«Chimamanda» ou Hamlet revisité côté femmes!

— Par Roland Sabra —

Au fil de sa plume Francine Narèce, revisite les épisodes tragiques de l’histoire de nos îles. Dans «Pour deux francs…», ( voir le compte-rendu de J. Baily) elle interroge: «Que reste-t-il de tous ces sacrifices, Lumina et Ignace, de tant d’autres héros, de tous ces anonymes qui ont donné leur vie pour ceux qui aujourd’hui attendent.». Ce questionnement, tel qu’il est restitué dans les travaux que présentent les Ateliers Théâtre du Sermac, est à mille lieues de tout dolorisme, de toute exaltation de la douleur qui lui attribuerait une haute valeur morale, un rôle transformateur et générateur d’activité créatrice. L’exigence morale de Francine Narèce est autre. Il s’agit d’inscrire l’histoire dans un théâtre de combat jamais terminé, toujours en cours pour l’émancipation. Dans « L ‘habitation Mérida » elle décrit un pays où « où tous les hommes sont Homme », dans l’union, la fraternité et la solidarité et ce sont les femmes qui l’ont inventé, porté en leur sein, mis au monde et qui le font vivre. L’auteure ne verse pas pour autant dans un angélisme béat, elle sait que le fiel de la jalousie et de l’envie ronge la chair de Mérida. Dans «Chimamanda» il coule dans les veines de Retrouvée devenue Hatchepsout, à la mort de l’Égyptienne, incarnation de la Sagesse. Il n’y a pour autant aucun fatalisme dans l’œuvre de F. Narèce et si elle reprend à son compte l’avertissement césairien : « il est temps de mettre à la raison des nègres qui croient que faire la révolution, c’est prendre la place des blancs pour faire le blanc » elle n’oublie pas que le « but est dans le chemin » lui-même (Goethe) et qu’ « Il faut imaginer Sisyphe heureux» ( Camus).

Chimamanda est la fille de la ayaba Égyptienne et de Kofi, tous deux à la tête du Royaume de Mérida, né d’un crime fondateur, un crime « humaniste » dira l’auteure,  qualificatif sur lequel le spectateur est amené à s’interroger. En effet le maître blanc esclavagiste,  mais aussi sa femme et ses ont été assassinés dans un acte inaugural annonciateur, par sa rupture dans la temporalité d’un autre temps, celui de la paix et de l’harmonie auxquelles veillait, en s’entourant de conseillères avisées, l’Égyptienne. Car c’est par l’entremise des quatre femmes, à l’origine du crime libérateur, que régnaient sagesse et tranquillité. Un pacte répartissant les rôles avait été conclu entre l’Égyptienne, l’exécutrice, Remember, la méfiante mais fiable, Sophonise, la sagesse africaine, et Retrouvée la jalousie à fleur de peau. Les hommes sont des personnages falots à l’image de Kofi, roi-marionnette, qui finira dans les filets de Retrouvée.

Dans son sommeil Chimamanda est visitée par le spectre shakespearien de sa mère l’Égyptienne qui lui révèle qu’elle a bien été empoisonnée et étouffée par Retrouvée, l’intendante du Royaume. La terre où elle est enterrée est encore fraîche quand Retrouvée épouse Kofi et monte sur le trône.!Chimamanda lui dira : « Les restes du maigre repas de funérailles préparé pour ma mère sont devenus votre repas de noces ! »

Très vite la suspicion, la méfiance, et l’autoritarisme envahissent la cour royale et quand Sophonise finit par révéler à Chimamanda qui l’ignorait jusque-là, le crime politique fondateur du royaume, celle-ci décide faire savoir à toute la Cour la trahison de Retrouvée par l’intermédiaire de deux griots de passage qui acceptent de dire un conte qu’elle a de sa main couché sur une feuille » tout en restant dans l’anonymat.

Mais voilà qu’arrive Ekwé, le fils de Remember, l’ami d’enfance de Chimamanda dont il est éperdument amoureux et qu’il voudrait épouser. Hélas la belle toute à sa vengeance repousse l’offre et va provoquer par son refus un double drame : la mort de Remember et de son fils.

Humiliée par le récit des griots Hatchepsout (Retrouvée) décide de se débarrasser de Chimamanda par l’intermédiaire d’un duel l’opposant à Fleur de lune la sœur éplorée de Ekwé qu’elle manipule en jouant de sa douleur.

Inscrit de bout en bout dans la trame d’Hamlet le récit fera état de traîtrise, d’empoisonnement, de suicide et d’assassinat avant que n’advienne une conclusion plus féminine que l’original si ce n’est franchement féministe.

Le travail présenté sur le plateau du T.A.C. était plus abouti que celui de « Pour Deux Francs » joué au Centre Camille Darsières. Peut-être était-ce l’endroit, la possibilité d’un décor en fond de scène, un jeu de lumière, ou l’esprit du lieu en tout cas est-il que la prestation tenait la route. Certes les transitions étaient un peu longues et soulignées parfois de façon superfétatoire et s’il fallut là encore réclamer une diction plus claire et plus forte pour que le texte soit entendu quand il n’était pas oublié, l’ensemble, outre le fait qu’il a permis de découvrir un texte et une auteure tout à fait intéressants mérite une audience autre que celle proposée. Le travail d’Élie Pennont avec les ressources qui sont les siennes, a l’avantage de faire découvrir un ensemble injustement méconnu appelé de par sa qualité à « dépasser les tréteaux de fêtes patronales et autres podiums du Tour des yoles » comme le note avec malice dans l’avant propos le poète et écrivain Arthur Briand.

Fort-de-France le 16/06/19

R.S.

Chimamanda de Francine Narèce, m.e.s. d’Élie Pennont
avec:

Peslage Simon, Jeannie Micholet, Jean-Claude Duverger, joëlle Alibo, Boris Ballustre, Eliane Bouvil, PAtricia Lowensky, Steven Cory, Maonique Lesausse, Kénia Achy