De Metulla à la Mer Morte en passant par le Golan

Carnets de route Avant-derniers jours

Point de passage — Metulla

Le doigt de la Galilée, c’est le surnom de cette région tout au nord d’Israël coincée entre le Liban et la Syrie. Je délaisse Tel Hazor, site cananéen le plus important d’Israël. Fatigue des vieilles pierres et le voyage touche à sa fin. A mi-chemin sur ma route, la vallée de Hula, l’immense marécage infesté par la malaria jusqu’à la fin du XIX ème siècle a été asséché et a fait place à une réserve naturelle avec une forêt de cyprès et de vastes étendues d’herbe. De nouveau je ne fais que passer sans vraiment faire une halte. De retour à mon hôtel je le regretterai. J’arrive au carrefour de Qiryat Shemona, petite ville qui fit la une de l’actualité dans les années 70, quand elle était soumise à des tirs de roquettes venus du Sud-Liban. Son nom, «  Cité des huit », est un hommage à huit colons auteurs d’un fait d’armes en 1920. La ville, aujourd’hui paisible, est d’un intérêt limité. Je ressens la même impression quand j’arrive à Metulla. La ville semble vide. Peu de mouvements dans les rues. Au poste frontière la route est fermée. Un seul soldat de visible, mais une tour sur le promontoire avec une vue que je suppose magnifique sur la vallée du Litani recèle un activité sourde. Au hasard de ma ballade je tombe sur un Hummer de Tsahal, à l’ombre sous un arbre, accompagné à une dizaine de mètres d’un autre 4X4. Ce seront les rares militaires que je rencontrerai lors de ce périple exceptés ceux, inévitables, des checkpoints. Ils semblent surveiller un ancien point de passage, un petit pont de pierre en fait, qu’utilisaient, à leurs risques et périls, les migrants quand la Palestine était sous mandat britannique. Un car de touristes arrive. Quelques photos sont prises. Le car repart dans cet élan stakhanoviste propre aux tour-opérateurs. Je musarde et je finis par rencontrer quelques habitants. Le visage est fermé. Quelques mots sont échangés. Au loin sur les collines du Liban, je n’arrive pas à distinguer le Château croisé de Beaufort. Au premier plan des barbelés par centaines de kilomètres, si ce n’est plus, cernent les champs, les habitations, les chemins et les routes. Le regard des passants que je croise est du même matériau. Tel Aviv, l’insouciante, est un leurre, un déni de la réalité, une agression presque.

Je retourne sur En Guev en prenant la route 99 qui longe la frontière d’abord syrienne puis jordanienne. Je constate de visu que le plateau du Golan est un balcon qui donne directement sur la Haute Galilée. Je comprends l’importance stratégique du plateau et pourquoi il fût de tout temps l’objet de luttes acharnées pour en avoir le contrôle. Dans sa partie nord la route est bordée de champs de mines. Très peu d’habitations. Une présence militaire discrète, des restes de chars calcinés, des mémoriaux aux décorations fanées, des panneaux avec des têtes de mort signalent le danger qu’il y aurait à s’aventurer hors des chemins balisés. Les forêts de chênes qui peuplaient autrefois le paysage ont disparu victimes d’un déboisement intensif pour fabriquer du charbon de bois ou des charpentes de navires. On dit qu’autrefois y vivaient des lions, des hyènes. Prédateurs humains, de tous lieux vous vous tenez la main. Je pousse jusqu’à Hammat Gader. Superbe couché de soleil. Compensation d’une journée avare en émotions fortes?

Le lendemain direction le sud. Sur la route 90 peu après Beit She’An un checkpoint à l’entrée des territoires occupés. Passage sans problème. Le paysage se transforme. Le Désert de Judée est là. Je laisse sur ma droite Naplouse, Jéricho et plus à l’ouest Ramallah. Je me promets d’y aller lors du prochain voyage. Huit kilomètres avant Qumrâm, le lieu de découverte des manuscrits de la mer Morte, rédigés entre le IIe siècle avant JC et le le Ier siècle après JC, la route bute sur ladite mer. Je suis à l’endroit le plus bas de la planète Terre, quatre cents mètres sous le niveau de la mer. Je longe la mer. A ma gauche l’étendue d’eau bordée de ce qui ressemble à des « congères salines » si tant est que la comparaison ait un sens sous un soleil qui flirte avec les 45 ° centigrade. Checkpoint de sortie des territoires occupés peu avant En Gedi où je dépose mes affaires à l’hôtel. Je reprends la voiture pour le spa à quatre kilomètre plus au sud, avec ses bains chauds soufrés. Déception. Les spa est une usine à touristes pensé organisé pour la vente de tous les produits dérivés issus de la mer Morte. La mer est au loin, en voie d’assèchement elle recule d’année en année. Un tracteur qui tire trois ou quatre wagons mène les candidats à la baignade au rivage. L’entrée dans l’eau se fait sans difficulté. Je m’allonge. Je reste immobile et je flotte. Juste un petit détail retiens mon attention. Mes pieds, mes jambes et mes mains sortent totalement de l’eau. Mes membres sont littéralement sur la surface de l’eau. C’est en voulant me redresser que je comprends le petit moment de panique qui avait saisi une amie martiniquaise lors de sa baignade ici même il y a quelques temps de cela. Les jambes refusent de s’enfoncer dans l’eau. Elles remontent systématiquement à la surface ! Il me faut faire un effort, lutter avec l’élément, battre des pieds, simuler un mouvement de nage pour me redresser et sentir enfin le sol sous mes pieds. Le rituel du bain s’accompagne d’un badigeonnage de boue, prise sur le rivage, d’un séchage au soleil, d’une douche à l’eau chaude soufrée et pour finir d’un rinçage à l’eau douce. Touriste je suis, touriste je respecte les rites afférents à cet état. L’expérience est amusante, sans plus.

J’évoquais ci-dessus les prédateurs humains. Les mêmes sont à l’œuvre dans cet endroit irréel en sable, pierre nue et bancs de sels. Le niveau de la mer baisse d’un mètre tous les ans. En trente ans la mer a perdu 30% de sa superficie. Les usines de phosphates sur les rives israéliennes et jordaniennes prélèvent 250 millions de mètre cubes d’eau chaque année. En 2050 la mer aura complètement disparu. Un projet qui date du milieu du 19e siècle consiste à relier la mer Rouge à la mer Morte par un canal. Aux contraintes économiques, mais surtout écologiques viennent s’ajouter des obstacles politiques. La réalisation d’un tel projet suppose un accord entre Palestiniens, Jordaniens et Israéliens. Encore faudrait-il que les Palestiniens aient accès à la mer Morte ! Ce qui n’est pas le cas au jour d’aujourd’hui. On pourra lire deux articles « La mer Morte menacée d’assèchement » sur Le Figaro un autre « Le fleau des cratères de la mer Morte » sur Le Monde.

Le rétrécissement de la mer est spectaculaire quand on monte à Massada. J’en parlerai plus tard.

Israël-Palestine,

Juin 2016

R.S.

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