Ce soir on improvise

 par Christian Antourel & Ysa de Saint-Auret

Cette aventure, nous raconte les acteurs en rébellion contre le metteur en scène, refusant l’illusion qu’on leur impose au profit de la sincérité passionnelle.
L’excès de présence et l’emprise du metteur en scène sur les comédiens, encourage le développement de velléités d’indépendance, pour trouver un espace de liberté. Toutes les sociétés sont à des degrés divers confrontés à ce problème et pour y faire face on veut revenir à ses repères. Pirandello déteste l’immobilité par conséquent, les formats, les systèmes tout ce qui fixe un aspect et tout ce qui gêne un songe. Ce théâtre indique que le refus de ce metteur en scène arrivé de France est le prétexte pour justifier un modèle théâtrale pirandellien également porteur d’une charge de méfiance très forte à l’égard de l’autre. Cette incommunicabilité de Pirandello relayée par Adrien, nous atteint en plein cœur, lorsqu’on constate qu’entre les intentions et les actes, se dresse un mur d’incompréhension ; entre l’auteur, et les acteurs déjà acquis à sa cause, peuvent-ils exprimer ce que l’auteur a voulu dire, si ce n’est à travers leur subjectivité personnelle … Sincère mais pas forcément fiable ? Au moins l’intention y est. Quand la communication manque absolument entre acteurs et metteur en scène, ce problème du silence larvé, du parlé différent, comme à travers des langues étrangères où interprètes et réalisateur, se crient des vérités incompréhensibles à l’autre. La libération d’une expression théâtrale comme représentation collective plus que comme pratique réelle, est jouée contre la relation d’altérite, au bénéfice d’une expression plus narcissique, bien dans la philosophie de Luigi Pirandello, adoubant le repli de l’imaginaire sur soi et ajoutant au phénomène de « déliaison » et de méfiance entre les comédiens et leur metteur en scène comme il l’exprime dans le climat délétère et dépressif de son optique de la société.

Un théâtre dans le théâtre

Nous voici donc immergés dans l’idée du théâtre dans le théâtre, si chère à Pirandello dans un monde plus complexe qu’il n’y parait. Une mise en abyme où se perd délicieusement le spectateur, emmené malgré lui, d’une dimension à une autre par un jeu de miroirs sans tain, ouverts sur le paradoxe, la réflexion et l’absurdité de la vie. La pièce, comme nos maîtres grecs de l’antiquité, nous rappelle que toute création est issue d’un créateur, d’un dieu qui se veut façonneur de sa créature, de son histoire de son destin, contre lequel se révolte la chose créée, qui revendique la liberté d’être, en tant que personne pensante et indépendante. C’est la révolte de la créature contre le démiurge qui l’a réalisée, faite à sa façon, il veut contrôler mais se heurte au libre arbitre de l’humain, qui refuse la chape de plomb, cette volonté extérieure. Il veut décider de ce qui est le mieux pour lui. C’est enfin Galatée qui se libère de son Pygmalion et vole de ses propres ailes. Il semble que toute la pièce oscille entre cette révolte viscérale, besoin de liberté avant-gardiste pied de nez au passé sclérosant de celui qui sait tout et contre lequel on ne peut rien puisqu’il a la tradition, donc la raison pour lui. Le metteur en scène s’inscrit en personnage suprême, derrière lequel doivent s’effacer acteurs et auteur au profit de sa vision nécessairement extrémiste, qui balaie toute individualité. Mais se soumettre à la loi, ce n’est pas se conformer à ses commandements, mais obéir à un absolu, qu’aucune observance ne peut réduire. Or coup de théâtre, la pièce fait la part belle au renversement des valeurs, forces en présence. En un duel- ballet magnifique où les acteurs, se revendiquent plus libres de s’attacher à l’authenticité du texte de l’auteur, plutôt qu’à l’interprétation «  fantaisiste » du metteur en scène. Il se dessine sous forme de chassé- croisé superbe tout un ballet guerrier, où tantôt, on avance, où tantôt on recule jusqu’à l’estocade finale où le «  tyran » chassé, admet enfin sa défaite. Philippe Adrien explique sereinement : «  c’est tout le chœur dispersé des personnages pirandelliens qui viendra essayer les lieux, pour que le théâtre incarné, commence. »

« Au théâtre, il n’y a rien à comprendre, mais tout à sentir »

Ainsi s’insinue ce que le metteur en scène parisien qualifie « d’expérience inédite » : Une soirée pendant laquelle l’équipe d’acteurs va improviser une pièce d’après une nouvelle de Pirandello. Le maître d’œuvre, apparaîtra de l’ombre pour intervenir quand il le jugera nécessaire. Lourde tâche qui pèse sur les épaules de Philippe Adrien et d’Hervé Deluge, et indique ici combien le théâtre cherche plus la référence de son affectivité dans les prémices de ses débuts que dans l’achèvement de sa maturité ,qu’elle soit celle qui valide la relation comédiens- metteur en scène, spectateurs n’est pas un progrès ; c’est une régression même si d’un point de vue psychologique prendre ainsi le théâtre ‘a défaut dans ce qu’il génère et par ce qu’il génère d’images permissives, affirme que cette procréation théâtrale donne une dimension nouvelle à ce théâtre populaire. Tout se passe donc comme si le théâtre simulacre de lien social entre le spectateur, le metteur en scène et le comédien semble lui donner une existence «  légale » Philippe Adrien parle   d’un «  théâtre itinérant, et doublement : circulant à l’intérieur d’une œuvre pour en déployer les virtualités imaginaires, tout en circulant à l’intérieur d’un bâtiment pour le relever et le rendre habité » Là, se pose la question « Qu’est-ce que le théâtre et comment en fait on ? »La pièce écrite en 1930, n’a pas pris une ride , puisqu’à l’instar de son titre exact «  Ce soir on joue d’après un canevas » Philippe Adrien se révèle fidèle au credo de l’auteur car dans la lignée de son maître il semble affirmer «  la vie est pleine d’une infinité d’absurdités qui impudiquement n’ont même pas besoin de paraitre vraisemblables ; car elle sont vraies » C’est là, même , qu’on touche à une essence du théâtre , car il n’est que la reproduction du théâtre en vase clos : «  L’action du spectacle se passe à Fort de France et précisément à l’Atrium. Chacun des interprètes joue d’abord son propre rôle de comédien, avant d’interpréter celui d’un des personnages de la fiction, qui s’attache à la vie d’une famille foyalaise, haute en couleurs » Les comédiens impliqués dans la réalité de cette représentation improvisée oscillent entre jeu et non jeu, entre langue française et créole. Personne n’est responsable et tous restent sur le carreau, avec malgré tout la victoire dérisoire de l’acteur qui s’est imposé dans sa vérité, sa sincérité plus puissante. Derrière le rideau la trame perce en brouhaha révolté. Que le spectacle commence !

Christian Antourel
Ysa de Saint-Auret

« Article paru pour la première fois dans le Magazine de France-Antilles »