Comment comprendre la poussée du vote FN en Outre-Mer ?

— Par Jean-Marie Nol, économiste financier —
Comprendre le vote Front national en l’analysant localement car ce scrutin montre une poussée sans précédent du Front National mais aussi du Front de Gauche de Mélenchon dans tous les territoires d’outre-mer . Qui vote FN en outre- mer ? Et pour quelles raisons ? Comment expliquer l’enracinement électoral de ce parti dans les territoires d’outre- mer ?

Cette poussée est-elle inexorable ? Le vote en faveur de Marine Le Pen est en premier lieu un phénomène nouveau lié à une progression remarquable dans l’ensemble des territoires d’outre-mer sous le quinquennat de François Hollande . Avec quelques 177 000 voix recueillies au premier tour de la présidentielle , le front national est le grand gagnant de ces élections présidentielles en Outre-Mer Les suffrages pour Marine Le Pen ont été multipliés par deux voire par trois sur le temps du quinquennat Hollande.

Selon nous ce vote exprime avant tout une désillusion, une exaspération devant l’absence de réponse aux attentes du quotidien mais aussi une adhésion aux propositions de la candidate (immigration, insécurité, imposition ). c’est un immense coup de gueule du corps électoral local à l’encontre des partis traditionnels qui n’ont pas été suivi dans leur consigne de vote comme on l’a constaté dans le cas du vote étriqué pour Hamon et Fillon , pour autant, la protestation s’est toujours fortement exprimée aux Antilles mais plutôt à travers un vote de gauche, depuis 2002. Or cette fois-ci, la nouveauté c’est que le bipartisme a volé en éclat avec l’entrée fracassante du protestataire dans l’électorat de droite et de gauche . Longtemps considéré comme un vote d’exaspération, le vote Front national serait en passe, entend-on de plus en plus souvent, de se transformer en vote d’adhésion en outre-mer . Mais selon nous , en outre-mer , le FN reste pour beaucoup de nos compatriotes un vote sans véritable illusion, notamment du côté des plus jeunes et des couches populaires qui se sont rapprochés du FN au moment de l’arrivée de Marine Le Pen . Plus que le programme du Front national , c’est la possibilité de renverser le « système » qui les séduit. Ils s’y résolvent plus qu’ils n’y engagent de réels espoirs. Cette indifférence à l’égard du programme est une aubaine pour le FN. Il peut ainsi se revendiquer de tous les héritages, convoquer les figures historiques les plus connues notamment de gauche comme Jaurès ou de droite comme De Gaulle et mêmes celles qui ne s’inscrivent pas dans sa tradition idéologique sans que cela ne pose de problème. Attaquer le FN sur l’incohérence de son discours, le manque de crédibilité de ses propositions, dénoncer le racisme supposé de ses dirigeants ne produit donc plus aucun effet sur certains des électeurs d’outre-mer .

Les politiques locaux ne jouent-ils pas avec le feu en minimisant une personnalité comme Marine Le PEN arrivée récemment sur le devant de la scène électorale en Outre-Mer et qui n’a jamais menée campagne dans certains territoires comme la Guadeloupe , la Martinique , Saint Martin ? Une question de fond également est celle du laxisme de l’Etat en matière d’immigration , ainsi que la faiblesse de l’Etat incapable selon certains citoyens de faire respecter l’ordre républicain comme on l’a vu récemment lors des multiples barrages pour des intérêts privés à Capesterre Belle Eau en Guadeloupe , des transporteurs en Martinique ou encore en Guyane , tout cela sert les intérêts de marine le Pen et du front national : si montée de Marine Le Pen il y a, comment l’interpréter ? Vague de fond ou poussée passagère ?

Les souhaits de victoire recueillis par Ipsos font dire qu’en outre-mer que Marine Le Pen a attiré non seulement des gens de droite et du centre mais aussi, plus massivement que les autres candidats, des électeurs sans affinités partisanes préétablies. le fond de l’air électoral n’est plus incompatible avec l’idéologie du Front National , qu’il s’agisse du problème migratoire non résolu à ce jour , du sentiment de déclassement économique et social et même de la notion de préférence locale. ce vote front national en outre-mer serait un vote de classes « populaires », représentatifs des « ouvriers et paysans » et non de  » métros  » ou encore des assistés du système particulièrement nombreux à voter Mélenchon. En outre-mer le vote FN est devenu celui des oubliés ,des zones rurales ou populaires. Une croyance forte, instrumentalisée par Marine Le Pen et le Front national, qui ne cessent de se présenter comme les défenseurs du « peuple », des « exclus », des « petites gens » qui se sentent pris en étau entre d’un côté l’élite, le système, au-dessus d’eux, et en dessous les immigrés et les assistés qui vivraient exclusivement des aides sociales auxquelles ils n’ont pas droit pour leur part . C’est d’abord dans des territoires en difficulté comme les outre- mer où la méfiance à l’égard de la politique est installée, là où les gens votent de moins en moins, que le FN a récemment progressé comme on a pu le constater à l’analyse des résultats du premier tour de la présidentielle en Guadeloupe et Martinique . La palme demeurant à l’île de la Réunion . Ce parti bénéficie des voix d’électeurs de droite et en moindre mesure de gauche , et de celles de jeunes qui n’y croient plus vraiment après plus de cinquante années de progrès social inhérent à la départementalisation . L’ascenseur social serait présentement bloqué et cela provoque nécessairement des frustrations .

Cela étant , la progression du FN est pour le moment donc relative au moins pour la Guadeloupe et pour la Martinique , en ce sens que l’idée est que ce phénomène n’est en vérité que la résultante d’autres phénomènes, comme la confusion idéologique croissante entre droite et gauche,entre gauche assimilationniste et gauche identitaire , et l’abstention massive qui fait que le PS et LR ont des clientèles électorales de plus en plus réduites : c’est un vote qui n’est pas vraiment porteur d’espoir et qui ne ramène pas aux urnes des gens qui s’abstiennent. Jusqu’alors, hormis la question récurrente de l’immigration non contrôlée , c’est surtout le fort niveau d’abstention, et la faiblesse de la gauche et de la droite, qui lui ont permis de ‘performer’ et de se rendre plus visible . Sociologiquement, ce vote front national fait également très fort sur les plus de 50 ans qui se sentent déclassés. Ce qui différencie donc de l’électorat Mélenchon . On est en train de vivre, avec un effet retard, ce qui s’est passé au national, l’entrée vigoureuse du FN sur le corps électoral de droite et de gauche . La forte poussée de Marine Le Pen s’explique pour le moins par les deux quinquennats qui viennent de s’écouler et le vote Le Pen semble désormais avoir sa propre autonomie . Difficile, en l’état, de se livrer à une lecture quantitative , car la grille historique droite-gauche est désormais brouillée bien que restant encore valide , mais il faut y superposer une autre grille avec d’un côté des électeurs pro-européens, pour l’équilibre budgétaire et plutôt libéraux et de l’autre côté, à droite comme à gauche, des électeurs plutôt opposé à l’idée européenne, pour qui les questions budgétaires ne sont pas fondamentales et qui demeurent très critiques, voire opposés au libéralisme.

Les citoyens d’outre-mer souhaitent que la priorité pour tous les responsables politiques est que la politique ne recule plus. Elle a trop reculé, depuis bientôt cinq années et il y a de plus en plus une profonde aspiration des citoyens d’outre-mer à voir les choses changer dans leur pays respectifs. Il faut entendre et comprendre l’exaspération profonde des citoyens d’outre-mer, de ceux qui n’en peuvent plus d’une politique migratoire laxiste comme en Guyane et Mayotte , de ceux qui travaillent dur et qui n’y arrivent plus, de ceux qui se sentent dépossédés du fruit de leur travail, d’être dépossédés de leur emploi, et qui perdent toute confiance en l’avenir . En bref, la politique paternaliste à la papa, c’est fini. Ce qui signifie que nous devons complètement revoir nos modèles économiques, les politiques de développement ainsi que les leviers de l’action publique . Le processus économique actuel tend à exclure du système de production les personnes peu ou pas qualifiées. En outre, ces catégories semblent être celles qui sont le plus affectées par les conséquences concrètes des transformations économiques et sociales contemporaines : délocalisations, menace du numérique , précarité de l’emploi, logement dans des quartiers difficiles, accès limités à certains services publics, agressions physiques, etc. Pour ces catégories, une sorte de contrat de sécurité implicite qui les liaient à diverses instances a été brisé, remettant ainsi en cause un grand nombre de certitudes : garantie d’un emploi stable par l’entreprise, d’une retraite assurée et de remboursements de soins par le système de Sécurité sociale, d’une sécurité physique et de certains services publics par l’Etat, d’une représentation et d’une prise en compte de leurs préoccupations par des instances intermédiaires, au premier rang desquelles des organisations syndicales, d’une stabilité affective par le couple ou la famille, d’une qualité de l’alimentation, ou de voir la génération suivante bénéficier de meilleures conditions de vie. Toutes ces certitudes volent aujourd’hui en éclat d’ou la fin d’une époque . Cela se traduit outre – mer par l’existence de vives tensions au sein de la société et une perte de repères et la quête d’une explication d’autant plus simple que la situation est complexe, et donc de la recherche de bouc émissaires comme les étrangers qui menacent l’identité Française des territoires .
Comment faire pour penser un nouveau type de développement en Outre-Mer et cela ressemble – t- il à une gageure dans le contexte actuel de mondialisation libérale ? le futur de nos pays respectifs est ainsi interpellé et l’on ne pourra pas continuer longtemps à naviguer entre le rafistolage et l’incantation…!

Jean-Marie NOL