Démesure dans la mesure ?

— Par Marie Gauthier —

Je mènerai au lit du vent l’hydre vivace de ma force,

je fréquenterai le lit du vent comme un vivier de force et de croissance.

Saint-John Perse, Vents, 1960

 

Dora Vital ne fait pas référence au paysage classique, mais peint un lieu émancipé de toute figure, habité du jaillissement libre et expressif de l’artiste. Saisir l’instant dans son mouvement créateur est pour elle le moyen de faire apparaître un paysage singulier.
Dora nous donne à voir des étendues, presque désertes, balayées par des vents souvent violents, dans des couloirs nuageux, lumineux et obliques qui laissent émerger des cimes, des rivages flous et des rochers magmatiques. Nous sommes au moment du surgissement de la création, dans un chaos originel en train de s’ordonnancer, selon une ascension par étagements en diagonale.
Sur des supports de toile ou de bois, sur de grands et petits formats, avec des techniques mixtes dont elle a le secret, Dora Vital, par ses gestes et traces, créent des harmonies naturelles douces et intenses. Elle procède par recouvrements successifs de matières et de couleurs dans un jeu de hasard et de maîtrise des effets. Les grandes traces claires effacent partiellement l’en-dessous et assure l’apparition des formes. De l’or émaille discrètement les bords d’une note précieuse et sacrée. En surface, des matières brillantes et transparentes intensifient la lumière des teintes.
Point de créatures, ni faune, ni flore, les paysages ainsi désertés de toute narration, s’organisent avec le seul jeu des quatre éléments qui constituent traditionnellement la peinture d’Extrême-Orient. Dans des formats souvent verticaux, l’espace pictural, dynamisé par l’alternance des couples terre-feu et air-eau, montre la circulation des vents autour des rocs, des grottes, jusque dans la fuite du ciel. Leur manière de se fondre, le vide épousant le plein, créent par les transsubstantiations, des atmosphères uniques qui touchent nos sens esthétiques et métaphysiques. Le paysage de Dora, est celui d’une pré-histoire qui nous rappelle la transformation permanente des forces créatrices de la nature.
Par essence, la nature est illimitée et s’oppose au paysage réel choisi par l’artiste pour peindre un tableau. Ne pourrait-on pas dire, que Dora cadre ici, la nature plus que le paysage, une démesure dans la mesure ? A la recherche des territoires vierges, des grottes sombres au ciel infini, elle laisse le décor ordinaire dans le hors-champ. Chaque tableau réalise un fragment valant pour la totalité de son œuvre : une même vue qui varie au gré de ses états d’âme. La non représentation du corps, le rend à la fois inaccessible et omniprésent, réalisant ainsi un ‘au-dehors dedans’, l’artiste s’affirmant elle-même comme nature.
Dans l’instant poétique, Dora Vital construit librement et avec cohérence une peinture abstraite, offerte à la jouissance de la vision, où se croisent immanence et transcendance. Le contemporain s’immisce dans le sentiment d’illimité qui s’exprime dans ses paysages sans horizon, ouvert sur un ailleurs.
Marie GAUTHIER
Plasticienne, agrégée d’arts plastiques
Septembre 2017