« Cette guerre que nous n’avons pas faite », m.e.s. Luc Clémentin avec Vincent Vermignon.

Comment jouer des oppositions?

— Par Roland Sabra —

Du texte de Gaël Octavia Janine Bailly recense les interrogations essentielles dans son article « Dernières nouvelles de la guerre ». On s’y reportera avec intérêt. D’autant plus que le dernier mot de «  Cette guerre que nous n’avons pas faite » est le mot paix, précédé trois lignes auparavant par ce cri du cœur du faux guerrier désarmé découvrant que l’enfant que sa « trop jeune épouse » à laissé à sa mère avant de partir est une fille : « C’est une fille ? C’est parfait ! Ce sera la première révolution : arrêter de vouloir faire les révolutions sans les femmes. » Alors ? Guerre ou révolution ? Révolution guerrière ou guerre révolutionnaire ? L’interrogation semble secondaire quand sur ce sur quoi elle porte, est le résultat de l’action exclusive des hommes. On ne le sait que trop dés lors que les femmes ne sont tout au plus considérées que comme des auxiliaires de combats menés par les hommes , et ceux là le fussent ils au nom d’une émancipation, la victoire acquise, quand celle-ci daigne arriver, la moitié du ciel, comme disait Mao, est invitée, sinon sommée de retourner aux cuisines de l’histoire. « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change » déclarait Tancredi Falconeri dans le « Le guépard ».

Superbe texte , justement récompensé par le prix ETC_Caraïbe 2013 » la mise en scène de Luc Clémentin le magnifie en usant de la palette des oppositions propres au récit, celle entre autres d’un guerrier pacifiste n’ayant jamais combattu sauvé de la mort par un pacifiste véritable criminel de guerre. Sur le plateau, une table, les reliefs d’un repas d’une douzaine de convives, qui fut riche et abondant. Des chandeliers sur une grande nappe blanche tamise une atmosphère éclairée par des lustres « Yves Saint-Laurent », style nouveaux riches sans doute, témoignent d’une aisance certaine, financièrement s’entend. Du beau linge était réuni puis s’est évaporé. Présence/Absence. Il, lui le fils, arrive dans l’éclat d’une rafale de mitraillette, dépenaillé, vêtu de bric et de broc, de vêtements militaires déchirés, boutonnés en menteur, sales. Les invités étaient nombreux. Il est seul. On peut les supposer élégants, bien vêtus, raffinés, comme l’ordonnancement de la table le laisse deviner. Il est guenilles, en froc dépecées, on voudrait dire dépiécées. Homme/enfant il s’adresse à une femme/mère. Fils de… Il l’est et le sera pour toujours enfermé dans une demande infinie de reconnaissance. Comment contenter sa mère ? « Quoi tu vas encore bouder ? Tu n’es jamais contente. Je ne te plaisais pas en guerrier, Je ne te plais pas en pacifiste. » lui lance-t-il ?

Que veut une femme ? Que veut une mère ? Le comédien joue de ces contradictions, s’adresse au public,  au vide du plateau, déthéâtralise en commandant à la régie des effets sonores, descend de la scène, déclame à partir des rangs des spectateurs, réinvestit l’espace de jeu,  provoque des complicités de circonstance avec la salle sans jamais chercher à raccoler, sans jamais cesser d’être habité par le texte, comme une tension interne sourde et vorace. Il est et il n’est pas. Tout à tour et dans le même temps. Comme traversé d’une infime félûre réclamant sa déchirure.

Luc Clémentin a déjà un joli parcours sur et autour des planches. C’est un homme d’engagements et de fidélité. Quand il fonde sa compagnie théâtrale en 1991 sous le nom de La Cinquième Saison, il le fait avec avec la pièce Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. Il reprendra ce texte pour une nouvelle création en 2013. Économiste de formation il sera sensible aux alexandrins de l’économiste spinoziste Frédéric Lordon dont il fera la mise en scène de « D’un retournement l’autre », « une comédie bien vivante sur le monde tel qu’il tourne, et tel qu’il nous désespère » et qui dénonce l’univers cynique et décomplexé de la finance, mais aussi ses liens étroits avec le pouvoir politique.

Il fait appel pour « Cette guerre que nous n’avons pas faite » à Vincent Vermignon un comédien au parcours atypique puisque après quelques années à travailler dans l’import/Export il découvre le théâtre à l’aube de sa trentaine., décide de tout plaquer pour entreprendre une carrière de comédien qu’il entamera en Martinique dans une troupe de théâtre amateur. Il va enchaîner dans plusieurs séries télévisuelles tout en gardant en ligne de mire le théâtre. Hervé Deluge l’embarquera dans l’aventure de « Romyo & Julie ». Il connaît le texte de Gaël Octavia. De l’intérieur. Il le porte avec talent. Peut-être pouvait-il moduler davantage les différents registres du texte, en faire sentir les paliers avec plus de justesse. Ce ne sont que des remarques secondaires porteuses en elles-mêmes de ce que les rendra bientôt caduques. Dans quelques représentations il n’en sera plus rien ! Ce fût un plaisir de le (re) découvrir. Il confirme en tout cas l’existence d’une génération de comédiennes et de comédiens antillais porteuses et porteurs de promesses pour peu qu’ils soient dirigés à la hauteur de leurs capacités.

Fort-de-France, le 14/05/2017

R.S.

Texte : Gael Octavia
Mise en scène : Luc Clémentin
Avec : Vincent Vermignon