« Le complexe de Thénardier » de José Pliya : comment tuer sa mère ?

— Par Roland Sabra —

 Une variation moderne de la dialectique du maître et de l’esclave

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Laure Guiré et Nafissa Songhaye

 La fin est au début. De façon plus claire le dénouement de l’histoire qui va nous être contée est posée sur scène dés les premières phrases : « Vido s’en va. Voilà je m’en vais. Vous dormez. Je n’aurai pas votre bénédiction. Ce n’est pas grave. Je reviendrai. » Une manière de débarrasser l’esprit du spectateur d’une question inutile, quelle issue pour ce drame ? pour qu’il puisse se concentrer sur l’essentiel : la langue et sa structure poétique, sa découpe au scalpel, le tranchant des mots et la finesse de leur lame, dans une joute verbale qui décline une variation moderne de l’antique et toujours actuelle thématique du maitre et de l’esclave. « Dans un lieu hors du temps et de l’espace, la mère a recueilli Vido qui fuyait le génocide. Pour se rendre utile Vidomégon, c’est son vrai nom, devient servante, femme à tout faire. Un jour, une nuit, peu importe, Vido décide de s’en aller. Mais voilà comment faire ? Surtout comment expliquer, sans s’engluer dans la tentative désespérée, forcément désespérée, de justification de son désir de liberté, sans s’embourber dans les méandres infiniment glauques des remords et de la culpabilité ? Comment quitter celle qui, sans pour autant vous donner la vie vous a sauvé la vie ? Comment quitter la mère, quand celle-ci refuse de vous voir partir et use et abuse de tous les artifices, et sur tous les registres, de la menace au chantage, pour maintenir les chaînes ? En un mot : comment tuer la mère ? La phrase à peine écrite suscite des regrets car la force du grand, du beau de ce magnifique texte de José Pliya est de résister à toute réduction, pas même vaguement oedipianiste comme nous venons de le suggérer. Ce texte est un texte de théâtre en ce qu’il est foncièrement polysémique, comme en témoignent la mise en scène du québécois Denis Marleau et avant lui celle avant lui de Vincent Colas ou encore avant, celle de Jean-Michel Ribes. Le travail du metteur en scène béninois Dine Alougbine, en résidence en Martinique jusqu’à la fin février, il présentera le 11 de ce mois- là « La carte » de Bernard Lagier, est tout en subtilité et en finesse. Il joue admirablement sur les oppositions entre les deux femmes. Vido qui veut partir est clouée sur place, immobilisée, La mère qui veut rester arpente la scène, Vido est bien plantée sur ses deux jambes, la mère a besoin de deux béquilles dont elles frappe la scène comme une ponctuation des ses coups de gueule, la Voix de Vido est faible fragile, celle de la mère tonitruante par moment, Vido est coiffée à l’africaine, la mère porte perruque occidentale, Vido est de clair vêtue, la mère porte sombre manteau, Vido use peu de rhétorique, la mère arpente en long et en large ce terrain. Dine Alougbine donne à voir aussi un conflit entre un pays colonisé qui veut son indépendance et une élite dirigeante inféodée au discours colonisateur.

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Nafissa Songhaye dans le rôle de Vido

On verra d’ailleurs al mère, à bout d’argument quitter ses frusques ses oripeaux européens et se défaire de toute tenue, de toute retenue, comme pour dire son incapacité à penser en dehors des référents de l’ancien maître. Le maître n’existe que par l’intermédiaire de l’esclave. En dehors de lui il n’est rien. Le clin d’œil au néo-colonialisme est appuyé avec ce sac de supermarché que Vido tient à la main qu’elle veut emporter et qui porte comme inscription « France Afrique ». Vido est sommée d’oublier son désir de partir au Dakota avec un « soldat aux cheveux bleus, un soldat étasunien mandaté par l’ONU (?) et les « milles collines » expression qui fait écho à la « Radio des mille collines » déversoir de la haine qui prépara le génocide rwandais. En effet sont convoquées sur le plateau, sans jamais être nommées, toutes les guerres génocidaires des trente dernières années.

Laure Guiré une burkinabée, interprète avec consistance la mère, en restituant parfaitement l’ensemble des artifices discursifs utilisés par le maître. Nafissa Songhaye, une togolaise, allie à la fois fragilité et détermination. Elle plie mais ne cède pas. Dommage que le travail des lumières ait paru si pauvre, mais bon cette mise en scène africaine est conçue pour être jouée en plein air.

Roland Sabra, Fort-de-France le 11 janvier 2012

 

Le complexe de Thénardier

de José Pliya

Mise en scène Aloughine Dine

avec Laure Guiré et Nafissa Songhaye

le mardi 10 janvier 2012 à l’Atrium Fort-de-France