Césaire ressuscité

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« Une saison au Congo » les 02 & 03 novembre à 19 h 30 au Grand Carbet de Foyal

—Par Odile Quirot —

Son épopée de Patrice Lumumba est mise en scène par Christian Schiaretti. Enfin un spectacle à la hauteur du poète dramaturge !

La gloire est parfois mauvaise compagne. Ainsi pour Aimé Césaire, le dramaturge, curieusement si rare sur nos grandes scènes à sa juste hauteur. Quand «le Roi Christophe» entre au répertoire de la Comédie-Française, en 1991, la mise en scène est un naufrage. Depuis, le désert. La renaissance d’«Une saison au Congo», sa troisième pièce (il en écrivit quatre), fera date. Elle est due à Christian Schiaretti, le patron du TNP de Villeurbanne. Des générations entières vont enfin entendre dans sa splendeur et son mordant cette épopée de l’indépendance du Congo dont le leader, le martyr, est Patrice Lumumba.

Césaire en fait un voyant, un héros messianique de la négritude, un homme seul face à son destin, aux prises avec l’immaturité des indépendances et le cynisme des grandes puissances: Lumumba sera assassiné en 1961. Personne, pas même Brecht, n’a ainsi su saisir l’histoire au vif, et de surcroît sans didactisme: Césaire croise Lumumba en 1960, il écrit sa pièce en 1966. Sa documentation d’homme politique est d’acier. Le poète fait le reste, avec son empathie profonde, son talent d’orateur, son lyrisme les pieds sur terre. Exemple? A la première scène, Lumumba vend des bières. On passe de l’épique au prosaïque, du discours politique à la scène intime, du joyeux au grave.

Théâtre rebelle

Encore faut-il savoir se saisir de ce théâtre rebelle. Il est ici emporté par une mise en scène d’une ampleur simple et claire, très vilarienne. Une troupe impressionnante, pour partie issue du collectif burkinabé Béneeré, enchante ce «français africain» dont rêvait Césaire; mais Schiaretti fait aussi résonner le lingala, le swahili, le moré et autres langues de sa trentaine d’acteurs noirs: une telle distribution, juste, chorale, est aussi un événement sur une scène française.

Lumumba, c’est Marc Zinga, fin et touchant, retenez ce nom. Pas une once de folklore illustré, et pas plus de caricature du Blanc; pas une intonation fausse, déclamée ou criée, pas une réplique avalée, mais une vive limpidité, et parfois un parlé-chanté soutenu par la douceur de la musique afro-cubaine de Fabrice Devienne. Dans un bar pauvre, décor unique, le costume-cravate côtoie le treillis, et le boubou, la robe courte.

Jamais (à défaut d’avoir vu dans les années 1960 les créations des pièces de Césaire par Jean-Marie Serreau) on n’a ainsi compris, goûté le théâtre immense de Césaire, dont, disait-il, «le levier est le grand mythe de la liberté, la révolte contre l’oppression». «Une saison au Congo» met en fusion la révolution et la poésie dans la belle gueule du théâtre, là où les morts se relèvent et où la parole flamboie. Qu’on se le dise.

Odile Quirot
Créé le 30-05-2013 à 10h13 – Mis à jour le 31-05-2013 à 11h07, Nouvelle mise à jour le 29/11/2013
Une saison au Congo, par Aimé Césaire, mise en scène Christian Schiaretti. TNP de Villeurbanne jusqu’au 7 juin et du 15 au 25 octobre; du 8 au 24 novembre aux Gémeaux à Sceaux.

A lire: «Une saison au Congo. Etude critique», par Dominique Traoré Klognimban, Honoré Champion, 120 p., 5,50 euros.