« Ce que le jour doit à la nuit » enchante la Biennale de Danse 2018

— Par Roland Sabra —

Juste avant le levé de rideau Hervé Koubi, le chorégraphe, prononce quelques mots sur le mode d’une improvisation, souvent répétée. Il vient dire ce qu’il en est de ce prénom de baptême très prisé en Bretagne et de ce patronyme énigmatique pour l’enfant qu’il était. Adolescent il apprendra de son père ses origines, né d’une mère kabyle musulmane et d’un père juif algérien. A l’instar du héros du roman éponyme de Yasmina Khadra, dans lequel un enfant, Younes, confié à un couple mixte franco-algérien va découvrir et apprendre à aimer son pays Hervé Kouri, lesté de cette révélation part à la quête de sa propre histoire jusque là occultée. En 2009 il réunit à Alger par intermédiaire des réseaux sociaux onze danseurs de rue auxquels viendra s’ajouter un Burkinabé.

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Avant de découvrir l’art de la danse et de s’y consacrer totalement Hervé Koubi a été « fasciné par le dessin ». Il reste de cette fascination un tropisme saisissant pour une esthétique soignée dans l’élaboration des tableaux scéniques,dans la construction du geste et dans sa mise en espace.

L’ouverture se fait sur des corps alanguis sur le sol émergeant des vapeurs supposées de quelque bain ou des brumes d’une vague mer originelle. Le plateau est nu baigné d’une lumière blanche et jaune. Ils sont douze, comme les douze fils de Jacob, comme les douze apôtres, comme douze imams successeurs de Mahomet, comme…

La symbolique du nombre est inépuisable. Ils sont donc douze et figureront bientôt une multitude, mais surtout une force et une puissance matinée de tendresse de violence contenue et d’amour. Ils sont là, torses nus dans leurs sarouels immaculés en un seul corps, réunis par un lien invisible et indéfectible, par une élévation spirituelle, par un tissu laissant passer le jour comme une dentelle de vie. La force du lien est là dans cette ignorance feinte du public, dans cette affirmation d’une identité qui ne tiendrait pas à la présence d’une altérité humaine visible mais d’une transcendance sans contenu, capable de ressusciter le corps mort du danseur après la chute. Rigueur, grâce et douceur des envolées, courses folles et saisissements figés, portés sidérants, chutes vertigineuses pour derviches tourneurs inversés, pour escaladeurs d’un ciel qui se dérobe et qui convoquent acrobatie, danse contemporaine et africaine, danse de rue, capoeira, hip-hop, breakdance pour une émotion blanche, dématérialisée, sans référence à une quelconque situation précise. C’est dans cette épure poétique qu’il est possible d’imaginer une rencontre des pôles, une « appartenance commune, avant celle des nations », une fraternité première et indissoluble, un dépassement d’ assignations identitaires réductrices, un universalisme riche d’accomplissements individuels.

La musique emprunte à La Passion selon Saint Jean de Bach, à la musique soufi, aux bruitages des temps menaçants, à la musique nubienne contemporaine. Elle sait aussi faire silence après avoir mêlé évocations profanes et sacrées.

Ce travai qui dégage une folle énergie est, en un mot comme en cent, d’une beauté sidérante.

Le public qui trop souvent donne à voir son enthousiasme dans des ovations debout formatées par la télé, faute de pouvoir applaudir longuement, a pour une fois manifesté son approbation du spectacle par des acclamations nourries et méritées.

Longtemps le parvis de la Scène nationale est reste occupé par des conversations traversées par ce désir de demeurer dans le plaisir suscité.

Fort-de-France, le 28/04/2018

R.S.