Délire, plus vrai que le réel

Jusqu’au 30 novembre 2017

— Par Marie Gauthier —

Rien n’est laissé au hasard dans la construction des œuvres d’Iskias Pannier-Fraino. Pour ce faire, il s’appuie rigoureusement sur les principes de la représentation classique de l’espace et des objets, auxquels il apporte une figuration presque photographique. Il choisit des couleurs fluorescentes utilisées d’habitude dans les images promotionnelles pour attirer l’attention. L’absence d’ombre rend la lumière et les teintes artificielles et renforce l’effet attractif.
Mais ne nous y méprenons pas, il ne s’agit pas là d’affiches touristiques, ni d’œuvres ‘doudouistes’. Leur perception nécessite qu’on s’y attarde sous peine de se laisser piéger par le chatoiement des couleurs ou par la séduction des scènes, sans comprendre le sens réel infusé dans l’œuvre.
S’appuyer sur les principes conventionnels de la représentation auxquels nous sommes habitués pour introduire un imaginaire délirant, mûrement délibéré, telle est la démarche d’Iskias. Ses peintures complexes sont construites selon le principe d’économie de l’image. Chaque objet, forme, distorsion, couleur nourrissent le sens de l’œuvre. Paradoxalement, et en bon manipulateur d’images, c’est avec lucidité qu’il nous fait entrer dans le délire. Pour le créer visuellement, il invente des scènes improbables où fusionnent le réel et l’imaginaire. Chacune est poussée plastiquement et sémantiquement à son paroxysme pour en exalter autant la beauté que les travers.
De prime abord, le regard est perturbé par la densité de ce qui s’offre à voir. Les couleurs vives, les points de vue audacieux, les perspectives vertigineuses sont au service de la vision dévoilée à laquelle Iskias soumet son savoir-faire. En artiste, il voit plus que ce que nous avons l’habitude de voir. D’une part, l’excès de lumière ou de détails nous montrent les objets communément beaux doublés du danger et du dérèglement qui les menacent, d’autre part, le prolongement du réel dans l’imaginaire révèle l’illusion d’un Tropique fantasmé et du désastre en cours.
Par la contradiction évidente des thèmes, par la description méticuleuse jusqu’à l’absurde, par la présence crédible d’un univers hallucinatoire, Iskias, dans une figuration critique post-pop contemporaine, dénonce non sans humour et tendresse, par accumulation, exagération, torsion des images, le dérèglement, et les incohérences de l’actuel.
Sous des dehors doucement agréables, mêlant les mythes au réel, Iskias Pannier-Fraino, artiste visionnaire engagé, pousse les formes en une figuration exigeante pour forcer le regard et faire réagir. Son esthétique poétique s’insinue là, dans la contradiction, le double sens soumis à la cohérence de l’idée.
Marie GAUTHIER
Plasticienne, Agrégée d’Arts Plastiques