de six poissons enfermés dans trois bocaux trouve leurs échos poétiques dans l’image vidéo de deux jeune filles évoluant dans le bleu d’une eau cristalline. Bruno Pédurand, Iwa présente une installation lumineuse et sonore réalisée avec 6 colonnes de plexiglas enrobées d’un noir incandescent qui incorpore – avec des techniques d’incrustation qui lui sont propres – des portraits extraits de la rubrique nécrologique du France-Antilles. David Gumbs évoque « une archéologie mentale » – selon ses propos – dans une installation vidéo interactive qui implique le regardeur dans un voyage fragmenté où apparait un jeu de face à face entre des tracés à main levée et des images empreintes de résurgences. Ras Ishi Butcher, artiste de Barbade,présente un triptyque de 416 X 167 cm de la série « from the secret Diaries serie », qui figure – panneau de gauche – un individu à l’aspect de colon et une case – volet droit du tableau – finement tracée : un abri de rêves et d’aspirations pour un territoire ancré dans le fondement de ses origines ? Abel Barroso, avec des matrices de gravure, pose dans l’espace de l’exposition, deux pièces évocatrices d’une réflexion qu’il a entamée depuis plus de dix années, sur la globalisation, les villes et les frontières entre les pays du Nord et du Sud. Non sans humour, ces installations ont souvent un côté ludique qui« détonne » avec la gravité des propos sociaux, économiques et politiques qu’il met en scène. Raquel Païewonsky nous propose des seins géants avec des tétons exagérément gros, sorte de focalisation qui renvoie aux esthétiques contemporaines canonisées par la société actuelle. Alida Martinez présente une installation murale qui décline sous 3 apparences distinctes, l’ile d’Aruba et les étapes d’une colonisation actuelle, autant économique que politique.

Ce parcours artistique dans un lieu de mémoires de pierres, de tuiles et de bois qu’est l’ancienne distillerie – bâtiment lié à l’activité sucrière, construite à l’initiative du Père Labat au XVII siècle – nous propose un lien fort entre patrimoine, histoire et art contemporain.

Sophie Ravion d’Ingianni – sophie.dingianni@wanadoo.fr