Chlordécone : un procès menacé

–__-

Un vice de procédure pourrait annuler la plainte de producteurs et consommateurs guadeloupéens pour empoisonnement au chlordécone, un pesticide utilisé aux Antilles pendant vingt ans, suspecté d’être à l’origine de cancers. La cour d’appel de Paris doit se prononcer jeudi matin.

 

Y aura-t-il un procès du chlordécone? La cour d’appel de Paris doit se prononcer jeudi sur la recevabilité ou non de la plainte pour « mise en danger d’autrui » déposée en février 2006 par l’Union régionale des Consommateurs et l’Union des producteurs de Guadeloupe, avec le soutien des Verts. Ce qu’ils dénoncent: la contamination de la population au chlordécone, pesticide utilisé durant une vingtaine d’années dans les champs de bananiers pour combattre le charançon, et suspecté d’avoir de graves conséquences sur la santé.

L’alerte est donnée dès le milieu des années 1970. Plusieurs études s’inquiètent de ses effets sur l’homme. Cancérigène, mais aussi perturbateur endocrinien, voilà la réputation sulfureuse que traîne le chlordécone. Aux Etats-Unis, le produit est d’ailleurs interdit dès 1976. La France attend 1990 pour suivre l’exemple, en accordant même une dérogation aux Antilles jusqu’en 1993. Le produit aurait même été utilisé jusque dans les années 2000.

Pas de preuve

Depuis, les pouvoirs publics se penchent, doucement, sur le problème. En 2008, un plan chlordécone a été adopté en Guadeloupe et en Martinique pour évaluer l’importance de la pollution, ses impacts et comment s’en protéger. Mais des voix dénoncent régulièrement la lenteur des études épidémiologiques, qui n’ont d’ailleurs pas permis de prouver à ce jour de lien entre cancers détectés et chlordécone. En juin dernier, c’est au tour de Catherine Procaccia, sénateur UMP du Val de Marne et Jean-Yves le Déaut, député PS de Meurthe et Moselle, de tirer la sonnette d’alarme. Dans leur rapport, ils évoquent « un monstre chimique », qui aurait contaminé 20% des surfaces agricoles utiles en Martinique et en Guadeloupe, mais aussi de nombreux pays d’Europe de l’Est. Selon les rapporteurs, on pourrait potentiellement se trouver en présence d’un problème sanitaire et environnemental « de dimension mondiale ».

« Invraisemblable »

 

Sans plus d’informations, l’inquiétude persiste aux Antilles. Une inquiétude qui justifie, selon la sénatrice du Nord-Pas-de-Calais Marie-Christine Blandin (Verts), l’ouverture d’un procès, afin d’accélérer les recherches: « Même si le danger n’est pas avéré, il est temps de donner raison aux gens qui portent plainte pour déclencher la machine », plaidait-elle la semaine passée.

Mais l’ouverture de ce procès est menacée par un possible vice de procédure. Une première information judiciaire avait en effet été ouverte en 2007 par le parquet de Fort-de-France, finalement délocalisée au pôle de santé public du tribunal de grande instance de Paris. Or l’ordonnance de désignation du juge d’instruction en Martinique manque aujourd’hui au dossier. La cour d’appel de Paris devra donc se prononcera jeudi matin sur une éventuelle nullité de la procédure. « Tout cela est invraisemblable(…). Il s’agit d’un vice inventé de toute part par le ministère public pour tenter de faire échapper les pollueurs et leurs complices aux poursuites que nous avons intentées contre eux », s’insurge sur son blog Harry Durimel, avocat rédacteur de la plainte et par ailleurs responsable des Verts en Guadeloupe. Qui ne baisse pas les bras, annonçant: « Avocats et forces et vives du Pays de Guadeloupe nous préparons à faire ce qu’il faut pour que justice soit rendue ».

 

Le JDD 09/09/09