Chers parents d’élèves, vous nous emmerdez

Pourquoi les profs n’ont-ils plus d’autorité intellectuelle ni morale ? Pourquoi les lettres au rectorat se multiplient-elles ? Pourquoi les élèves sont-ils de plus en plus arrogants et ignares ? Pourquoi suis-je de plus en plus lâche, moi, prof qui m’étais juré de ne jamais renoncer ?

Les parents doutent de nous, se mettent à notre hauteur alors qu’il ne leur viendrait pas à l’idée d’en faire autant avec leur banquier ou leur garagiste ! Pourtant, ils savent changer une roue et rédiger un chèque ! Pourtant, nos chères mères d’élèves savent se teindre les cheveux en rouge ou noir quand elles vieillissent : sont-elles pour autant coiffeuses ?

Les parents et leurs compétences pédagogiques

Les parents évaluent notre travail, nos compétences, nos méthodes, jugent notre efficacité. Maîtrisant la langue française et pouvant placer sur une frise chronologique la Seconde Guerre mondiale (croient-ils), ils interviennent dans les cours de français ou d’histoire-géo et se pensent nos égaux :

    « Peut-être pourriez-vous… devriez-vous… je ne comprends pas… mais pourquoi ne pas… mais ça sert à quoi vos trucs ? Vous ne pourriez pas plutôt… »

Parfois bienveillants, les parents veulent nous aider à enseigner le plus-que-parfait du subjonctif comme au bon vieux temps. Leur ingérence pédagogique est totale. Reproches, conseils.

Tout comme on préconise de démocratiser le débat politique, on « démocratise » le débat sur les programmes, sur les contenus pédagogiques, les méthodes. N’importe quel père de famille se croit capable d’enseigner une fraction… c’est si facile vous croyez ?

Les parents et les nouvelles technologies

Les parents viennent aux réunions avec une liste de récriminations insensées à notre encontre. Car la multiplication des supports est la porte ouverte à tous les vents :

    publier nos cours et nos devoirs sur le Net (prétendument facultatif et informatif mais réellement très prescriptif) ;

    répondre aux e-mails des parents (passé un délai de deux jours, nous serons accusés de ne pas être soucieux du bien-être de la chère tête blonde) ;

    maintenant en plus répondre aux SMS !

Répondre, rester poli, en prendre – encore – plein la gueule ! Et de quoi se plaint-on ? Regardez, c’est même écrit dans le Bulletin officiel :

    « Les nouvelles technologies, en fonction de l’équipement des établissements et des familles, pourront être un support pour mieux communiquer. Ainsi, l’utilisation des SMS [sic] et des autres moyens accessibles par Internet (messagerie et portail électroniques…) doivent permettre, chaque fois que possible, des échanges plus rapides avec les parents (absences, réunions…). »

Alors ne nous étonnons plus quand maman-poule m’écrit en plein week-end :

    « Pourriez-vous, s’il vous plaît, m’expliquer l’exposé de Machin qui n’a pas compris [comprendre “ écouté ”] les consignes ? »

En plus des lettres de dénonciation qui se multiplient, des appels aux chefs d’établissements, des lettres anonymes, des punitions de plus en plus systématiquement annulées, de notre autorité intellectuelle qui est remise en question, on en arrive aussi à nous demander de ne pas donner de devoirs aux élèves pendant les vacances, « ou alors seulement ça s’il vous plaît, sinon on ne peut pas partir au ski… ».

Ah ! Pauvre petit…

    « Veuillez excuser mon fils qui n’a pas pu lire son livre pendant les vacances car nous étions en croisière en Egypte sur le Nil 😉 ! » [LOL, entre intellos on se comprend ! ]

A lire les mots de la FCPE, dont la mission est de « permettre aux parents de prendre leur part de responsabilité dans la décision, dans la détermination des finalités, voies, moyens et méthodes d’éducation », il semblerait que les enseignants n’aient plus qu’à plier bagages. L’école, c’est les parents.

Les parents et le mensonge

On ne naît pas lâche quand on devient enseignant, on le devient. A force d’être emmerdés (« Ouh, qu’il parle mal le professeur, tu vois, cela ne m’étonne pas ») à force d’être emmerdés, dis-je, par des papas et des mamans « surprotecteurs », dont l’enfant est roi, à force de se faire contrer nos punitions, nos notes, d’être menacés, d’être dénoncés au rectorat ou ailleurs, petit à petit, on baisse les bras.

Les notes montent doucement, de guerre lasse. Les punitions disparaissent, on cesse de croire en un sentiment d’équité dans la classe puisque certains ne seront jamais punis, défendus qu’ils sont par leurs parents, et d’autres toujours, pour une moindre faute.

Les notes sont controversées, font l’objet de convocations devant les proviseurs qui, eux-mêmes (« C’est dans les textes », disent-ils toujours), finissent par donner raison aux parents, fatigués du défilé permanent dans son bureau des plaintes. Nos valeurs s’étiolent, on note à la gueule de plus en plus pour éviter les problèmes, on abdique au fils des ans.

Dommage car, écoutez chers parents, ce que dit le gouvernement : « Accompagner votre enfant dans sa scolarité, c’est (entre autres) développer son sens des responsabilités, lui apprendre le nécessaire respect de lui-même et des autres ainsi que l’utilité des règles de vie commune ».

Et non pas lui trouver 1 000 excuses quand il a fait une connerie ou n’a pas fait ses devoirs… Menteurs !

La bonne ambiance et le plaisir de leur enfant

Le climat scolaire est une notion à la mode en ce moment, définie par cinq facteurs dont l’une est l’ambiance entre collègues. Elle sera bien évidemment propice ou pas à la collaboration et l’efficacité entre les différents partenaires de l’école. Croyez-moi, il est très difficile de travailler dans un tel climat professionnel.

Le professeur sur qui les parents s’acharnent parce que, naïvement, il croit encore en sa cause et continue à punir ou donner des devoirs, est vite une source de problèmes pour les autres collègues qui vont gentiment lui conseiller de « prendre du recul, de moins s’investir », sinon ils risquent de se mettre les parents ou la direction à dos.

Les collègues eux-mêmes jugent leurs propres collègues sur les rumeurs que font courir les parents et qui dit menace dit division, prise à partie, lâcheté.

Mais le climat scolaire détermine aussi pour beaucoup le plaisir qu’aura l’élève à apprendre, et la qualité de notre enseignement.

Pourquoi faut-il que vous cessiez de nous casser les pieds ? Pour ce climat professionnel et ces doutes que vos interventions font peser sur les collègues de façon sournoise. Et parce que les premiers qui en pâtissent sont vos enfants.

Parce que, comme dit Goethe, il vaut mieux une petite injustice qu’un grand désordre (c’est comme sur un terrain de foot, non ?) et que si vous n’apprenez pas à vos enfants à accepter les punitions (même si vous les trouvez injustes), votre enfant aura un permanent sentiment d’impunité qui fera de lui quelqu’un à qui tout est dû.

Parce qu’enfin et surtout, les professeurs sont des professionnels, formés et compétents, et pas des sadiques qui s’acharnent sur vos gosses pour 1 600 euros par mois et des vacances en camping. Et que même s’ils font des erreurs, comme tout professionnel formé et compétent, ils restent professionnels et consciencieux.

Vous, parents-râleurs, parents-jugeurs, parents-contreurs, parents-dénonciateurs, vous faites de nous des branleurs, des planqués, des lâches… et petit à petit, ce ne sont plus vos enfants, mes élèves, qui vont m’importer, mais vous lécher les bottes, vous satisfaire, vous jeter de la poudre aux yeux. Et là où avant je me passionnais et je les passionnais, je déguiserai mon cours en un magnifique support informatique que vous prendrez pour la démonstration d’une pédagogie et d’une implication nécessairement efficaces et qui ne sera que le fruit du travail de mon ami qui est webdesigner.

Votre fils aura de bonnes notes, votre fille ne poussera plus personne dans l’escalier.

Lire la suite et le bêtisier

http://www.rue89.com/2013/05/06/chers-parents-deleves-emmerdez-242098