COP22 : « L’accord de Paris, un récit enchanteur mais dangereusement trompeur »

— Par Collectif —

cop-22Pour un collectif de sociologues et d’économistes, à Marrakech, les acteurs de l’accord sur le  climat sacrifient de nouveau au mythe d’un consensus dont l’élection de Donald Trump révèle la fragilité.

Pour beaucoup d’acteurs mobilisés sur le terrain clima­tique, l’élection de Donald Trump ne serait pas inquiétante outre mesure. Un tel optimisme participe en fait du récit mis en place pour huiler la mécanique de l’accord de Paris. Un récit enchanteur mais dangereusement trompeur.

Dès le lendemain de la COP21, en décembre 2015, Laurence Tubiana, négociatrice en chef française, expliquait que l’accord de Paris, célébré comme un succès international historique, devait fonctionner comme une « prophétie autoréalisatrice ».

La rapidité des ratifications et de l’entrée en vigueur de l’accord entretient la croyance dans cette prophétie, qui serait donc en train de se réaliser, mettant enfin la lutte contre les dérèglements climatiques sur de bons rails.

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Le caractère historique de l’accord de Paris tiendrait ainsi autant aux objectifs ambitieux qu’il contient qu’aux « signaux forts » qu’il envoie et au ­« momentum » qu’il produit – pour reprendre deux expressions répétées par les architectes de l’accord. En faisant de la transition vers une économie bas carbone un horizon indépassable, il inciterait les acteurs à changer leurs pratiques et à réorienter leurs investissements.
Le principe de la prophétie autoréalisatrice

Les COP à venir auraient dès lors pour principale fonction de prolonger ce « momentum » avec, comme l’explique un communicant spécialiste du climat, un message qui combine « deux tiers d’espoir et un tiers de peur ».

Le principe de la prophétie autoréalisatrice, décrit par le sociologue américain Robert K. Merton (1910-2003) il y a plus d’un demi-siècle, est de s’assurer que les esprits se focalisent sur une évolution possible, de sorte que les comportements se modifient et fassent advenir ce que la prophétie annonce.

Embarqués dans cette démarche, ses promoteurs n’ont d’autre choix que de l’entretenir. Coûte que coûte. Il faut montrer que l’on fait mouvement, que les choses avancent, que la prophétie est en route.

Cette approche s’accommode parfaitement du mode de gouvernance qu’institutionnalise l’accord de Paris : basée sur un droit non contraignant, des engagements volontaires, des systèmes de garantie fondés sur des métriques expertes, l’émission de signaux incitatifs en direction d’une multitude de partenaires. Un tel mode de gouvernance part du principe selon lequel on ne fait bien que ce à quoi l’on consent.

Puisqu’il mise sur la bonne volonté de ses parties et sur un contrôle des engagements de tous sur tous, l’accord ­serait plus susceptible d’être mis en œuvre qu’un accord contraignant que tous chercheraient à contourner.
Le retour des voix climatosceptiques

Pourtant, chacun sait que les engagements que les Etats ont mis sur la table conduisent à un réchauffement cli­matique largement supérieur à 3 °C. L’ONU elle-même reconnaît qu’un record d’émissions de gaz à effet de serre pourrait être battu chaque année d’ici à 2030 pour atteindre 56,2 gigatonnes d’équivalent CO2 en 2030. Dit autrement, les Etats envisagent de consommer 74 % du budget carbone dont nous disposons d’ici à 2030.

Il fait toujours plus chaud sur Terre, la consommation d’énergie carbonée augmente, la compétition géo-économique continue de faire rage, de nouveaux accords commerciaux – supposés apporter la croissance et le développement – sont signés, et, du président philippin Rodrigo Duterte à Nicolas Sarkozy, en passant par Donald Trump, les voix climatosceptiques recommencent même à se faire entendre.

Les difficultés que rencontrent actuellement les « transitions énergétiques » en Allemagne ou en France, la violence avec laquelle on écarte les oppositions aux grands projets d’infrastructure et d’extraction de ressources rappellent d’ailleurs une tout autre réalité : celle de la difficulté d’une lutte pour d’autres formes d’organisations sociales et environnementales.

Pas de panique pour autant. Il serait déplacé de s’affoler et de conclure que les Etats hypothèquent ainsi toute possibilité de contenir le réchauffement climatique en deçà de 2 °C au moment même où ils ont introduit cet ob­jectif dans le droit international. Au ­contraire, nous sommes invités à faire confiance à la force de la prophétie et à la mécanique souple mise en place par l’accord !
Contradictions et paradoxes

Du temps, de l’énergie et de l’argent sont investis pour imaginer de nouveaux scénarios pour montrer que les objectifs de 1,5 °C ou 2 °C restent valables et que le retard pris, bien que regrettable, n’est pas irrémédiable. L’imagination est sans limite pour entretenir et préserver le sacro-saint « esprit de Paris ».

De drôles de concepts, comme les très mystérieuses émissions négatives, et de bien hypothé­tiques et hasardeuses solutions de captage du carbone ou de marchés ­carbone sont ainsi appelés à la rescousse pour sauver l’essentiel : l’histoire qui nous est contée.

La belle histoire d’une révolution verte en marche ne doit pas conduire à se voiler la face sur les contradictions et les paradoxes de notre situation. S’il ne s’agit pas d’ébranler le volontarisme et la détermination de toutes celles et tous ceux qui agissent chaque jour pour contribuer à une transition vers des sociétés décarbonées, il nous semble urgent de voir la réalité climatique en face.

Réalité dont l’élection de Trump est un saisissant symptôme : une réalité conflictuelle qui s’accommode mal des consensus aussi enthousiasmants qu’aveuglants.

Stefan Aykut est politiste et sociologue, coauteur de Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales (Presses de Sciences Po, 2015).

Maxime Combes est économiste, auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015)

Jean-Baptiste Comby est sociologue, auteur de La Question climatique. Genèse et dépolitisation d’un problème public (Raisons d’agir, 2015)

Jean Foyer est sociologue, coauteur de Regards croisés sur Rio + 20. La modernisation écologique à l’épreuve (CNRS Editions, 2015)

Edouard Morena est sociologue, auteur de The Price of Climate Action. Philanthropic Foundations in the International Climate Debate (Palgrave Macmillan, 2016)

Collectif

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