Ciné Jazz : Janis Joplin

— Par Selim Lander —

En prélude au festival de jazz de Tropiques Atrium qui se déroulera du 26 novembre au 3 décembre en divers lieux de la Martinique, trois films sont projetés à Madiana à raison d’une seule séance par film, les 20, 21 et 22 novembre. Autant dire qu’il ne faut pas se réveiller trop tard.

C’était donc le premier, hier, consacré à Janis Joplin, pas un biopic, mais un documentaire qui combine des captations de concerts (Monterey, Woodstock…), les extraits d’un talk show, des bouts de lettres qu’elle adressait à ses parents, des bouts de film la montrant avec ses musiciens, des témoignages de proches, sa sœur, des musiciens… Autant dire immédiatement que ce film d’Amy Berg intitulé simplement Janis est un chef d’œuvre du genre. Cela tient avant tout, évidemment, à la personnalité de J. Joplin (1943-1970), à sa musique, à sa voix, à son destin météorique, à sa fin tragique.

Sans doute faut-il commencer par la musique, une musique faite pour danser et J. Joplin précise bien, dans le film, combien il était important pour elle que les personnes qui venaient l’écouter ne soient pas de simples auditeurs, qu’elles deviennent elles aussi en dansant des acteurs du concert et rendent ainsi plus tangible la communion entre la scène et le public, entre la chanteuse et ses fans. Car le film ne cèle rien de la solitude de J. Joplin, qui remonte à sa jeunesse, que sa transformation en star du show-biz n’a pas abolie.

Nous reviendrons sur l’esseulement de la chanteuse mais il est important de souligner, de prime abord, combien sa musique contribue au plaisir communiqué par le film. Quand J. Joplin débarque à San Francisco elle a tout juste vingt ans ; elle arrive au moment où l’on est en train d’inventer un nouveau jazz, entre blues et rock, sauvage, à laquelle la prédestinait sa voix, non moins sauvage. Musique dansante, musique populaire dans l’acception la plus positive de ces termes. Dans les années (19)60, cette musique débridée paraissait parfaitement adéquate à l’état d’esprit d’une jeunesse en train d’inventer un nouveau mode d’exercice de la liberté. Quand on la compare avec celle qui fait danser aujourd’hui dans les « boites » ou ailleurs, la misère des mélodies, la rythmique lancinante des basses assourdissantes, on est obligé de s’interroger sur le cheminement qui a conduit en si peu de temps à une telle décadence. À quels besoins cette nouvelle danse en forme de transe sur des rythmes primitifs renvoie-t-elle ?  On pourrait d’ailleurs poser la même question à propos de l’art (plastique) dit « contemporain » qui connaît la même misère, alors que son public de bobos et de très riches mécènes est pourtant bien différent de celui des « raves ».

La musique de J. Joplin était outrancière, paroxystique, ce qui gommait le sens souvent mélancolique des textes. Car si la chanteuse était souvent triste, elle entendait communiquer du bonheur par sa musique. Elle-même d’ailleurs n’était jamais aussi joyeuse que sur une scène avec ses musiciens derrière elle et le public devant.

Le film ne cache pas ce que cette excitation devait à l’usage des drogues. C’est le côté le plus sombre d’une vedette qui fut la victime de son époque, à cet égard, comme bien d’autres musiciens. Il est vrai que, excessive en tout, elle trouvait dans l’héroïne un exutoire à ses angoisses et un aliment pour sa créativité. Il est vrai aussi qu’elle avait peut-être plus que d’autres des raisons de tomber dans les drogues dures, ayant été, comme le raconte sa sœur dans le film, une sorte de « paria » au lycée (high school) et plus tard en premier cycle universitaire (college) où elle connut l’humiliation suprême d’être élue « the ugliest boy » (le « garçon » le plus horrible !). On comprend qu’elle ait quitté le Texas et abandonné ses études pour faire l’apprentissage de la musique sur le tas, à San Francisco, où elle finit par rencontrer Big Brother and the Holding Company, le premier groupe sur le chemin de sa gloire. Entre temps, amaigrie, malade au point que ses amis de SF durent se cotiser pour lui payer le billet de bus, elle était retournée quelques mois chez ses parents. Mais l’appel de la musique fut le plus fort. Remise sur pieds, elle regagna SF.

Tout cela est bien montré dans le film, le mélange de force et de faiblesse de celle qui avoue qu’elle n’aurait jamais percé avec son seul talent, qu’il y fallait en plus une ambition démesurée, et qui, en même temps, ne parvint jamais à se détacher complètement de l’héroïne, jusqu’à l’overdose finale.

Même si l’on se prend souvent à regretter que les séquences où elle chante ne durent pas plus longtemps, nous avons, nous, spectateurs du film, le privilège de la voir en gros plans, contrairement aux milliers de spectateurs de Woodstock. Nous la voyons souffrir et exulter. Nous la voyons également heureuse – car il y eut de tels moments dans sa vie – et quand on la regarde ainsi, souriante et confiante, on regrette d’autant plus que son passage sur cette terre ait été si bref.

 

À voir aujourd’hui, 21 novembre, 19h30 à Madiana, Buena Vista Social Club : Adios de Lucy Walker

Demain, 22 novembre, même heure, même lieu, La La Land de Damien Chazelle