Cirque Plume : un au revoir avec « La dernière saison »

— Par Dominique Daeschler —

Photo Yves Petit – Cirque Plume 2017

Pas de meilleure introduction au spectacle que les mots de Bernard Kudlak son fondateur, directeur artistique, metteur en scène, scénographe.
« Le cirque Plume habite un chapiteau et le Jura des forêts…Aujourd’hui la nature, le vivant, le sauvage sont devenus des objets. A détruire ou à consommer. Le cirque Plume s’empare de la forêt, de la neige et du vent. A sa façon dans le rire et la fragilité en actes de cirque et de musiques. »
Cette « dernière saison » nous est donnée comme un acte poétique à partager ensemble en représentation et à savourer « à la fraîche », entre chien et loup, quand les ombres se jouent de la réalité et de nos mémoires. Quatorze artistes sur le plateau (France, Espagne, Argentine, Usa) et cinquante quatre en coulisses qui conjuguent les métiers du spectacle : mise en scène, administration, régie, construction des décors, fabrication des costumes, montage…
Comme au théâtre le spectateur est face à la scène. Noir ! Les saisons se déroulent en commençant par l’automne : une branche suspendue symbolise le cycle éternel de la nature se dénudant, se couvrant de neige puis de feuilles et de fleurs. Point d’artifice dans le décor : pas de vidéo, pas d’élément lourd, des toiles tendues et l’immense peinture de Charles Belle.
La forêt, lieu de rencontres, de passages furtifs, de bruits à décrypter. Tout va très vite, comme les images que l’on fait défiler en fermant les yeux : des porteurs de hottes, un porteur de fagots, de drôles d’animaux, des bergers…Sans arrêt on passe de l’unique au multiple et les numéros classiques du cirque traditionnel semblent apparaître comme par magie, ils sont des maillons de l’histoire, s’enchaînent avec une souveraine maitrise : acrobaties, contorsion, mât chinois, fil, anneau aérien, figures . Le petit Poucet avait ses cailloux, les habitants de la forêt ont leurs musiques créées par Benoit Schick, jouées, chantées sur le plateau, en solo, en duo, en quatuor, en fanfare (percussions, batterie, vibraphone, saxophone, harmonica, contrebasse, basse, trombone, piano, accordéon).
La lune se décroche du ciel et se raccroche, passent un père fouettard, un père Noël, un faux cheval comme dans les cirques de village…Le souvenir se fait péremptoire avec un petit air fellinien et la vie se déroule avec ses joies et ses peines. Pierre Kudlak fait à merveille l’homme « de liaison » semeur de déraison, créant interrogation et rupture pour mieux valoriser un parcours poétique. Monde idyllique ? Non pas, voilà la pollution avec ses fumées, son cinquième continent de sacs plastiques joliment ramassés dans des parapluies.
Dernière image : dans la clairière, lieu de lumière et de rassemblement, la troupe célèbre la vie sur un plateau tournant, dans une ambiance guinguette. Tournez manège !
Dans l’espace accueil, une exposition faite de simples panneaux retrace l’histoire de Plume (sur le sens, pas dans le nombre de représentations et l’évolution des subventions). Sobrement elle dit cette recherche perpétuelle de l’ici et de l’ailleurs, du bonheur de cultiver son jardin, de la nécessité poétique et politique du rêve, d’un cheminement artistique qui parle au monde.
Chez les artistes et « ceux qui courent derrière », un grand professionnalisme et une solidarité qui émeut au service d’une parole de poète, éclatée en images farfelues, toniques, esthétiques que chaque spectateur emportera, par bribes.

Dominique Daeschler