Chlordécone : Depuis 10 ans l’État nous « mène en bateau », la Cour des comptes confirme

— Gracienne Laurence(*) —

Dans un rapport publié le 12 juin 2015 (repris par Actu-Environnement) la Cour des comptes dénonce « des difficultés sanitaires persistantes » pour les habitants des Outre-mer et appelle à la « responsabilité de la République ». La Cour pointe des risques environnementaux « spécifiques », tels notamment le chlordécone aux Antilles qui ont « un fort impact sanitaire ».

La Cour rappelle que le « risque le plus connu » est celui du chlordécone aux Antilles (Martinique, Guadeloupe) pesticide organochloré, perturbateur endocrinien utilisé dans les bananeraies.

La Cour poursuit qu’il a été classé neurotoxique cancérigène dès 1979. On estime à 180 tonnes la quantité du pesticide déversée pour lutter contre le charançon du bananier aux Antilles de 1982 à 1993. Très persistant, le chlordécone reste aujourd’hui très présent dans les milieux (eau, sols, denrées animales et végétales, chaîne alimentaire…), vingt ans après l’arrêt de son utilisation.

Un premier plan triennal d’action interministériel 2008-2010, suivi d’un second 2011-2013 ont été lancés ainsi que des plans régionaux. En mars 2012 le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) avait dressé dans un rapport un « bilan mitigé » des actions conduites dans le cadre du premier plan, doté d’un budget de 33 millions d’euros. Si le CGEDD soulignait la baisse des valeurs limites en chlordécone dans les denrées, il dénonçait toutefois « une stratégie restrictive et un pilotage inefficient ». « L’insuffisance est manifeste en matière de suivi des travailleurs agricoles de la banane, malgré les recommandations du conseil scientifique en 2009 », pointait-il notamment.

Le second plan d’action doté de 37millions d’euros prévus, (dont 4,7M€ issus du ministère de la Santé), visait à améliorer le suivi sanitaire des Antillais concernés par la pollution et mieux prévenir l’exposition à ce produit. Mais selon la Cour des comptes, l’impact sanitaire, l’étendue et le coût de ce désastre chimique demeurent « inconnus ». Le recensement des ouvriers agricoles éventuellement atteints « n’a pas été opéré »

Un troisième plan chlordécone 2014-2020, est lancé le 15 juillet 2015 « mais il n’y a pas eu de bilan indépendant du deuxième plan et notamment de son pilotage » regrette la Cour. Et la Cour de préciser que néanmoins des recherches ont été engagées dans le deuxième plan sur la dépollution. Des réseaux de surveillance ont été constitués et un registre a été créer en Guadeloupe sur le cancer de la prostate. Des laboratoires de mesures ont été mis en place en vue de réduire l’exposition par voie alimentaire dont « les comptes-rendus pourraient utilement faire l’objet d’une évaluation indépendante »

Un bilan de ce deuxième plan et de son pilotage sont donc « nécessaires » avant de finaliser le troisième plan de manière à définir une « plus robuste » stratégie à court, moyen et long terme et à veiller à ce que soit assurée « la qualité des dosages toxicologiques », du suivi épidémiologique, et « l’effectivité des mesures structurelles de réduction des risques », d’information et de prise en charge des personnes atteintes, recommande la Cour des comptes. L’impact sur leur santé et le coût pour la collectivité et la sécurité sociale « ne seront pleinement mesurables qu’à un terme lointain ».

Les remarques de la Cour des comptes montrent bien le désintérêt de l’État pour le désastre sanitaire qui se joue actuellement sur nos territoires depuis l’empoisonnement d’une partie de nos agricoles à cause de dérogations accordées aux planteurs par plusieurs ministres de la République. A ce jour nul n’est inquiété. Et ce n’est pas faute d’avoir ester en justice.

En février 2006 à la demande de l’Union des consommateurs et de l’Union des producteurs de la Guadeloupe une plainte « contre X pour empoisonnement au chlordécone » est déposée par les avocats guadeloupéens Harry Durimel et Roland Ezelin avec le soutien des Verts.

En Martinique le 29 mars 2007 en sa séance plénière le Conseil Général rédige une motion relative » aux suites à donner à l’utilisation du chlordécone. Il y est dit que les élus « souhaitent que mandat soit donné au Président pour porter plainte contre X afin que toute la lumière soit faite sur le scandale du chlordécone ».

Le 11 mai 2007 l’ASSUPAMAR (Association pour la protection de l’environnement de la Martinique) dépose plainte à la cour d’appel de Fort-de-France contre X pour « empoisonnement et complicité d’empoisonnement avec mise en danger de la vie d’autrui ». Ces différentes plaintes et démarches sont toujours sans suite.

Mais lorsqu’il s’agit d’affaires sanitaires sur le territoire hexagonal les réactions ne se font pas attendre. Pour mémoire il faut rappeler le scandale du sang contaminé en 1991 qualifié de crime de sang sous le gouvernement de Laurent Fabius. Plainte est portée par plusieurs associations pour « homicide involontaire et atteinte involontaire à l’intégrité physique des personnes ». Des sanctions sont prises. Un ministre est condamné. Et les autres mis en cause dans cette affaire gravissime laissent le gouvernement.

Concernant celle du Médiator en 2010, les victimes portent plainte. Elles sont indemnisées. Pour celles qui ne le peuvent pas par le laboratoire Servier, l’État leur promet de mettre la main à la poche. Pareil pour la Dépakine en 2016. Les responsables sont identifiés et doivent payer. Tout récemment l’affaire de Lactalis ne laissent pas les autorités indifférentes. La ministre répond. Les coupables sont convoqués et ils doivent s’expliquer.

Aux Antilles rien ne bouge. Les Antillais continuent à développer des cancers de la prostate de manière plus que curieuse, les lymphomes se multiplient, les fausses-couches inquiètent, les maladies neurodégénératives se répandent les pubertés précoces préoccupent les médecins sans que l’Etat ne s’en soucie. Si tel n’était pas le cas, pourquoi la Direction Générale de la santé, le ministère de l’agriculture ont-ils validé le règlement européen de modifier la LMR (limite maximale de résidus) fixée par la France en 2008 à 20 microgrammes pour toutes les denrées végétales ou animales produites aux Antilles ?

En effet en toute discrétion en 2013 l’Europe décide de multiplier par 10 la LMR pour le poulet et autres volailles et par 5 celle pour les bovins, caprins… d’où le tollé actuel qui obligent nos parlementaires à sortir du silence ainsi que l’Etat par l’intermédiaire du préfet.

La question qui se pose : sommes-nous des citoyens à part entière ou pour paraphraser Aimé Césaire, sommes-nous des citoyens entièrement à part ? L’État doit nous répondre.

Les différents plans (2008-2010, 2011-2013, 2014-2020) ne sont que des catalogues de bonnes intentions, des effets d’annonces sans véritable volonté politique réelle de mise en actions.

Collectivement nous devons exiger de l’État le suivi, le dédommagement des ouvriers agricoles contaminés par le chlordécone, malades aujourd’hui et abandonnés dans un silence assourdissant à leur sort et à la misère. L’État doit s’engager pour le dépistage des femmes enceintes et des nouveau-nés ainsi que la prise en charge du suivi de ces derniers. Cela a été fait pour la drépanocytose depuis les années 80 jusqu’à ce jour…

Nous voulons le rendu du registre des malformations, ainsi que le bilan des deux premiers plans et l’évaluation du dernier en cours. Nous réclamons à l’État la traçabilité des denrées vendues sur les marchés afin de préserver la santé de tous. Et nous attendons de lui une communication claire envers le grand public de même qu’une information suffisante sur les avancées de la recherche pour la décontamination des sols pollués et les cultures alternatives.

Gracienne LAURENCE

Conseillère régionale MIM 2004-2010

Actuel membre de NPL

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