De la force du cinéma documentaire : Le grand jour

— Par Janine Bailly —

le-grand-jour-plisson-e1439288056252Qu’elle est alléchante, la rentrée cinématographique au complexe Madiana, lorsque l’on peut profiter des séances en version originale, hélas trop peu programmées et à une heure, toujours la même, qui ne convient pas forcément à tous les publics ! Cependant, je parlerai seulement ici d’un petit film documentaire qui pourrait passer inaperçu, écrasé par l’arrivée à la Martinique de la Palme d’Or cannoise ou d’autres pellicules ayant eu la faveur des médias.

En 2013, dans un documentaire à succès intitulé Sur le Chemin de l’École, Pascal Plisson filmait la détermination, le courage et la soif d’apprendre d’enfants vivant aux quatre coins du monde, lesquels devaient, pour accéder à l’instruction et au savoir, se lancer dans des périples souvent semés d’embûches, au travers de paysages à la beauté sauvage. En 2015, le réalisateur nous propose, dans un second volet intitulé Le grand jour, de suivre l’itinéraire de quatre enfants ou adolescents à la poursuite obstinée de leur rêve, à un moment charnière de leur jeune vie : le grand jour est en effet celui où l’on se soumet à l’épreuve décisive, celle qui permettra de se construire un avenir à la mesure de ses ambitions. La même ténacité, la même volonté, le même désir de vaincre animent Albert, enfant de La Havane qui du haut de ses onze ans se rêve en boxeur professionnel, Deegii la petite contorsionniste de Mongolie aux efforts encore infructueux,Tom l’adolescent, élève d’une école de rangers en Ouganda, et dont le désir est d’œuvrer à la protection des chimpanzés, Nidhi la jeune Indienne de Bénarès aux prises avec de brillantes études propres à lui ouvrir les portes d’une carrière d’ingénieur, dans un pays où la route n’est pas forcément tendre aux pieds des femmes. Tous quatre issus de milieux modestes, ces jeunes êtres suivent leur chemin avec obstination, et s’ils reçoivent le soutien de leur famille et de leurs formateurs, enseignants ou coachs sportifs, c’est bien au fond d’eux-mêmes qu’ils trouvent les ressources nécessaires pour aller au bout de leurs rêves.

La force du documentaire tient à son parfum d’authenticité, rien n’ayant été au préalable écrit ni répété. Selon les mots du cinéaste, « ce ne sont pas des acteurs, ce sont de vrais enfants qu’il faut prendre avec un package : les copains, les parents, le milieu social… ». L’écriture filmique contribue, par sa sobriété et ses choix de cadrage, à faire naître l’émotion et l’empathie du spectateur : pas de spectaculaires mouvements de caméra mais de nombreux plans fixes, un objectif qui capte les visages au plus près, des visages qui, occupant l’essentiel de l’image, lui donnent une étonnante densité. Comme dans son précédent documentaire, Pascal Plisson sait aussi faire parler les lieux, lieux clos de l’effort solitaire ou paysages ouverts sur l’horizon pour restituer les enfants au monde et porter l’espoir d’un avenir lumineux. Le film s’ouvre sur Albert qui, seul sur les toits en terrasse dans le petit matin de La Havane, mime un combat de boxe, la caméra comme subjuguée épousant les mouvements dansés de ses pieds et de ses mains. On le retrouvera sur le ring, feu follet tout de rouge vêtu, agressif et tenace au combat mais entourant amicalement, au sortir du match destiné à lui ouvrir les portes de l’Académie Sports-Études, la taille de son adversaire malchanceux. C’est aussi par ce qu’elle impose – ou inflige – à son corps, en des postures qui semblent gracieuses mais qui inquiètent tant elles le déforment, que la si petite contorsionniste tente de se forger un destin. Armée d’un sourire immuable jusque dans la défaite, ou fermant son joli visage dans l’effort de concentration consenti, elle s’obstine sur la piste close du cirque parfois filmée en plongée, arène sans attaches avec le reste du monde.

Si ces deux portraits sont particulièrement convaincants, parce que, tributaires des corps, ils concrétisent physiquement la volonté de vaincre, on peut regretter que le réalisateur reste trop à la surface des choses en ce qui concerne ses deux autres personnages. De sa Nidhi de Bénarès, nous ne connaîtrons guère, en dépit de quelques échappées au bord du Gange ou lors d’une fête familiale traditionnelle, qu’une image lisse et parfaite de première de la classe ; de Tom, l’aisance et la bonne humeur indéfectibles, qu’il se trouve face à ses instructeurs, à ses camarades ou à ses examinateurs. Dans les dernières séquences, des interviews et images apportent le point de vue des parents, jusqu’alors présents bien que laissés discrètement en retrait : exubérance d’une famille africaine au succès de Tom ; fierté, mais aussi sagesse indienne d’un père et d’une grand-mère, en écho à celle de Nidhi ; encouragements pourtant teintés d’une sorte de résignation devant la défaite de Deegii. C’est peut-être le père d’Albert qui, face caméra, se confie avec la plus grande sincérité, tant il est vrai que d’aucuns parents chargent leurs enfants de donner corps à ce qui leur a échappé : il affirme que son fils, accomplissant le rêve qu’il a lui-même autrefois caressé sans trouver les conditions nécessaires à sa réalisation, sera un jour boxeur professionnel !

Alors, si parfois ce qui nous est donné à voir peut sembler trop beau pour être vrai, il n’en reste pas moins que le sort de ces enfants acharnés à se construire un destin nous touche et nous émeut, et que nous nous sentons concernés par ce qu’il adviendra d’eux. Et le documentaire, qui se déguste comme une fiction, est à recevoir comme une belle leçon de ténacité, d’espoir et de persévérance !

Fort-de-France le 9 octobre 2015