De retour d’Avignon

— Par Dominique Daeschler —

avignon_2015_finCette cuvée 2015 du festival d’Avignon paraît décevante dans son ensemble. Beaucoup de témoignages (immigration et sans papiers, racisme, chômage, guerres et violences policières) qui ne passent pas la barre du théâtre et restent dans une dimension « reportage » ou « jeu au public » abordant la fable brechtienne dans son aspect le plus élémentaire sans apport spécifique de mise en scène et de dramaturgie. Enfin, l’altérité édictée en credo n’atteint pas toujours son but dans des spectacles redondants (Retour à Berratham), hétéroclites (Cuando vuelva a casa), brouillons(le bal du cercle).

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Dinamo (in)

Trois argentins (C Tolcachir, M Hermida, L Perotti) membres du théâtre école Timbre 4 cosignent texte et mise en scène d’un huis clos entre trois femmes dans une caravane : Ada chanteuse en mal d’inspiration et de contrats, Marisa sa nièce ex championne de tennis et Harima clandestine planquée dans ce petit espace. Toutes trois sont confrontées à la solitude, au manque d’avenir, aux réminiscences obsessionnelles du passé. C’est Harmina qui parle une langue inconnue (petit clin d’œil à l’espéranto) qui i rassemblera le trio dans la possibilité de vivre au présent.
dinamoLa difficulté de faire une mise en scène ans un espace aussi réduit est patente. La promiscuité conduit souvent à un jeu excessif, caricatural où on parle fort. Faute de pouvoir se déplacer dans l’espace, on déplace les objets. Le message d’une proximité qui éloigne dans un premier temps plus qu’elle rassemble passe bien cependant.
De belles images : Harima la clandé qui chante une berceuse dans un placard à son fils absent, l’accrochage des rideaux de théâtre sur les éléments de cuisine. L’importance donnée à la construction d’un quotidien semble avoir annihilé une réflexion plus profonde dans l’analyse de ces trois vies et de leur catharsis. On reste sur sa faim. Dommage.

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Le bal du cercle (in)

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Le Bal du Cercle, une création de la Sénégalaise Fatou Cissé au Cloître des Carmes, Festival d’Avignon 2015.

Conduit par la chorégraphe sénégalaise Fatou Cissé, le bal du cercle est une création du festival d’Avignon 2015. Le Tanebeer, bal de nuit organisé dans les quartiers populaires par des femmes évolue aujourd’hui vers les problématiques de rivalité, d’affirmation de leur valeur respective (la mieux habillée, la plus sexy…). Sur le plateau, se met en place un défilé de mode coloré où l’on pratique le sabar, caractérisé par un jeu de bras et de jambes défiant l’équilibre. L’étourdissement est permanent entre le changement de costumes, de coiffes. On retrouve le défi des battles sans évolution d’une danse –transe qui lasse par manque d’imagination et de vraie réflexion chorégraphique.

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Meursaults (in)

meursaultsAprès le coup de maître du journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud s’emparant magnifiquement en « contre enquête » de l’Etranger de Camus (c’est le frère de l’algérien assassiné par Meursault qui est le personnage principal). Philippe Berling part en croisade avec le parti pris un long monologue du frère (Ahmed BennaÏssa). Dans un décor très sobre (cour d’une maison de colon récupérée), le monologue d’Haroun parle sans détour de cet « entre deux  » du colonialisme et de l’indépendance o ù les rapports dominé-dominant, bourreau-victime sont toujours d’actualité. Si le comédien est juste, sans emphase et la mise en scène sobre (très bonne utilisation des projections sur les murs dans un décor minimaliste), la volonté de Philippe Berling de réintroduire la mère (omniprésente, omni puissante, ne s’exprimant que par le chant, si elle est troublante ne conviant pas .Se souvenir, pour la mère comme pour le fils, le crime compromet la possibilité d’aimer.

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The last supper (in)

the_last_supperEcrit et mis sen scène par le cairote Ahmed El Attar, the last supper a été crée en 2014 au théâtre Falaki en Egypte. C’est un repas de famille où règne le vide de conversations insipides et de lieux communs, critique d’une haute bourgeoise cairote où tout se décline encore autour du père et de son autorité. Pour El Attar cette figure du père est quasi obsessionnelle (on a retrouve dans tous ses spectacles). Filons la métaphore : le rapport patriarcal au pouvoir est pour lui central dans la politique égyptienne.
Cette famille, insupportable de suffisance et de vanité, on la prend en peine figure puisque qu’elle est face au public, affalée sur une logue table de plexiglas, le plateau étant cerné de panneaux d’acier. Que du faux semblant, pas de transparence et d’issue. Les personnages sont volontairement contrastés : le père, l’artiste, la fille gâtée, la belle-fille »pondeuse »méritante, le gendre dans le affaires, le fils macho et coureur. Voilà qu’on joue comme au grand guignol. El Attar s’amuse à utiliser le noir dans la présentation des personnages, abuse de la musique quand il fige ne scène, interroge avec la mère absente et la révolte de plus en plus perceptive de serviteurs muets. De la prière aux portables qui sonnent, aux discussions sur le personnel à la tête de vache sur un plateau, tout est férocement observé, épié. Le spectacle a l’intelligence d’être court posant ainsi superbement le vide dans l’infini. El Attar a réussi son coup.

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81 rue Victor Hugo (in)

rue_victor_hugoCette pièce d’actualité est une commande faite au metteur en scène et comédien Olivier Coulon-Jabloucka par le théâtre de la commune d’Aubervilliers. Il a travaillé en collectif avec une auteure et un cinéaste à partir de témoignages des sans papiers squatters du 81 rue Victor Hugo. Un décor de salle d’attente, dans la pénombre, où vont se succéder ou parler ensemble, face au public huit africains. Le récit est sans concession sur le départ d’Afrique, les premières arnaques sur une arrivée en Turquie à la place de la Grèce, la surenchère des passeurs, la nécessité de la carte de séjour, les descentes de police. Avec leurs lampes de poche, les squatteurs mettent en lumière leurs morceaux de vie cachés, cherchent l’obstacle et la solution. On rentre, on sort comme dans un moulin. On expose, raconte avec une grande dignité sans cependant sortir ni du témoignage ou du récit ni de cette adresse au public, parole d’homme touchant le citoyen, le natif tranquille avec boulot et pavillon. La force du « vrai » ne fait cependant pas théâtre.

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Retour à Berratham (in)

retour_berrathamPour cette création dans la cour du palais des papes, le chorégraphe Angelin Preljocaj a passé commande à l’écrivain Laurent Mauvignier d’une « tragédie contemporaine » en souhaitant qu’ne transmutation s’opère entre le texte et la danse, la voix (du narrateur) et les textes. Si, au fil du récit, les danseurs « compas » étirés en tous sens, plantent en terre, avec leurs corps, es événements, des blessures d’une population anéantie par la guerre, la fusion ne se fait pas ni le renvoi d’une écriture à l’autre permettant des mutations. Le texte, omniprésent reste le plus fort et la danse paraît parfois redondante. A souligner un décor sobre fait d’une immense étoile et de grillages de chantier jouant la clôture et le piège que la cour d’honneur, bonne fille accepte en ses vieilles pierres admirative tout de même de ces danseurs rompus à la géométrie exigeante de Prejlocaj avec maestria.

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Femme non ré-éducable (off)

Femme non ré-éducable de l’italien Stephano femme_non-reeducableMassini retrace la dernière année de vie de la journaliste Anna Politkovskaia durant ses voyages en Tchétchénie. Proche d’un théâtre documentaire qui utilise les fragments, la pièce est construite comme une tragédie où chaque élément accumule les signes d’un drame inéluctable : que vaut la parole, la liberté individuelle face à un pouvoir politique écrasant cultivant l’oligarchie et l’esprit nationaliste, la terreur militaire, la justice arbitraire. Lutte du pot de terre contre le pot de fer conduit et cela en ajoute à l’insolence par une femme. Le plateau est métaphoriquement et doublement une boîte noire (celle de la magie du théâtre où on fait le noir pour créer la fiction et celle des avions qui enregistre des informations). C’est Anna qui raconte, utilisant un procédé romanesque qui réveille, à la façon de Proust, sensations et images dans les traversées sensibles de sa mémoire. Son histoire agit sur elle, devient fiction, à l’unisson avec le travail de la lumière, du son de la vidéo. Voici Anna transformée en héroïne grecque, qui, comme Antigone sera vaincue par le fatum. La mise en scène et la direction d’acteurs d’un tout jeune homme Vincent Franchi) conduisent de main de maître ce texte aux ressorts dramaturgiques bien construits. Les comédiens Maud Narboni et Amine Adjina (à lui seul fils, soldat, médecin déroulant le fil du destin) sont excellents.

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A plates coutures (off)

Inspiré du combat des ouvrières de Lejaby plates_couturesqui, à la fermeture de leur atelier, montèrent une scop ;voici un spectacle qui réussit un pari difficile : rendre compte en mêlant langue d’aujourd’hui et échappées poétiques, musique de création el live, jeu, danse et chant ( savoureux détournement du Détenteur de Boris Vian). On parle poétique et vie personnelle ; la solidarité amène chacune à se raconter puis se définir autrement. A partir d’une collecte de paroles, l’auteure Carole Thibaut (qui prendra la tête du CDN de Montluçon en janvier prochain) a travaillé à fabriquer le spectacle avec la metteuse en scène Claudine Van Benedem. La matérialité du texte a fait l’objet d’investigations qui cherche une cohésion totale entre ce qui est appelé « outils scéniques corps-espace- texte donne un mise en scène rapide, rythmée, constituée d’une succession de tableaux et une belle complicité entre les comédiens et le musicien qui s’adonne à des sonorités âpres in spirées de la guitare électrique : tous excellents. Sans doute un des meilleurs spectacles de cet Avignon 2015.

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Cuendo vuelva a casa voy a ser otro (in)
cuendo_vuelvaMariano Pensotti, argentin qui signe texte et mise en scène a bien roulé sa bosse en Argentine, en Espagne, en Italie. Il fonde à Buenos Aires le grupo Marea, collectif d’artistes aux formations éclectiques et aux disciplines diverses pour dire au théâtre et dans l’espace public des histoires mêlant fiction et réalité. Point d’appui de jeu : un metteur en scène retrouve 40 ans après des objets qu’il a cachés dans son jardin alors qu’il était un jeune révolutionnaire : flash back et perception d’être un autre. Son fils Manuel, lui aussi metteur en scène, s’empare de cette histoire, alors qu’on s’approprie un de ses spectacles. On entre dans le thème central de la construction de l’identité, des mythes personnels et familiaux, de construire un double, d’être autre en ayant toujours la possibilité de revenir en arrière. Ce thème est décliné par tous les acteurs principaux, chacun jouant à se perdre à se trouver dans une multitude de personnages. La scénographie utilise deux tapis roulants, réminiscence d’un musée archéologique interactif fréquenté par l’auteur quand il était petit, ajoute à la volonté de double, de simultané, du passage sans transition du passé au rêve et du retour à la réalité. Cela donne un spectacle brouillon, irritant où le spectateur se perd dans le poids d’un décor hypercharge. Entre le défilement des objets, la multitude des personnages, le spectateur «  nourri du trop », quitte la scène et garde cependant en souvenir l’image forte de toutes les têtes de paysans assassinés pendant la révolution et reproduites sur des ballons.

Août 2015

Dominique Daeschler